Rembourser 4,9 milliards d'euros : "une peine de mort civile" pour Kerviel

Par Laura Fort  |   |  736  mots
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Jérôme Kerviel a été condamné en appel à cinq ans de prison, dont trois ferme, et à verser 4.9 milliards d'euros de dommages et intérêts à la Société Générale. Comment l'ancien trader peut-il alors s'acquitter de cette peine?

370.000 années de Smic, vingt Airbus A380 ou deux tiers du budget annuel de la Justice. Voilà ce que peuvent représenter les 4.915.610.154 milliards d'euros de dommages et intérêts que Jérôme Kerviel a été condamné ce mercredi 24 octobre à payer à la Société Générale. Un arrêt rendu par la Cour d'appel qui confirme dans son intégralité le jugement du procès en première instance.
Une somme folle, synonyme de tous les excès: ceux de positions de 50 milliards prises en 2008 par l'ancien trader, mais aussi ceux d'une justice, qui a condamné un seul homme à rembourser une somme dont il ne pourra jamais s'acquitter. Qui plus est, cette condamnation vertigineuse et impalpable ne peut qu'être contre-productive: loin d'incarner le coupable idéal, Jérôme Kerviel ne peut dès lors que passer pour une victime et un bouc-émissaire.

Ponctionner ses revenus

Actuellement sans emploi et issu d'une famille modeste, comment Jérôme Kerviel peut-il alors honorer cette condamnation, assimilée à une "peine de mort civile" par son avocat Me David Koubbi sur Canal Plus dimanche 21 octobre?
D'abord, Me Jean Veil, avocat de Société Générale, a déclaré que la Société Générale agirait de manière "réaliste" concernant le paiement des dommages et intérêts. Il a précisé que la banque ne renoncerait pas à se faire rembourser mais "elle examinera la situation de M. Kerviel, le cas échéant avec ses avocats". Une transaction qui semble également inévitable pour que l'image de la banque soit préservée.
De ses revenus, soit aujourd'hui 475 euros s'il touche le RSA, un "reste à vivre" intouchable (nourriture, logement...) peut être calculé, le solde étant dévolu à sa "capacité contributive" aux dommages et intérêts. Pour rappel, si l'on prenait pour base de revenus le salaire de Jérôme Kerviel en 2010, soit 2400 euros par mois, cette condamnation représenterait 170.000 ans de salaire... Son ardoise serait-elle alors transmissible à ses descendants? S'il a des enfants, ils peuvent refuser la succession et donc les dettes liées.

Faire appel au juge d'application des peines ou du surendettement

Lors de sa plaidoirie le 28 juin, Me David Koubbi, l'avocat de Jérôme Kerviel déclarait: "Si vous deviez le condamner, je souhaiterais que la Cour envisage de le condamner à une chose à laquelle Jérôme pourrait survivre".
Pour autant, il n'est pas du ressort du juge d'adapter le montant des dommages à la capacité du condamné à les payer. "En réalité, ce n'est pas au juge pénal d'apprécier le montant de la condamnation en fonction des facultés contributives de l'auteur de l'infraction -il ne dispose de ce pouvoir qu'en ce qui concerne la peine d'amende- mais au juge de l'application des peines d'envisager les conditions du paiement, voire au juge du surendettement", expliquait Antoine Chatain, avocat associé du cabinet Stasi Chatain & Associés, en octobre 2010.

Tout dommage implique réparation

La Cour d'appel ne pouvait pas même diminuer cette peine: "Dès l'instant où le tribunal a retenu le trader comme entièrement et exclusivement responsable du dommage causé à la banque, il ne lui appartenait plus alors qu'à en ordonner l'entière réparation. Dès lors, rien n'était plus susceptible de réduire son montant, que l'on tente d'opposer à la banque son attitude à la suite de la découverte de la fraude, ou que l'on invoque encore le crédit d'impôt dont elle a pu bénéficier. Rappelons, en effet, que toute faute, y compris une faute pénale, qui cause à autrui un dommage oblige celui qui en est l'auteur à le réparer. Or, cette réparation doit consister en la compensation intégrale du dommage", précise Antoine Chatain.
A titre d'exemple, Bernard Madoff, avait été condamné en 2009 à une peine inique de 150 ans de prison, soit le maximum autorisé par la loi, pour un préjudice estimé entre 23 et 65 milliards de dollars.
Nick Leeson, trader à Singapour pour le compte de la Barings en 1995 et alors âgé de 28 ans, avait quant à lui été condamné à 6 ans et demi de prison ferme et à 70.000 livres d'amende pour escroquerie et faux en écriture, après avoir fait perdre près de 1,2 milliard d'euros à la banque en prenant des paris sur le niveau de l'indice boursier japonais.

>>> DOCUMENT Procès Kerviel : le jugement en appel du 24 octobre 2012