La Suisse s'apprête à voter contre les rémunérations excessives de ses patrons

Par Jessica Dubois  |   |  766  mots
L'ancien président de Novartis, Daniel Vasella. Copyright Reuters
Dimanche, les Suisses sont appelés aux urnes pour se prononcer sur le renforcement des droits des actionnaires afin d'empécher le versement de salaires et de bonus trop élevés aux dirigeants. Les sondages donnent le oui favori

Les Suisses sont en colère contre leurs patrons. Et veulent leur faire savoir. L?histoire débute en février 2008. Thomas Minder, président du conseil d?administration d?une PME de cosmetique - devenu en 2011 député fédéral sans étiquettes - dépose alors une initiative populaire - devenue depuis ?initiative Minder? - avec plus de 118.000 signatures  pour que les actionnaires votent les rémunérations des administrateurs et des managers. Dans la loi suisse, cela appelle à une votation : un réferendum sur le sujet évoqué.

Le pouvoir aux actionnaires

Cinq ans pluis tard, après que le Parlement a tenté plusieurs fois de bloquer le projet, , les Suisses se prononceront donc ce dimanche 3 mars sur cette initiative. Celle-ci donne aux actionnaires le pouvoir de décider, en assemblée générale, du montant global des rémunérations qui sera accordé au conseil d?administration, à la direction, et au comité consultatif. Ces rémunérations seraient évaluées et soumises par un conseil de rémunération indépendant de la direction. Elle interdit également toute indemnité de départ (les ?golden parachutes?) ou d?arrivée, ou prime en cas de rachat d?entreprises. Elle ne concerne que les sociétés côtées, dans lesquelles les rémunérations ?ont littéralement explosé?, argumentent ses partisans, ?des salaires de plusieurs millions étant devenus le standard?. Le oui pourrait l?emporter. 64% des Suisses accepteraient l?initiative selon les derniers sondages.

Un oui encouragé par l'ex-patron de Novartis

Il faut dire que cette votation a lieu dans un contexte favorable. Mi-février, face à la pression de l?opinion publique, l?ancien président du conseil d?administration de Novartis, Daniel Vasella, avait du renoncer à sa prime de départ de 72 millions de francs suisses, pour clause de non-concurrence. Et il n?est pas le seul à être montré du doigt dans le pays qui accueille une population des plus prospères en Europe. ?Même si les Suisses gagnent pas mal d?argent et ont un salaire moyen élevé, nous avons aussi un fort sentiment traditionnel sur ce qu?est une bonne methode de gouvernance?, commentait Thomas Minder dans une interview au quotidien britannique The Independant.

?Cette votation fait beaucoup parler d?elle, avec un débat très émotionnel?, estime Frédéric Robert-Nicoud, professeur d?économie à l?université de Genève. ?C?est une affaire de riches, d?ailleurs les syndicats ne s?y sont pas trompés, puisqu?il s?agit de donner du pouvoir aux actionnaires et pas aux salariés?.

Un danger pour l'attractivité suisse ?

Malgré cela, le monde des affaires, rejoint essentiellement par les partis de droite (chrétiens-démocrates, verts-libéraux et union démocratique du centre), s?est rapidement érigé contre l?initiative Minder. La fédération des entreprises, EconomieSuisse, s?est élevée contre ce texte qui ?ne favoriserait pas l?implantation de sociétés cotées en Bourse ni les investissements de ces entreprises en Suisse?, et qui pourrait provoquer la fuite de certaines entreprises hors du pays. ?La Suisse ne perdrait pas seulement des recettes fiscales importantes mais aussi de nombreux emplois, tandis que les PME seraient privées de nombreuses commandes?, s?inquiete-t-il.

?Ce n?est pas un grand danger pour l'attractivité de la Suisse?, juge Frédéric Robert-Nicoud. Les entreprises concernées sont certes des multinationales, qui vont embaucher leurs dirigeants sur un marché international. Mais ?cette initiative règle un problème de gouvernance, et c?est plutôt une bonne nouvelle pour l?économie suisse?.

Un contre-projet si le non l?emporte

Si le ?non? l?emportait dimanche, un contre-projet entrerait en vigueur dès lundi matin. Il reprend une grande partie des mesures de renforcement des contrôles des rémunération du texte de l?initiative. Les actionnaires, comme dans le cadre de l?initiative, se prononceraient annuellement sur le montant global de la rémunération des membres du conseil d?administration. Mais primes d?arrivée et de départ devront être approuvées par une majorité des deux-tiers de l?assemblée générale. Le vote des actionnaires interviendrait sur une proposition de rémunération venant de l?entreprise.

Les opposants à l?initiative soutiennent ce contre-projet. ?Cela rajoute des complications et des contraintes, de la paperasse, explique Frédéric Robert-Nicoud, tous les ans le conseil d?administration doit être réélu?.

Si l?initiative est votée, un projet de loi respectant les principales dispositions du texte devra être proposé dans l?année.