Le cash-back arrive, mais la France s'interroge sur la fin des espèces

Par Estelle Nguyen  |   |  826  mots
« Les commerçants proposeront ce nouveau service, qu'ils pourront facturer » a indiqué la secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Economie et des Finances, Delphine Gény-Stephann. (Crédits : Yves Herman)
Le Sénat a adopté le texte transposant la dernière directive européenne sur les services de paiement, dite DSP2. Cette loi légalise, entre autres, la pratique du retrait d'espèces complémentaires auprès d'un commerçant lors d'un achat en magasin. Pourtant, les pouvoirs publics réfléchissent à une extinction du liquide.

[Article mis à jour le 30 juillet à 11h20]

Cette pratique, déjà courante au Royaume-Uni ou en Allemagne, va (peut-être) changer les habitudes des consommateurs français. Il sera en effet possible désormais de retirer du liquide dans les commerces lors d'un achat par carte bancaire : par exemple, on pourra faire 15 euros de courses dans une épicerie, payer 20 euros et récupérer 5 euros en espèces. Le cash-back est de facto légalisé par l'entrée en vigueur de la directive européenne sur les services de paiement (DSP2), qui a été définitivement adoptée ce mercredi. Le Sénat a voté en séance mercredi soir le texte transposant cette directive, sans apporter finalement de modification au texte issu de l'Assemblée nationale.

Cette directive a été conçue initialement afin d'adapter le cadre juridique aux nouveaux services, notamment numériques, et aux nouveaux acteurs, les startups de la Fintech. Elle ne contient pas de disposition autorisant le cash-back mais précise qu'il ne s'agit pas d'un service de paiement en tant que tel.

Le projet de loi ainsi adopté prévoit :

« Les commerçants mentionnés à l'article L. 121-1 du code de commerce peuvent fournir des espèces à l'utilisateur de services de paiement dans le cadre d'une opération de paiement pour l'achat de biens ou de services.

II. - Ce service ne peut être fourni qu'à la demande de l'utilisateur de services de paiement agissant à des fins non professionnelles formulée juste avant l'exécution d'une opération de paiement pour l'achat de biens ou de services et dans des conditions conformes à l'article L. 112-1 du code de la consommation.

Les paiements par chèque ou réalisés par le biais de titres‑papiers, d'instruments spéciaux de paiement au sens de l'article L. 521-3-2 du présent code ou de titres spéciaux de paiement dématérialisés au sens de l'article L. 525-4 ne peuvent donner lieu à fourniture d'espèces.  »

Un décret viendra fixer le montant minimal de l'achat permettant de retirer des espèces en plus et le montant maximal de liquide qu'il sera possible d'obtenir par cash-back.

Un service payant ?

Un plafond de 100 à 150 euros avait été évoqué jusqu'ici par Bercy.

« Le Sénat [...] a validé la pratique du cashback qui peut notamment être utile dans les zones rurales où les distributeurs de billets sont rares » a fait valoir le rapporteur de la commission des finances, Albéric de Montgolfier, sénateur LR d'Eure-et-Loir, lors de l'examen en séance.

La France dispose actuellement d'environ 57.000 distributeurs automatiques de billets, mais ils sont inégalement répartis dans les territoires.

La secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Economie et des Finances, Delphine Gény-Stephann, a souligné, lors de la séance au Sénat que :

« Les commerçants proposeront ce nouveau service, qu'ils pourront facturer. »

Toutefois, une tarification trop élevée risque de dissuader les consommateurs et de freiner l'essor de ce nouvel usage.

Le cash-back « permettrait de satisfaire le besoin exprimé par certains clients », qui pourront « gagner du temps » a estimé Philippe Joguet, directeur développement durable de la Fédération du Commerce et de la Distribution (regroupant de nombreuses enseignes de la grande distribution), interviewé par Ouest-France.

Vers une société sans cash en 2022 ?

A l'heure de l'essor du paiement mobile (Apple Pay, Lydia, etc) et du paiement sans contact, notamment pour les petits montants, l'introduction de cette pratique, qui tend à favoriser l'usage des espèces peut sembler à rebours de la tendance et même des objectifs des pouvoirs publics. En effet, le récent rapport CAP22 du comité Action Publique 2022 préconise dans la 16ème de ses 22 propositions :

« Aller vers une société "zéro cash" pour simplifier les paiements tout en luttant mieux contre la fraude fiscale », en soulignant que « la circulation d'espèces favorise par ailleurs le blanchiment d'argent.»

Les réformes proposées sont radicales, par exemple la suppression des espèces, des chèques et des timbres pour les paiements fiscaux et sociaux d'ici deux ans, l'obligation pour les commerçants d'accepter les paiements dématérialisés sans montant minimum et la réduction progressive de la circulation des espèces, en commençant par l'élimination des petites pièces de 1 et 2 centimes.

Le sénateur du Cantal (Union centriste) Bernard Delcros a d'ailleurs interpellé la ministre à ce sujet, s'inquiétant que cette évolution n'empiète sur les libertés individuelles.  La secrétaire d'Etat a temporisé :

« Sur les paiements en espèces, il s'agit de les réduire, non de les supprimer, pour limiter la fraude. Le ministère promeut les paiements dématérialisés en abaissant les seuils de paiement en espèces et en généralisant le paiement sans contact. La Commission européenne étudie l'impact de la suppression des pièces de 1 et 2 centimes. Il faudra bien sûr être vigilant sur une possible hausse des prix.»