La France veut rester dans le couple EADS-BAE Systems et aura 9 % du capital

Par Fabrice Gliszczynski et Michel Cabirol  |   |  1083  mots
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Avec une parité de 60-40 entre les actionnaires d'EADS et de BAE Systems, la part de l'Etat français dans le nouvel ensemble passerait de 15 % à 9 %, celle de Lagardère de 7,5 % à 5 %. Daimler serait à 14 %, l'Espagne à 3 %. Tom Enders serait CEO d'EADS et de BAE Systems. Les deux entreprises auraient en effet le même conseil d'administration et la même direction.

Si l'opération EADS-BAE Systems réussit, les actionnaires actuels d'EADS (dans l'hypothèse où ils devaient tous rester au capital) détiendront 60 % du capital de la nouvelle entité. Leur participation sera de facto diluée. Ainsi, selon un proche du dossier, celle de la France passerait de 15 % aujourd'hui à 9 %, celle de Lagardère de 7,5 % à 5 %. Au total, le camp français contrôlerait 14 % du nouvel ensemble contre 22,5 % aujourd'hui. Contrairement aux propos de plusieurs observateurs, "l'Etat français ne veut pas sortir d'EADS", indiquent deux proches du dossier. Même si, explique-t-on à "latribune.fr", les Britanniques auraient préféré que Paris se retire du capital d'EADS. Ils ont néanmoins finalement "accepté" la présence de l'Etat français, en pratiquant la "Realpolitik", selon une source bien informée. Selon le Financial Times de ce vendredi, BAE a mis en garde EADS contre toute ingérence politique dans le futur groupe fusioné, faute de quoi, il mettrait fin aux discussions. Le groupe britannique voudrait aussi que siège des activités de défense soit au Royaume-Uni.

Jeudi, au lendemain de la confirmation par EADS et BAE Systems de discussions sur un rapprochement, le gouvernement français a plutôt été avare en déclarations. "Ils attendent de voir l'issue des négociations. ils sont dans une  position d'attente. Ils veulent notamment voir si les intérêts sociaux français sont préservés", explique un autre proche du dossier. "Si le gouvernement avait été contre, il l'aurait déjà fait savoir à EADS, vu que les discussions ont commencé depuis plus de trois mois".

Côté allemand, la part Daimler de 22,5 % (dont 7,5 % portés par Dedalus, le consortium réunissant des Länder et des banques), passerait lui aussi à 14 %, tandis que l'Espagne, qui détient actuellement 5,5 % du capital tomberait à 3 %. Cette dilution ne se traduirait par une perte d'influence des Etats, puisque la France et l'Allemagne disposeraient d'actions spécifiques ("golden share") leur permettant de mettre leur veto sur les gros dossiers stratégiques. Le Royaume-Uni dispose d'un dispositif similaire chez BAE Systems et entend le conserver dans la nouvelle entité. De fait, la nouvelle entité ne serait pas "opéable".

Seul Daimler pourrait sortir du capital 

Pour autant, cette opération mettrait à mal le pacte d'actionnaires d'EADS. Daimler, qui cherche à se désengager d'EADS, pourrait ainsi en profiter pour sortir définitivement. Encore faut-il lui trouver un remplaçant côté allemand. Jusqu'ici, Daimler souhaitait descendre à 7,5 % en vendant 7,5 % à une banque publique Kfw, déjà en discussion pour racheter 4,5 % à Dedalus (dans lequel Kfw possède déjà 1 %). Au total Kfw était censé prendre 13 %, à côté des 2 % détenus par les Landers dans Dedalus. Or selon des proches du dossier, cette opération serait aujourd'hui au point mort. En revanche, le groupe Lagardère n'a pas l'intention de se défaire rapidement de sa participation. "La stratégie d'Arnaud Lagardère n'a pas changé, assure-t-on de source proche du dossier. Il attend le jour où le titre EADS réalisera tout son potentiel de croissance".

Tom Enders, futur patron du nouveau groupe

Au niveau du fonctionnement, les deux groupes ont adopté une structure juridique ad hoc, afin de protéger leurs actifs les plus sensibles. Il s'agit d'une dual-listed company, en pratique chez des groupes transnationaux comme Unilever, qui fonctionne sur ce schéma-là depuis 1930, Shell ou BHP Billiton. Soit un schéma avec deux sociétés légalement séparées (EADS et BAE Systems), tous deux cotées en Bourse, mais opérées comme une seule entité, avec la mise en commun des intérêts économiques des deux entreprises. Le nombre d'actions de chacune des deux entreprises serait ajusté pour qu'elles aient la même valeur et permettent d'atteindre la parité de 60-40. Objectif : que les actionnaires d'EADS aient bien 60 % des bénéfices et ceux de BAE Systems 40 %. D'où le terme employé de "fusion synthétique". Un changement de contrôle de BAE Systems aurait posé de trop nombreux problèmes au sens juridique du terme, explique-t-on à "latribune.fr". 

Les deux entreprises auront le même conseil d'administration et le même management. Ainsi c'est Tom Enders, l'actuel président d'EADS qui sera aussi bien le patron de EADS que de BAE Systems, confie t-on. Il sera CEO (directeur général) des deux entreprises, avec un président du conseil d'administration (chairman) issue de BAE Systems. Les dirigeants et les actionnaires issus de EADS seront majoritaires dans la direction générale et au sein des deux conseils d'administration. Marwan Lahoud, le directeur général délégué en charge de la stratégie et du marketing d'EADS, très actif dans cette opération, "se verrait confier un rôle important dans la nouvelle entité".

Méfiance durable des marchés

Enfin, les actifs les plus sensibles de chacun des deux partenaires seront portés par les groupes d'origine. "On pourra ainsi assurer aux Etats-Unis que les activités qui les concernent ne bougeront pas", explique un proche du dossier. Par exemple, s'agissant des missiles balistiques nucléaires français, seuls EADS France et les autorités auront un droit de regard sur la stratégie et la gestion de cette activité. En revanche, les profits générés par cette activité seront distribués au prorata de l'actionnariat de la nouvelle entité, soit 60 % pour EADS et 40 % pour BAE Systems.

Reste à savoir si le deal ira au bout. "Si les choses se poursuivent au même rythme, l'opération peut être bouclée avant le 10 octobre (la date limite pour dire si les deux parties renoncent ou pas à se marier)", explique t-on à "latribune.fr".  Si la parité 60-40 était encore respectée jeudi soir en clôture malgré la baisse de l'action d'EADS, il est évident que l'opération ne se fera pas si les marchés montrent durablement leur défiance. Ceux-ci estiment qu'acheter un mastodonte de la défense n'est pas opportun pour EADS avec la baisse des budgets militaires au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. "Il faut voir néanmoins que BAE est très présent dans les services (entretien des flottes) qui génère des contrats récurrents. En outre, l'électronique de défense n'a pas souffert de la révision à la baisse des commandes", fait valoir un expert. Et de préciser : "EADS n'achète pas au haut. Au contraire. Jamais, le prix n'a été aussi favorable depuis dix ans. La dernière fois, c'était en 2004-2005".