Pour Cédric Villani, "le bitcoin est plutôt effrayant qu'enthousiasmant"

Par Delphine Cuny  |   |  746  mots
"Le bitcoin c'est un sujet extrêmement polluant" a déclaré Cédric Villani, en soulignant que l'intelligence artificielle était aussi une technologie très consommatrice d'énergie. (Crédits : DR)
Le mathématicien et député LREM est intervenu dans un débat sur l’avenir de la monnaie à la Banque de France en faisant un parallèle entre intelligence artificielle et Blockchain, la technologie derrière les monnaies virtuelles. Mais il a partagé ses réserves à l’égard du bitcoin.

L'avenir de la monnaie sera-t-il numérique, le bitcoin est-il l'avenir de la monnaie ? Toutes ces questions passionnantes étaient débattues jeudi soir à la Banque de France lors d'une soirée d'échanges dans le cadre de la Nuit des idées. Au programme, l'histoire et les fondements de la monnaie, les monnaies locales complémentaires comme le Sardex en Sardaigne ou l'eusko au Pays basque, et bien sûr le bitcoin et les « cryptomonnaies » ou plutôt « les crypto-actifs, qui ne sont pas de la monnaie » a insisté Emmanuelle Assouan, directrice du service des systèmes de paiement et des infrastructures de marché à la Banque de France.

Invité surprise, le mathématicien et député LREM Cédric Villani est venu livrer quelques réflexions. Le lauréat de la médaille Fields en 2010, chargé par le Premier ministre  d'une mission sur l'intelligence artificielle (IA), a fait le parallèle entre l'IA et la Blockchain, la technologie de « chaine de blocs », sous-jacente du bitcoin.

« L'IA et la Blockchain font le buzz en même temps et sont toutes deux des technologies informatiques s'appuyant sur les mathématiques. La Blockchain a résolu le "problème des généraux byzantins", une vraie avancée pour les mathématiques » a-t-il souligné.

« Le bitcoin est extrêmement polluant »

Cédric Villani a relevé que « la technologie Blockchain va bien au-delà des transactions financières et des monnaies digitales, on pourra enregistrer des actes de notariat, on peut imaginer de nombreux cas d'usage, à petite et grande échelle ». Cependant, il a émis de sérieuses réserves sur le bitcoin :

« On voit les mêmes débats que dans l'IA : qui va porter la responsabilité ? C'est le principal reproche que l'on peut faire au bitcoin : qui est responsable si Bitcoin s'écroule ? Je trouve le bitcoin plutôt effrayant qu'enthousiasmant », a-t-il confié.

Le scientifique a également soulevé le problème de la consommation énergétique du bitcoin, qui fait l'objet de nombreuses controverses dans la communauté des crypto-experts.

« En réalité, le bitcoin c'est un sujet extrêmement polluant ! L'IA aussi car on repasse à de nombreuses reprises sur les données. Toutes ces techniques dites dématérialisées sont en réalité très consommatrices d'énergie. Et les industries derrière consomment des ressources comme les terres rares. Il faut donc faire attention, dans nos sociétés européennes, avant d'envisager une solution tout algorithmique » a mis en garde le mathématicien, à l'heure où certaines banques centrales, comme celle de la Suède, envisage une monnaie digitale légale.


Alexandre Stachtchenko cofondateur du cabinet de conseil Blockchain Partners et président de l'association La Chaintech, a objecté après le départ de Cédric Villani :

« On pose toujours le débat sur la consommation du bitcoin en valeur absolue, avec des fourchettes très larges, allant de 1 à 100. Il faut raisonner en relatif. Les vidéos de chat que l'on a tous regardées sur YouTube consomment aussi beaucoup d'énergie. Quel coût représente cette encre spéciale que l'on met sur les billets, quel est le coût d'impression ? » a-t-il demandé.

Emmanuelle Assouan, de la Banque de France, lui a répondu que « le coût de fabrication d'un billet se situe entre 5 et 10 centimes d'euro. Une validation d'une transaction bitcoin c'est 215 kilowatt-heure. Grosso modo, c'est six mois de travail sur un ordinateur allumé jour et nuit, c'est 600 km avec une Smart électrique ! »

Cette évaluation, qui date de novembre et a fait l'objet de nombreux débats, a été revue à la hausse depuis par la plateforme Digiconomist, qui a conçu un indice de la consommation d'énergie de bitcoin et estime à 215kg de CO2 l'empreinte carbone d'une transaction bitcoin (soit l'équivalent d'un téléviseur allumé 53 jours sans interruption) : une seule transaction bitcoin consommerait aujourd'hui 440 kWh, autant qu'un foyer américain en 14 jours.

Mais quelle est l'empreinte carbone de toute la filière de fabrication, gestion et circulation des billets et des pièces ? Une idée de débat peut-être pour l'année prochaine.

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Conversation avec Cédric Villani, mathématicien français, directeur de l'Institut Henri-Poincaré. Animé par Michel Bera, professeur du Cnam.