Les 7 grandes mutations du monde du travail depuis Mai-68

À la faveur de l'informatisation et de l'assouplissement des organisations, les conditions de travail se sont améliorées en 50 ans. L'emploi, quant à lui, est de plus en plus précaire. Retour sur un demi-siècle de transformations.
Bureaux, organisation et hiérarchie, digitalisation : le monde du travail s'est transformé en 50 ans.
Bureaux, organisation et hiérarchie, digitalisation : le monde du travail s'est transformé en 50 ans. (Crédits : iStock)

En 50 ans, le monde du travail et de l'emploi a beaucoup évolué. Zoom sur 7 points qui illustrent ces mutations.

Un temps de travail fortement réduit

« Ne perds pas ta vie à la gagner », disait le slogan. Le moins que l'on puisse dire c'est, qu'en cinquante ans, le temps passé au travail a relativement diminué. Alors qu'en 1968, un salarié travaillait en moyenne 1.849 heures en un an, un demi-siècle plus tard, la durée annuelle du travail des salariés est de 1.389 heures.

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Pour l'expliquer, il faut noter la salarisation importante des Français, qui intervient dès les années 1960. La tendance était déjà à l'oeuvre lors de la décennie précédente et ce, notamment du fait de l'exode rural. À cela s'ajoute une baisse de la durée collective du travail. Depuis 1956, les Français bénéficient de 3 semaines de congés payés. Les accords de Grenelle, jamais signés mais tout de même appliqués par le gouvernement de Georges Pompidou, actent la 4e semaine de congés. En 1982, avec l'arrivée au pouvoir de François Mitterrand, des lois sociales entrent en vigueur.

Le premier président socialiste de la Ve République instaure la semaine de 39 heures et la 5e semaine de congés payés, promesses de sa campagne électorale. Le temps de travail est à nouveau diminué entre 1998 et 2000, par le gouvernement de Lionel Jospin, alors Premier ministre socialiste. Martine Aubry, ministre de l'Emploi et de la Solidarité donne son nom aux lois qui instaurent la semaine de travail à 35 heures. Cette réduction, saluée par la gauche, visait un partage du travail dans le but de lutter contre le chômage (dont le taux atteint 9,5% de la population active en 2000). Les forts gains de productivité participent à compenser la baisse du nombre d'heures travaillées et l'on parle de "l'élasticité du travail".

« Faire en 35 heures ce que l'on faisait en 39 heures dans plus de 70% des postes ou fonctions, était possible », précise le sociologue du travail Jean-Pierre Durand.

Ce qui a finalement engendré une augmentation des cadences (avec des suppressions ou diminutions des temps de pause, par exemple) mais qui a permis, aux cadres de cumuler, avec les RTT, des jours de congés supplémentaires.

Le ralentissement de la croissance et la montée du chômage impactent le recours, moins important, aux heures supplémentaires. Et de nouvelles formes de travail émergent comme le temps partiel qui représente 1 emploi sur 20 dans les années 1960, pour près de 1 emploi sur 5 en 2016.

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Tous ces facteurs ont pour conséquence une augmentation du temps réservé aux loisirs, en « réponse à de réelles aspirations sociales », note Rémi Bazillier, professeur d'économie à l'Université Panthéon-Sorbonne. « Les individus demandent un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie familiale ». De nouvelles activités ont l'occasion de se développer dans cette économie du loisir au risque, « si le mouvement n'est pas régulé » , de voir augmenter « des inégalités entre chômeurs et travailleurs, ou même entre les travailleurs qui bénéficient de bonnes conditions de travail et d'emploi et les autres. »

Une organisation plus horizontale

Dans les années 1960, le compromis "fordiste", mis en place à l'après-guerre s'essouffle. « Nous sommes à une période charnière : la croissance industrielle commence à fléchir et on craint les premières restructurations », note Rémi Bazillier. Les salariés, qui acceptaient auparavant les conditions extrêmement difficiles en échange d'un accès à la société de consommation, permis par des augmentations de salaire (même si, les paies des Français sont les plus basses de la Communauté européenne en 1966), contestent le modèle dépassé. « 1968 va mettre un coup d'arrêt à ce contrat social », résume Michel Lallement, sociologue. Nombre de transformations s'ensuivront. Avec les premières formes de modernisation et l'injection de l'électronique et de l'informatique dans les outils de production, les années 1980 voient émerger le toyotisme :

« C'est l'heure de la production à flux tendu avec l'idée que c'est le consommateur qui décide du moment où l'on met en chantier une forme de production », note Michel Lallement. « La logique de la division stricte du travail dans les ateliers est remise en cause. »

L'heure est à la polyvalence, à la mobilité et à la remise en cause des hiérarchies classiques avec l'objectif "Zéro gâchis, zéro temps mort".

Puis, émerge un modèle, plus récent, où une double injonction structure les formes d'organisation du travail : davantage de marge de manœuvre, d'autonomie dans la façon de travailler des individus, mais un résultat nécessaire. On y retrouve, en partie, un héritage de 1968 avec cette volonté de liberté et en même temps une rupture totale avec la logique taylorienne où l'on écrivait point par point le menu à suivre.

« Il y a cinquante ans, les travailleurs voulaient de la flexibilité, la possibilité de créativité. Toutes ces exigences, ces valeurs, ont été complètement absorbées par le discours managérial actuel, qui va de pair avec cette philosophie d'autonomie. »

Cette double exigence créerait de nouveaux maux : stress, burn-out... « Ce qui n'était pas du tout des pathologies qu'on dénonçait en 1968 », poursuit Michel Lallement.

Lire aussi : Les cadres, prolétaires 2.0 ?

Le modèle managérial évolue aussi au fil des années : la direction passe d'une hiérarchie très verticale à l'horizontalité. Le statut cadre se banalise : auparavant réservé à un rôle d'encadrant, il ne l'est plus systématiquement aujourd'hui. Dans les années 1990 émergent des "entreprises libérées", dans lesquelles les salariés sont invités à prendre des décisions librement et à récupérer le lead tour à tour. Enfin, bon nombre d'individus font le choix de l'auto-entrepreneuriat.

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Avec l'arrivée d'Emmanuel Macron au pouvoir, le gouvernement fait l'apologie de la "startup nation" et encourage les "jeunes talents" à innover professionnellement. Dans ces jeunes pousses, la hiérarchie est davantage floue, les frontières peu délimitées et on y revendique une volonté d'un travail "plus collaboratif". Mais « il faut distinguer réalité et discours », tempère Jean-Pierre Durand qui appelle à la prudence. Pour l'économiste Rémi Bazilier, ce retour au "collaboratif" est peut-être aussi un lointain écho à l'esprit de mai 1968, où l'on rêvait, comme à Lip-Besançon, de l'autogestion. Les nouvelles formes d'organisations, Scop et autres formes de coopératives d'entreprise, dans lesquelles les salariés sont aussi des actionnaires et où les décisions sont prises selon le principe "un homme = une voix", correspondent à de « réelles attentes de se réapproprier des choix, des stratégies d'entreprise ayant des conséquences directes sur la vie des salariés ».

Informatique et électronique : la troisième révolution industrielle

À chaque fois qu'émerge une innovation technologique, les craintes quant aux conséquences qu'elle pourrait avoir sur le travail et l'emploi resurgissent. Ce fut le cas avec les premières machines, l'irruption de l'informatique, les premières automatisations ou la robotique. Le questionnement est à nouveau présent aujourd'hui avec le big data, l'intelligence artificielle ou encore la blockchain. L'homme va-t-il être remplacé par la machine ? Dans les années 1960-1970, les progrès de l'informatique et de l'électronique bouleversent les ateliers. Les employeurs y voient l'occasion d'attribuer aux machines les tâches répétitives et une façon d'économiser de la main d'oeuvre.

Pourtant, force est de constater que l'on ne peut se passer totalement de l'homme. Dans les années 1980, les entreprises changent leur fusil d'épaule : elles réduisent la main-d'oeuvre mais la choisissent qualifiée.

Aujourd'hui, alors que les innovations technologiques vont encore plus loin dans leurs capacités, la crainte de voir l'homme remplacé par les IA [intelligence artificielle, ndlr] est une nouvelle fois présente. Les études qui avancent que l'automatisation de l'emploi pourrait supprimer ou transformer largement les postes sont contredites par des rapports qui montrent, à l'inverse, que les mêmes technologies créeraient de nouveaux métiers. Pour les spécialistes, il est encore trop tôt pour réellement cerner comment le monde du travail et de l'emploi vont réagir. Pour Michel Lallement, il y aura des poches irréductibles où les postes ne pourront jamais être remplacés par les machines, les domaines de l'artisanat notamment. Jean-Pierre Durand craint, quant à lui, une augmentation des inégalités entre ceux qui pourront utiliser les technologies et ceux qui auront décroché. L'an dernier, le cabinet McKinsey estimait entre 75 millions et 375 millions le nombre d'individus qui devraient avoir besoin de changer de catégorie de métier et acquérir de nouvelles compétences.

Lire aussi : Automatisation : 375 millions de personnes forcées de changer d'emploi d'ici 2030 ?

Dans une entreprise, on estime que les compétences techniques des employés seront devenues obsolètes au bout de cinq années seulement, note dans son essai "Travail, la soif de liberté", Denis Pennel, directeur général de World Employment Confederation. Les enjeux sont donc liés à la formation, indispensable avec ces transformations. « Ces technologies peuvent bousculer l'organisation du travail », note Marylise Léon, secrétaire nationale de la CFDT chargée du dialogue social. C'est notamment pour cela que les adhérents du syndicat sont invités à des rencontres pour parler de ces innovations.

Professeur d'économie à l'université Panthéon Sorbonne, Rémi Bazilier perçoit des implications de plus grande ampleur dues à l'émergence de ces technologies dans le monde du travail :

« L'un des enjeux est d'anticiper ces transitions et faire évoluer nos systèmes de protection sociale pour prendre en compte ces mutations durables. »

Car si ces évolutions peuvent permettre une amélioration des conditions de travail ou la disparition des tâches les plus pénibles, la crainte qu'elles contribuent à accroître les inégalités persiste. Il faudra faire en sorte que « cela permette la création de nouvelles activités dans d'autres secteurs, notamment dans l'économie du temps libre. Et cela n'est possible que si les gains de productivité sont redistribués plus équitablement ».

> Lire aussi : [Notre dossier] Intelligence artificielle : stop ou encore ?

Des droits pour les représentants des salariés, mais des syndicats affaiblis

Mai 1968 a joué un rôle crucial dans la représentation des salariés puisque le mouvement social, avec les accords de Grenelle, permet l'entrée des sections syndicales dans l'entreprise.

« Auparavant, du côté patronal, l'entreprise était un espace privé, un peu comme l'espace domestique, où il était hors de question qu'il y ait des acteurs, à l'image des syndicats, qui puissent s'en mêler », explique le sociologue Michel Lallement.

Il s'agit donc d'une première étape dans l'ouverture du dialogue social. En 1968, entre 17% et 25% des salariés sont syndiqués. Le collectif au travail, notamment auprès d'un syndicat, est vu comme un moyen de se construire en tant qu'individu, rappelle Michel Lallement : « C'est ce qui permet de redonner du sens au travail un peu déshumanisé. » Mais cela ne suffira pas à convaincre les travailleurs sur le long terme : le taux de syndicalisation se met à reculer dès les années 1970, tendance qui s'accentue la décennie suivante.

En 1981-82, d'importantes avancées sociales interviennent après l'élection de François Mitterrand. Les lois Auroux instaurent l'obligation annuelle de négocier les salaires, la durée et l'organisation du travail dans l'entreprise. Elles créent les CHSCT (comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail), autorisent le droit de retrait du salarié en cas de danger, attribuent une dotation minimale au comité d'entreprise, créent un droit d'expression pour les salariés sur leurs conditions de travail et interdisent toute discrimination. « Une vraie révolution », résume le professeur d'économie Rémi Bazilier.

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[ ENCADRÉ ] LES LOIS AUROUX, UNE AVANCÉE DÉCISIVE POUR LES SALARIÉS

  • Du côté des salariés. Instauration de l'entretien préalable en cas de sanction ; droit accordé aux employés de s'exprimer sur l'organisation et le contenu de leur travail ; droit de retrait en cas de danger grave et imminent.
  • Du côté des représentants des salariés. Création des comités de groupe et des délégués de site ; création du CHSCT (comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail) qui doit être consulté sur les conditions de travail et peut effectuer des enquêtes en cas d'accident ou de maladie professionnelle ; financement (correspondant à 0,2% de la masse salariale) des comités d'entreprise (CE), obligatoires dans les entreprises de 50 salariés et plus ; renforcement des droits d'information et de consultation du CE.
  • Du côté des employeurs. Instauration des NAO (négociations annuelles obligatoires) sur les salaires et l'organisation du travail ; affichage du règlement intérieur dans les entreprises.

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En 1990, une nouvelle façon de voir le travail apparaît. Avec la fin du Conseil national du patronat français (CNPF), remplacé par le Mouvement des entreprises de France (Medef), « les employeurs s'identifient avant tout comme des entrepreneurs », analyse Michel Lallement. Une partie d'entre eux supportent mal que les règles en vigueur dans les entreprises viennent de l'État ou des conventions collectives : « Que ce soient pour les salaires, les conditions de travail ou la mobilité, il faut que ça se négocie dans l'entreprise. » Le sociologue alerte :

« C'est ce que consacrent les ordonnances Macron et qui est extrêmement contesté puisqu'il y a là le risque que chacun fasse ce qu'il veut dans l'entreprise et que les règles en vigueur dans l'une, ne soient pas les mêmes dans celle d'à côté ».

Lire aussi : Ordonnances sur le droit du travail: veillée d'armes dans le camp syndical

Réforme de la représentativité en 2008, loi El Khomri en 2016 ou, actuellement, réforme de l'assurance chômage... Si les syndicats sont aujourd'hui partie prenante des négociations, leur poids n'est pas le même qu'en 1968. En 2016, 11% des salariés avaient adhéré à une organisation syndicale (9% dans le privé). « Le contexte est plus divisé aujourd'hui, très clivé », reconnaît Marylise Léon de la CFDT, qui explique aussi que les syndicats ont du mal à attirer les jeunes travailleurs et que des secteurs professionnels où les syndicats sont traditionnellement plus implantés qu'ailleurs (comme l'industrie) ont perdu de nombreux emplois.

Si le taux de syndicalisation ne témoigne pas de la légitimité des syndicats (mais plutôt l'audience électorale lors des élections professionnelles), cette baisse du nombre d'adhérents questionne : « Aujourd'hui, avec un taux de syndicalisation faible, c'est difficile d'avoir des négociations d'entreprise dignes de ce nom », résume Michel Lallement. « La force des employeurs, en quarante ans, a été de faire disparaître les militants », explique le sociologue Jean-Pierre Durand. Les employeurs les ont promus à des postes de managers ou les ont poussés vers la sortie.

« Résultat, les mandats et délégations sont en partie occupés par défaut. Et les salariés ne s'y retrouvent plus. Cela contribue au déséquilibre entre employeurs et salariés. La représentativité des syndicats est alors appauvrie. »

CDD, intérim, contrats aidés... L'emploi davantage précarisé

Les travailleurs d'aujourd'hui sont-ils plus précaires que ceux des générations précédentes ? Pour les experts, la réponse est à nuancer. Au niveau du travail, les conditions se sont améliorées : la pénibilité, qui reste rude dans certains secteurs, est tout de même moins importante qu'il y a cinquante ans ; les environnements sont plus propres, mieux encadrés. Des règles et normes fixent des limites. Qualité de vie au travail, ergonomie... Nombre de problématiques traitées aujourd'hui n'étaient pas d'actualité en 1968. Mais du point de vue de l'emploi, « clairement, il y a une montée de la précarité », explique le sociologue Michel Lallement. Et ceci est notamment dû aux mutations des types d'emploi. « Le développement du temps partiel, des individus enchaînant de multiples contrats de très courte durée est une réalité », souligne Rémi Bazilier, professeur d'économie.

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Si le CDI reste le contrat le plus présent (occupé par 85% des Français), l'insertion dans le monde du travail passe souvent par des contrats courts : CDD, intérim, temps partiel, contrats aidés et autres statuts précaires. « 80% à 90% des embauches se font aujourd'hui en CDD », note Michel Lallement (87% selon la Dares, en 2015). Passer par des années de précarité avant d'obtenir un CDI est devenu la norme. C'est ce que le sociologue Robert Castel nommait le "précariat" et qui a tendance à toucher plus fortement les jeunes entrants sur le marché ou les profils les moins qualifiés.

Avec cette précarité, « les fractures dans le monde du travail se sont accentuées, avec de plus profondes inégalités », assure Rémi Bazilier, qui ajoute :

« La formation est plus que jamais un défi, les non qualifiés étant cantonnés à des formes d'emplois précaires et de mauvaise qualité lorsqu'ils ont un emploi. »

Outre le CDD, le temps partiel a aussi augmenté, avec la tertiarisation, lors de ces dernières années, contribuant à la baisse du chômage : il représente 19% de l'emploi en France en 2016, contre 8,3% en 1975. Il touche majoritairement les femmes, qui occupent 82,5% des emplois à temps partiel en 2013. « Effectivement, la population active s'est féminisée, mais à quel prix ? », questionne Françoise Milewski, économiste à l'OFCE, qui dénonce les inégalités salariales existant entre les femmes et les hommes.

L'intérim, créé en 1982, est aussi une autre forme de contrat précaire en développement. Entre 1984 et 1990, le recours à celui-ci a été multiplié par quatre et, aujourd'hui, il explose : 712.500 salariés intérimaires à la fin du second trimestre 2017 (soit 2,8% de la population active). Pour l'économiste Philippe Askenazy, directeur de recherche au CNRS, interrogé par l'AFP, cela peut s'expliquer puisque « les contrats très courts [sont venus] se substituer aux CDD plus longs [...]. On ne parle plus de précarité mais d'hyper-précarité, avec un enchaînement continu de contrats très courts pour les mêmes salariés. » Encourager les entreprises à avoir recours au CDI est à l'ordre du jour de l'actuel gouvernement. Dans le cadre de la réforme sur l'assurance chômage, un système de bonus-malus a été décidé par l'État pour pénaliser les entreprises qui abuseraient des contrats courts.

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Types de contrats et sexe

[Source : Insee. Cliquez sur la photo pour l'agrandir.]

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Des espaces de travail plus impersonnels

On ne travaille plus sur les bureaux ou dans les mêmes ateliers aujourd'hui qu'il y a cinquante ans. Les usines ont connu des améliorations sanitaires, d'hygiène et de sécurité, notamment depuis l'arrivée des CHSCT, en 1982, avec les lois Auroux. Au cours des années 1990, l'approche est davantage pluridisciplinaire et l'on commence à parler ergonomie, prévention des risques, tandis que la législation, nationale et européenne, s'enrichit dans les années 2000.

Dans les bureaux, les espaces de travail aussi ont été revus. Après-guerre, les entreprises misent sur des aménagements-architectures où les lieux sont davantage personnalisés qu'auparavant : plateaux allégés, facilitant la circulation, couleurs vives... Dans la continuité, les années 1960 accueillent la cloison modulable qui va permettre de créer des espaces où regrouper les équipes ou services entre eux pour favoriser les échanges : c'est pratique et économique. On fait entrer la lumière dans de vastes espaces qui, finalement, ne facilitent pas tant que ça la vie des salariés. Avec l'arrivée de l'informatique au milieu des années 1970, il faut faire de la place aux ordinateurs. On décloisonne en créant des open space où finalement, il n'y a plus de place pour la confidentialité ou l'intimité. Le bruit est permanent et peut entraîner des problèmes de concentration, de stress au travail, ou de mal-être. Il faut attendre 2.000 pour que les entreprises prennent conscience de l'importance de l'environnement et de la qualité de vie au travail. En 2005, l'observatoire de la qualité de vie au bureau Actineo est créé en France, en partenariat avec le CNRS, et rend des rapports sur la QVT (qualité de vie au travail) pour sensibiliser les entreprises. « On parle de "care" aujourd'hui, de la façon qu'a l'entreprise de prendre en considération les besoins de chacun », note David Mahé, président d'un cabinet de conseil spécialisé sur le bien-être au travail.

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bureaux travail

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Les employeurs prennent davantage en compte l'avis des salariés. De nouveaux espaces voient le jour, tels que des lieux de coworking, des bureaux "flexibles" qui ne sont attribués à personne en particulier. C'est aussi un moyen de réaliser des économies sur les coûts en partageant les lieux. "L'esprit startup" venu des États-Unis gagne l'environnement de travail, où l'on encourage désormais les espaces plus confortables, agréables et où il est possible de retrouver des "bulles de détente" (salle de repos en entreprise, baby-foot...). Le télétravail, davantage encadré via les ordonnances Macron, est aussi une pratique qui se démocratise.

Lire aussi : Le télétravail, un système gagnant-gagnant pour salariés et employeurs ?

Meilleure façon d'organiser son temps, autonomie pour certains, cette façon de travailler ailleurs qu'au bureau de son entreprise, attire aussi les critiques : perte du lien social avec son équipe, redéfinition du management à distance, inconfort ou encore interférence de la vie professionnelle dans la vie personnelle. « Globalement, [ces nouvelles pratiques] détériorent la santé au travail : les individus ont moins de repos, sont moins productifs, moins efficaces », explique Jean-Pierre Durand, qui rappelle le débat sur le droit à la déconnexion. Typiquement, dès que l'on amène du travail à la maison, cela participe aussi aux « nouveaux maux tels que le stress au travail ou encore le burn-out ». Et pourtant, 56 % des salariés non télétravailleurs aimeraient bénéficier du dispositif si leur entreprise le proposait.

Une vision individualiste de l'emploi

Baisse de la durée du travail, précarisation de l'emploi, réformes impopulaires, stress, burn-out sont autant d'arguments qui deviennent des critiques du travail aujourd'hui. Parfois, on se rêve même à comparer la remise en question du travail à celle de mai 1968. Mais il y a cinquante ans, la contestation n'était pas la même. Michel Lallement précise :

« Dans les années 1960, une fraction de la population française, ces jeunes issus des classes moyennes et supérieures, était porteuse de ce que l'on appelle "l'effet de frustration relative". »

Ainsi, pour le sociologue, les enfants du baby-boom, qui avaient acquis un capital culturel supérieur à celui de leurs parents, contestaient le manque de places adaptées à leur profil dans le monde du travail.

« Il y avait ce sentiment d'injustice où des jeunes qui avaient travaillé et fait des études risquaient une disqualification sociale et qui donc étaient frustrés, désenchantés : "Pourquoi étudier si c'est pour être ouvrier alors que mon père était cadre ? Instituteur alors que mon père était prof ?" », ajoute le sociologue.

Pour les ouvriers, la remise en cause était liée au fait de se tuer à la tâche, de manière absurde, pour gagner peu et ne pas évoluer professionnellement.

Lire aussi : Lassés de leur « bullshit job », les cadres désertent les open space

Or, aujourd'hui, les critiques du travail sont différentes. La quête de sens dans son quotidien reste présente mais les travailleurs sont soumis à d'autres logiques : une volonté plus importante d'allier vie professionnelle et vie personnelle par exemple, la double injonction « plus d'autonomie mais plus de contraintes ». De fait, la question peut se poser : est-ce la fin de la centralité du travail aujourd'hui ? « Il faut en finir avec le mythe de la fin du travail. Il a toujours été un moyen de construction de l'identité », répond Michel Lallement. Son confrère Jean-Pierre Durand confirme : ceux qui considèrent le travail éloigné du centre du quotidien se trompent :

« Aujourd'hui encore, c'est lui qui donne le statut social d'un individu, qui le place dans la société. Il est structurant psychologiquement et il régule les relations sociales. »

Il ajoute, ayant travaillé sur la thématique des chômeurs : « 98 % d'entre eux répondent vouloir travailler. Au fil des ans, les valeurs n'ont pas beaucoup changé finalement : avoir un emploi et fonder une famille restent les aspirations premières des Français même si c'est plus difficile qu'avant pour les jeunes. »

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Pour le professeur en économie Rémi Bazilier, des conséquences de mai 1968 sont encore perceptibles dans la conception du travail actuelle :

« Le modèle taylorien était fondé sur une faible autonomie des travailleurs dans une division extrême du travail. L'affaiblissement de ce modèle associé à un lent déclin de l'emploi industriel, appellera à une plus grande autonomisation mais également à une plus grande individualisation de la relation au travail. »

Les travailleurs de 2018 font preuve certes de plus d'autonomie mais aussi de plus d'individualisme. « Ce qui se joue aujourd'hui, c'est sa capacité à exister dans l'entreprise en tant qu'individu, à créer une identité plus individualisée. S'investir en créant un mix entre une volonté d'affirmer sa subjectivité et la nécessité de composer avec des collectifs de travail », commente Michel Lallement. En somme, chacun veut être acteur de sa propre vie professionnelle. »

Lire aussi : « Au travail, ce qui est prioritaire, c'est le sens et non plus l'argent et la sécurité »

Commentaires 4
à écrit le 26/12/2019 à 9:02
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On ne parle jamais des salariés des petites entreprises, pourtant nombreuses, sans syndicat, sans CE, où les 35 heures sont une vue de l'esprit, où le patron et ses groupies font la loi, même si, c'est souvent vrai, ils ont la vie dure, eux aussi. d...

à écrit le 24/05/2018 à 10:15
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Il suffit de voir quels étaient les manifestants de 68 pour savoir quels secteurs allaient évoluer par la suite ? Il faut aussi tenir compte de l’exode rural. En raison du transfert massif d’emplois agricoles « 1870, l’agriculture emploie encore l...

à écrit le 23/05/2018 à 12:01
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Article très complet ( origine , graphique, chronologie les lois, noms...) et bien expliquée.merci. le propos du sociologue est «  controversé » notamment : la précarité est due au « mutation des emplois » ( temps partiel...) en 2016, 1 sur 5 est ...

à écrit le 23/05/2018 à 10:21
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"Le ralentissement de la croissance et la montée du chômage impactent le recours, moins important, aux heures supplémentaires. " Je suppose que cela doit être dans les grandes entreprises étant donné que les PME par chez nous utilisent encore mas...

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