Défense : la paupérisation de l'armée française s'accélère

Par Michel Cabirol  |   |  1164  mots
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Fin 2015, il manquera 10 milliards d'euros au budget de la Défense par rapport à la loi de programmation militaire initiale, selon le chef d'état-major des armées, l'amiral Edouard Guillaud. En 2020, ce seront 40 milliards qui feront défaut si les pouvoirs publics prolongent le tour de vis actuel. L'effort de défense dépassera "à peine 1,3 %" du PIB à l'horizon 2015, contre 2 % en 1997. Principaux extraits de l'audition de l'amiral Guillaud devant les députés de la commission de la défense de l'Assemblée nationale.

C'est donc bien l'heure de la retraite pour les militaires français, des ambitions rangées dans les cantines des soldats, de l'influence de la France... racontée dans les livres d'histoire. Car l'audition devant les députés de l'assemblée nationale de la commission de la défense du chef d'état-major des armées, l'amiral Edouard Guillaud, apparait comme un véritable électrochoc. La France rentre vraiment dans le rang. "Le ministre de la défense a obtenu que les crédits soient plus importants en 2013, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir : leur niveau actuel n'est pas loin de remettre en cause le choix d'une armée polyvalente et homogène, garantissant réactivité, souplesse d'emploi et endurance", constate sévèrement l'amiral Guillaud aux députés.

40 milliards d'euros en moins en 2020

Comment cela se traduit-il ? Par des chiffres qui ne mentent pas. "Le modèle sous-tendu par la loi de programmation militaire (LPM) en cours était bâti, entre autres, sur une prévision d'augmentation en volume des ressources de 1 % par an à partir de 2012, rappelle le chef d'état-major des armées. Dans les faits, le budget de la défense diminuera de 4 % en valeur sur la période 2012-2015. Au résultat, la divergence cumulée entre les ressources prévues aujourd'hui et la programmation initiale atteint 10 milliards pour 2013-2015, soit presque une année de masse salariale du ministère hors pensions ou la totalité du programme des six sous-marins nucléaires d'attaque (SNA) Barracuda. Si l'on prolonge la tendance actuelle, on obtiendra en 2020 un écart de 40 milliards en valeur de 2012, soit 130 % du budget total d'une année".

Les difficultés ont débuté dès l'été 2010, rappelle l'amiral Guillaud. Et de préciser que c'est à partir de 2012, que "la trajectoire des ressources diverge encore plus nettement de la trajectoire de référence tracée en 2008. La pression budgétaire s'est accrue après la révision des prévisions de croissance, compte tenu de l'obligation de redresser les comptes publics. En tenant compte des lois de finances rectificatives et du gel de crédits supplémentaires intervenu en juillet, les crédits de 2012 sont désormais en recul de 1,2 milliard par rapport à l'annuité initialement prévue. Conjugué à l'écart cumulé de 1,9 milliard de la fin de 2011 et sans préjuger des conditions de la fin de gestion de 2012, le recul dépassera les 3 milliards à la fin de l'année".

Des dépenses militaires réduites à 1,3 % du PIB

Pour l'amiral Guillaud, "un tel écart n'est pas de l'ordre de l'ajustement. Il nous impose de revisiter nos ambitions. Pour mémoire, l'effort de défense était, aux normes OTAN - c'est-à-dire hors pensions et hors gendarmerie -, de 2 % du PIB en 1997, avant de se stabiliser ces dix dernières années entre 1,6 % et 1,7 %. En 2012, il est de 1,55 %. À l'horizon de 2015, il dépassera à peine 1,3 %". Compte tenu de la situation des finances publiques, "le modèle en vigueur n'est plus soutenable. Nous devrons donc penser autrement", fait-il valoir. C'est-à-dire avec des ambitions à la baisse.

Une cessation de paiement en fin d'année ?

"Pour 2012, la fin de la gestion est sous tension, indique le chef d'état-major des armées. Ainsi, il a déjà identifié "les surcoûts des opérations extérieures (OPEX) et la hausse du carburant opérationnel, pour un total de 250 millions" et rappelle que "la levée des réserves n'a pas encore été obtenue. Enfin, le déficit structurel du titre II est en cours de consolidation". Pour l'amiral Guillaud, "il est essentiel d'appliquer les clauses de sauvegarde prévues par la LPM pour les OPEX, le carburant opérationnel et le titre II (fonctionnement). À défaut, pour éviter que certains postes ne soient en cessation de paiement dès la fin du mois d'octobre, il faudrait ponctionner une fois encore les crédits d'équipement ou aggraver le volume de nos factures en attente de paiement de fin d'année, autrement dit notre report de charges, ce qui n'est pas de bonne gestion".

En 2012, il évalue "à moins de 500 millions d'euros le surcoût des opérations en Afghanistan. En 2013, les surcoûts baisseront sous l'effet de la diminution du nombre d'hommes sur place - ils ne seront plus que 1.500 à partir du 1er janvier -, la fin de l'opération de désengagement étant prévue au 1er juillet. Les sommes consacrées à l'Afghanistan sont pratiquement équivalentes en 2011 et en 2012, mais les dépenses se sont déplacées des combattants vers les surcoûts logistiques". Pour 2013, "l'enveloppe de 630 millions consacrée aux OPEX me semble réaliste mais nous ne savons jamais exactement quelles seront les dépenses. Cette année, nous terminerons à 870 millions, pour 630 millions budgétés. Une loi de finances rectificative prendra l'écart en compte. Reste que le budget ne prévoit pas l'ouverture d'une opération nouvelle, qui pourrait intervenir en Afrique ou ailleurs".

Des matériels à bout de souffle

Sur l'achat de matériels, les économies réalisées sur les équipements représentent 850 millions. "Au total, la diminution des engagements atteint 5,5 milliards en 2012 et 2013, dont près de 4,5 milliards pour les seules opérations d'armement, le reste se répartissant entre les petits équipements des armées et l'infrastructure, souligne l'amiral Guillaud. Sur deux ans, elle représente plus de la moitié d'une annuité du titre V. Ces décalages, qui préservent les choix futurs, impliquent dans l'immédiat des aggravations ou de nouvelles réductions temporaires de capacité, sans parler de la prolongation d'équipements à bout de souffle : les cloisons intérieures de certains avions sont dans un triste état ; dans la coque de certains navires, l'épaisseur du métal n'est plus que d'un centimètre en comptant les couches de peinture ; le châssis de certains blindés montre des faiblesses..."

Rigidité du budget de la défense

Selon le chef d'état-major, la transition entre la LPM de 2009 et celle arrivant en 2013 "devra prendre en compte, outre les difficultés budgétaires du pays, les rigidités des dépenses du ministère à court terme - masse salariale, entretien des matériels, préparation opérationnelle ou fonctionnement courant -, tout en préservant les programmes nouveaux ainsi que la base industrielle et technologique de défense". Et d'estimer que "l'exercice sera difficile parce que les marges de manoeuvre sont étroites".

Pour résumer toutes ces inquiétudes, ces inerties, ces rigidités, il a estimé que "la défense est comme un grand navire lancé à 32 milliards d'euros : on ne peut pas réduire sa vitesse aussi rapidement qu'on le voudrait. Cela ne signifie pas qu'il n'existe aucune alternative à la situation tendue que nous connaissons, surtout si l'on considère l'ensemble des leviers, mais ceux-ci sont indissociables. Ne me demandez pas de choisir aujourd'hui : c'est la déclinaison
de l'ambition nationale définie par le Livre blanc qui déterminera le levier à privilégier".