Verdict dans l'affaire Kerviel : à chacun son métier

Par Antoine Chatain, avocat associé, managing partner du cabinet Stasi Chatain & Associés

L'encre à peine sèche, le jugement du tribunal correctionnel de Paris dans l'affaire opposant la Société Générale à Jérôme Kerviel suscite une vive polémique. En cause principalement, le montant exceptionnel des dommages-intérêts de 4,9 milliards d'euros que devra payer l'ancien trader à la banque, en réparation du préjudice qu'elle a subi. Il n'est pas question ici de céder aux fantasmes qui ont alimenté les médias, ni de se joindre à la polémique qui s'en est suivie.

Il doit simplement être reconnu que le quantum de la condamnation est juridiquement fondé. En effet, dès l'instant où le tribunal a retenu le trader comme entièrement et exclusivement responsable du dommage causé à la banque, il ne lui appartenait plus alors qu'à en ordonner l'entière réparation. Dès lors, rien n'était plus susceptible de réduire son montant, que l'on tente d'opposer à la banque son attitude à la suite de la découverte de la fraude, ou que l'on invoque encore le crédit d'impôt dont elle a pu bénéficier. Rappelons, en effet, que toute faute, y compris une faute pénale, qui cause à autrui un dommage oblige celui qui en est l'auteur à le réparer. Or, cette réparation doit consister en la compensation intégrale du dommage. Dans cette affaire, le tribunal n'a fait qu'une stricte application de ces principes juridiques issus de notre droit français. Sur le plan pénal, Jérome Kerviel a été reconnu « comme l'unique concepteur, initiateur et réalisateur du système de fraude » et jugé coupable des délits qui lui étaient reprochés. Sur le plan civil, comme tout partage de responsabilité avec la banque a été écarté, le tribunal devait faire droit à l'intégralité des demandes formées par la partie civile.

 

Le dommage financier de la banque consiste en les pertes subies lors du débouclage impératif des positions frauduleuses prises par Jérôme Kerviel, pour un montant nominal global de 50 milliards d'euros - l'équivalent du double des fonds propres. Le montant des pertes constatées s'est ainsi élevé à la somme de 4,9 milliards d'euros. À prise de risques démesurée, condamnation exceptionnelle, c'est donc bien là l'exact montant des dommages-intérêts qui ont été accordés.

Afin de faire échec à la demande de condamnation, la défense a employé comme principal argument que le débouclage par la banque, opéré dans l'urgence à la fin du mois de janvier 2008 et alors que le marché n'était pas au mieux, avait directement contribué à aggraver son dommage. C'était en définitive reprocher à la Société Générale sa propre faute. Or, en matière de délits intentionnels, comme c'est le cas de l'abus de confiance, la faute de la victime ne peut jamais être opposée pour réduire le montant de la réparation pécuniaire.

Il est enfin prétendu aujourd'hui que la banque aurait trompé la religion du juge, en ne lui révélant pas que les pertes, passées en charges exceptionnelles, lui avaient permis de réduire le montant de son impôt. Or une fois encore, il est acquis en droit français que le juge n'a aucunement à envisager, lorsqu'il statue, les avantages fiscaux auxquels peut donner droit la réparation financière qu'il accorde. En tout état de cause, quand la condamnation est payée à une société commerciale par l'auteur de l'infraction, cette somme doit faire l'objet d'une imposition dans la mesure où elle sera comptabilisée dans le bilan. Dès lors, elle ne peut faire l'objet « d'une retenue à la source » par le juge.

 

En réalité, ce n'est pas au juge pénal d'apprécier le montant de la condamnation en fonction des facultés contributives de l'auteur de l'infraction - il ne dispose de ce pouvoir qu'en ce qui concerne la peine d'amende - mais au juge de l'application des peines d'envisager les conditions du paiement, voire au juge du surendettement.

 

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