Rafale : les espoirs déçus de Nicolas Sarkozy

Par Michel Cabirol  |   |  1341  mots
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Il y a encore quelques jours, le président de la République espérait s'envoler pour Abu Dhabi et signer une commande de 60 Rafale. Las. Tous les efforts qu'il aura consacrés au cours de son mandat afin de décrocher un premier contrat à l'export pour le fleuron de l'aéronautique militaire française auront été vains. Il faudra attendre le prochain quinquennat...

Et Nicolas Sarkozy ne vendit pas le Rafale sous son quinquennat... Cela a été pourtant l'un de ses défis quelques mois après son arrivée à l'Elysée. Une obsession déclenchée par l'échec cuisant du Rafale au Maroc qui a préféré acheter, à l'automne 2007, des F16 américains. Une défaite pourtant inenvisageable et un véritable affront pour le nouveau président qu'il était. D'autant que dans le cas d'espèce, sa responsabilité ne pouvait pas être engagée. Résultat, vendre le Rafale est devenu au fil du temps un leitmotiv. A tel point qu' il s'est battu jusqu'au dernier moment pour convaincre les Emirats arabes unis (EAU) de signer un contrat dans le courant du premier trimestre 2012. En vain.

Et pourtant, une visite de Nicolas Sarkozy avait été programmée le 12 février, puis en mars. Il était prêt à sauter dans un avion pour signer à Abu Dhabi cette commande de 60 appareils. Un petit Etat du Golfe, situé à quelques kilomètres des rives iraniennes, à qui Nicolas Sarkozy a beaucoup donné, dont notamment la base interarmées tricolore doublée d'un renforcement de l'accord de défense de 1995 liant les deux pays. Ce nouvel accord prévoit que les deux pays décident "en commun de réponses spécifiques et adaptées, y compris militaires, lorsque la sécurité, la souveraineté, l'intégrité territoriale et l'indépendance des Émirats arabes unis sont affectées". Il n'a pas eu en retour ce contrat. Un échec personnel même si Dassault Aviation, qui ne voulait rien lacher sur les marges de ce contrat, n'a pas toujours été un partenaire facile pour convaincre les Emiriens. Il sera vraisemblablement signé par le prochain président. Cruel pour Nicolas Sarkozy s'il n'était pas réélu en mai.

Sarkozy a tout tenté

L'aventure du Rafale à l'export est devenue une série à rebondissements pour les observateurs  A quelques jours de la fin de la cinquième saison, le constat est sévère. Pas de commandes fermes. Et pourtant, le 18 juin 2008 le secrétaire général de l'Elysée d'alors, Claude Guéant, fanfaronnait sur « Europe 1 » que Paris allait vendre bientôt « une centaine » d'avions de combat tricolores. Pour l'heure, seules des négociations exclusives sont en cours avec les Indiens pour un contrat de 126 appareils.

Pour vendre le Rafale à tout prix, Nicolas Sarkozy a donc tout tenté.. ou presque. Y compris en le proposant à des pays, où il avait peu de chance de réussir. C'était le cas du Koweït (14), qui avait pourtant exprimé un intérêt pour l'avion tricolore, ou d'Oman (12). Mais ces deux pays du Moyen Orient, sous forte influence américaine pour l'un, britannique pour l'un, n'avaient aucune marge de man?uvre pour s'offrir un avion compétitif. Le président a même pris des intitatives périlleuses en tentant de le placer au colonel Kadhafi, lorsqu'il était venu à Paris en 2007 planter sa tente dans le parc de l'Hôtel Marigny. Le Guide aura au moins pu constater, peu avant sa mort, toute l'efficacité opérationnelle du Rafale lors de la campagne de Libye (opération Harmattan).

Le Brésil, espoir déçu

Le Brésil, autre pays, autre échec. Le président Lula avait promis de sélectionner le Rafale peu avant son départ en décembre 2010. Nicolas Sarkozy, qui une nouvelle fois s'était personnellement investi, a donné beaucoup de son temps pour décrocher cette commande de 36 appareils. Au final, Lula n'a pas tenu parole. Pourquoi ? Mystère. Mais des rumeurs de rétrocommissions ont plané, avec la présence de certains intermédiaires français, qui apparaissent aujourd'hui dans des affaires sulfureuses autour du président de la République.

Et pourtant en septembre 2009, Nicolas Sarkozy tenait la grande forme à Brasilia. « Cela était devenu une affaire personnelle », notait alors un proche de la délégation. Le dimanche, avant de s'envoler vers Brasilia, le chef de l'État sentait le succès à portée de main même si, à son départ, rien n'était acquis, les Brésiliens restant encore très prudents sur une éventuelle annonce. Mais vendre le Rafale était encore la priorité de cette visite éclair de 48 heures à Brasilia, alliée au plaisir de revoir son homologue brésilien Lula avec qui il entretenait, en dépit de leurs différences politiques, de très bonnes relations. « Le lien affecif qui les unissait pouvait laisser croire que tout était possible », assurait-on alors.

Le fol espoir brésilien

À l'issue du dîner restreint offert par Lula ce soir-là, sentant qu'il pouvait faire basculer la décision et revenir à Paris avec une promesse de vente, Nicolas Sarkozy s'accroche. Il retourne voir, tard dans la soirée, la délégation élyséenne et celle de Dassault Aviation, dont le PDG Charles Edelstenne, pour leur demander de retravailler avec les Brésiliens la proposition française selon leurs dernières exigences . « Il faut battre le fer tant qu'il est chaud et tant que nous sommes sur place », avait-il exigé. Les équipes travailleront jusqu'à l'aube pour arrêter, vers six heures du matin, l'offre qui va définitivement convaincre les Brésiliens. Bousculés, ces derniers ne peuvent plus refuser.

« Nicolas Sarkozy a lessivé toute la délégation française, y compris Charles Edelstenne réputé increvable, par son dynamisme », se rappelle-t-on dans la délégation. « Le chef de l'État nous a fait gagner en moins de 48 heures des mois de travail », soulignait-on chez l'avionneur. Car c'est bien une négociation exclusive ? même si ce terme n'a pas été inscrit noir sur blanc ? qu'a arrachée in extremis Dassault Aviation. Ou plutôt le chef de l'État comme l'indiquait au « Monde » Charles Edelstenne : « C'est Nicolas Sarkozy qui a vendu le Rafale, ce n'est pas nous. Le succès lui revient ». Et pourtant ce sera l'échec. Là encore, le prochain président aura de très bonne chance de signer un contrat.

La Suisse, une maladresse qui coûte cher

En Suisse, Nicolas Sarkozy s'est pratiquement tiré une balle dans le pied. Berne n'a guère apprécié les propos de Nicolas Sarkozy lors du G20 à Cannes lorsqu'il avait dénoncé les « déficiences » dans les efforts de la Suisse pour ne plus être considérée comme un paradis fiscal. « Nicolas Sarkozy a probablement un problème avec nous, je ne sais pas lequel », avait ensuite déclaré, le 11 novembre, la présidente de la Confédération, Micheline Calmy-Rey. De là à dire qu'il porte la responsabilité entière de cet échec...

Officiellement, Berne, et plus précisément le ministre en charge de la Défense, Ueli Maurer, ont notamment justifié leur choix du Gripen suédois par des considérations budgétaires, l'offre du Rafale étant estimée par les experts supérieure d'un milliard d'euros. Soit 4 milliards de francs suisses au lieu de 3 milliards, qui étaient à peu près le budget que Berne envisageait pour renouveler sa flotte d'antiques F5 Tiger. « Les arguments financiers ont joué un rôle déterminant dans le choix du type d'avion, a confirmé un communiqué officiel.

Et l'Inde ?

C'est le point positif. Le Rafale est en pole position mais pour l'heure, rien n'est signé.  De surcroît, il est difficile de mettre ce début de succès au crédit de l'Elysée, tant Nicolas Sarkozy a multiplié les maladresses lors de ses visites en Inde. Même si l'Etat français a, à l'été 2007, poussé Dassault Aviation, qui était très hésitant, à concourir pour cet appel d'offres mirifique estimé à 18 milliards de dollars. A l'époque, Dassault Aviation attendait des garanties de Paris.

Tout comme aux Emirats et au Brésil, le prochain président de la République devrait en toute logique assister à la signature de ce contrat en Inde. Ce sera aussi probablement le cas au Qatar (entre 12 et 26), et peut-être en Malaisie (18). Il le devra en grande partie à l'obsession de son prédécesseur...