Harcèlement sexuel au travail : la nécessité d'agir

Par Audrey Fisne  |   |  1703  mots
En 2014, 20% des femmes actives ont dit avoir été confrontées à une situation de harcèlement sexuel durant leur vie professionnelle quand 20% des Français déclaraient connaître une personne y ayant fait face. (Crédits : CC0 Creative Commons/Pexel.)
Hôpitaux, administration, médias, banques… Aucun milieu ne semble être immunisé contre le harcèlement sexuel. Dans le monde professionnel, force est de constater que l’élan médiatique et citoyen a mis en lumière un fléau pourtant ancré depuis des années. Mais cette désinhibition doit encore s'accompagner d'actions.

Le 5 octobre dernier, le New York Times révélait au monde entier les témoignages de plusieurs femmes, accusant le producteur américain Harvey Weinstein de harcèlement sexuel. Avec le hashtag #Metoo aux États-Unis, #Balancetonporc en France, et d'autres déclinaisons dans le monde, le mouvement s'est propagé au-delà de la sphère pailletée d'Hollywood. Les témoignages se multiplient dans les médias, faisant état de situations de harcèlement qui n'épargnent aucun secteur : hospitalier, bancaire, journalistique, fonction publique, etc.

Les chiffres (*) sont éloquents : en 2014, 20% des femmes actives ont dit avoir été confrontées à une situation de harcèlement sexuel durant leur vie professionnelle quand 20% des Français déclaraient connaître une personne y ayant fait face. Autres faits alarmants, 3 victimes sur 10 n'ont confié à personne ce qu'elles vivaient et 65% des déclarantes ont estimé n'avoir pu, malgré tout, compter que sur elles-mêmes. Pis, 40% des femmes actives ayant été victimes de harcèlement ont estimé que l'affaire s'était achevée à leur détriment : mutation, contrat non-renouvelé, démission forcée...

En 2017, le harcèlement a (encore) des conséquences graves sur la carrière des victimes. Pourtant, le Code du travail punit les employeurs qui ont pris des sanctions à l'encontre d'une personne ayant subi (ou refusé de subir) des faits de harcèlement sexuel (article L1153-1 du Code du travail). En cas d'infraction à cet article, l'employeur risque un an d'emprisonnement et 3.750 euros d'amende (article L-152-1-1 du Code du travail).

[Capture d'écran: rapport "Etude & résultats : enquête sur le harcèlement sexuel au travail", le Défenseur des droits, mars 2014.]

Les associations débordées

Ainsi, la peine est souvent double pour la victime. En plus de harcèlement, elle doit faire face aux conséquences dans leur environnement professionnel. C'est souvent à ce moment-là qu'interviennent les associations et autres accompagnants. Spécialisée dans le droit du travail avec la qualification spécifique « Droit de discrimination au travail », l'avocate Maud Beckers salue l'élan citoyen qu'a pris le mouvement. Si de précédentes affaires (DSK, Ducray ou encore Baupin) ont laissé penser qu'il y aurait un sursaut, ce à quoi « l'on assiste aujourd'hui a une ampleur plus importante dans tous les milieux professionnels ». En témoignent les associations d'accompagnement des femmes telles que Parler (de Sandrine Rousseau) ou encore l'historique Association des violences faites aux femmes au travail (AVFT). Cette dernière, par la voix de sa déléguée générale Marilyn Baldeck, a même publié un article sur son site Internet, pour répondre aux multiples demandes d'informations des journalistes. Elle affirme que le nombre d'appels depuis l'affaire Weinstein a augmenté « de manière spectaculaire » :

« Depuis le 11 octobre, c'est 5 à 10 nouvelles saisines... par jour, qui arrivent soit par téléphone, soit par mail, venant directement des victimes ou d'un intermédiaire (syndicat, avocat.e.s, famille, ami.e.s...) Pour le dire autrement, nous avons actuellement plus de demandes qui arrivent par jour que d'ordinaire par semaine. »

« Ce serait pervers, hypocrite de ne rien faire »

Mais, si les langues se délient, encore faut-il accompagner cette prise de parole. « Maintenant, il faut passer à l'acte. Si le législateur n'accueille pas ces femmes, elles vont se rendre compte que ça n'ira pas plus loin que le buzz médiatique. Il ne faut pas que ça reste superficiel », commente Maître Beckers. L'action du gouvernement pour endiguer le phénomène est en effet unanimement attendue. « C'est sous-jacent, si on encourage les femmes à parler davantage, elles vont porter plainte et risquent d'être déçues. Ce serait pervers si on les invite à 'balancer' et que derrière, rien de concret n'est fait », ajoute Isabelle Steyer, avocate au barreau de Paris.

Associations, syndicats, avocat.e.s et victimes, s'associent pour demander au gouvernement une réelle action. Une lettre et une pétition, signées par de nombreuses représentantes d'associations féministes, syndicales, articles, politiques ont été publiées dans le JDD, le 5 novembre, pour demander des mesures concrètes et interpeller le président de la République. Dans le contenu de la lettre, on retrouve comme requêtes, de doubler les subventions pour les associations, d'organiser une formation pour les professionnel.le.s, de créer un brevet des collèges de la non-violence, de rendre obligatoire la formation des salarié.e.s et managers ou encore de lancer une campagne nationale de prévention. Un plan d'urgence est ainsi demandé au chef de l'État. Lui qui a proclamé l'égalité femmes-hommes comme grande cause nationale du quinquennat.

Prise de conscience

Interpellée plusieurs fois, la secrétaire d'État chargée de l'Égalité femmes-hommes Marlène Schiappa, a répondu que des dispositions similaires aux propositions étaient d'ores et déjà en réflexion dans son projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles (*). Un texte qu'elle devrait présenter au parlement en 2018 après un « tour de France de l'égalité femmes-hommes ».

Pourtant, dans les trois axes énoncés dans la présentation du projet, sur le site Internet du secrétariat d'État, aucun ne fait part d'une modification quant au harcèlement sexuel au travail. Seule une communication a été lancée à ce sujet par le gouvernement (« Arrêtons-les ») et un guide pour l'égalité femmes-hommes en entreprise a été élaboré et diffusé. Interrogée le 15 novembre, la ministre du Travail a, quant à elle, évoqué que des consultations auprès des partenaires sociaux - employeurs et représentants syndicaux - allaient être faites pour recueillir leurs propositions. Avant d'ajouter :

« La prévention doit être améliorée. Il faut former tout le management. »

La ministre de la Justice, Nicole Belloubet, interrogée sur RTL a lancé la piste des « pré-plaintes » sur Internet pour les victimes de harcèlement sexuel. Une façon d'accélérer la procédure, après la hausse constatée des plaintes de 30%.

Ces initiatives ont été saluées par les représentant.e.s des ressources humaines. « C'est extrêmement important d'avoir un discours qui n'est pas militant, mais distancié », souligne Aline Crépin, directrice responsabilité sociale et environnementale (RSE) chez Randstad et animatrice de la commission « Égalité et diversité » à l'Association nationale des DRH (ANDRH). Pour Jean-Christophe Sciberras, ancien président de l'ANDRH et directeur des relations sociales du groupe Solvay, « l'actualité a sans aucun doute fait prendre conscience aux entreprises de l'importance du problème ». Il accorde à ce mouvement de libération de la parole un rôle fondamental :

« Les entreprises doivent inciter à la prise de parole, car celle-ci permettra de faire prendre conscience des comportements et de la gêne occasionnée. Cette parole libérée va jouer un rôle réparateur. »

Travailler sur l'application de la loi

« Ça fait des années que l'on sait ce qu'il se passe », nuance Maître Beckers. Le discours du gouvernement « est hypocrite », déplore l'avocate, qui souligne l'absence de réactivité et constate qu'aucune action concrète n'a encore été décidée. Le débat est même déplacé, par exemple, avec la volonté de verbaliser le harcèlement de rue, proposition du projet de loi de Marlène Schiappa.

« Le harcèlement sexuel n'a pas lieu dans la rue. Certes, ça existe, mais le vrai visage du harcèlement sexuel, on le connaît, ce sont des cols blancs, qui sont bien vus dans la société, des CSP + quadras, des hommes puissants. Or, la première réaction du gouvernement est de mettre un policier dans les quartiers pour interpeller en flagrant délit des jeunes. C'est une forme d'hypocrisie. »

A contrario pour l'avocate, l'une des actions efficaces serait de sanctionner davantage les harceleurs et les employeurs qui, souvent selon elle, couvrent ou étouffent les actes.

Maintenant que le tabou est tombé du côté des victimes, l'heure est aux sanctions pour les harceleurs, estime Céline Verzeletti, secrétaire confédérale de la CGT.  « Il y a une loi, c'est bien, mais ce n'est pas suffisant. Il faut travailler sur comment on l'applique. » Poursuivant la réflexion, la représentante syndicale révèle la nécessaire mise en place de « dispositifs particuliers pour mieux accompagner les victimes ». Mais une séance de rattrapage pour les représentant.e.s du personnel, les manager.euse.s ou encore les DRH, porteur.euse.s de responsabilités dans ces situations, est également à prévoir. Une opinion que partage l'ANDRH, qui a décidé de lancer une réflexion pour mieux anticiper ces cas de figure.

« Un groupe de réflexion est mis en place depuis novembre pour échanger sur les bonnes pratiques à adopter : comment on qualifie les faits, accompagne les victimes, sensibilise à la problématique, quelles mesures disciplinaires on prend, quel rôle peuvent avoir les instances représentatives du travail (IRP)... », explique Bénédicte Ravache, secrétaire générale de l'ANDRH.

« On ne découvre pas la thématique avec l'actualité, mais le domaine des ressources humaines se sent concerné. De manière générale, la société se remet en question et les RH le font, ni plus ni moins. »

Et de conclure :

« Pour les entreprises, cette actualité est un bon point d'appui pour avancer. »

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(*) L'« enquête sur le harcèlement sexuel au travail » a été réalisée par l'IFOP du 15 au 24 janvier 2014, pour le compte du Défenseur des droits, auprès d'un échantillon de 1.005 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus et d'un sur-échantillon de 306 femmes actives âgées de 18 à 64 ans. La représentativité de l'échantillon a été assurée par la méthode des quotas (âge, profession de l'interviewé) après stratification par région et catégorie d'agglomération. Les entretiens ont été renseignés par questionnaire auto-administré en ligne.

(*) Le projet de loi préparé par Marlène Schiappa devrait s'appuyer sur trois axes : l'allongement du délai de prescription pour les viols sur mineurs de 10 ans ; la présomption de non consentement pour les mineurs ; la verbalisation du harcèlement de rue. (Source : site Internet de la secrétaire d'État à l'Égalité femmes-hommes)