Pourquoi le missile qui s'est abîmé au large du Finistère coûte plus cher que ce qui a été annoncé

Par Nabil Bourassi et Michel Cabirol  |   |  909  mots
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Difficile de chiffrer le coût unitaire du missile balistique M51, un programme top secret lié à la dissuasion nucléaire. Aussi le montant de 120 millions d'euros évoqués par certains médias ne semble pas être le bon. Il est probable que le coût soit en réalité un peu plus élevé...

Combien coûte un missile balistique mer-sol M51, tel que celui qui s'est auto-détruit dimanche au large du Finistère après son décollage dans une zone interdite pour la circonstance à la navigation maritime et à la circulation aérienne dans le cadre d'un tir d'essai lancé ? Un essai nécessaire pour la qualification du missile sur "Le Vigilant", le sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE) qui l'a mis à feu dans la baie d'Audierne (Finistère). Plusieurs médias avancent un montant de 120 millions d'euros mais, selon une source proche du dossier, ce chiffre, qui fait couler beaucoup d'encre depuis l'annonce par la Marine nationale de l'explosion du missile dépourvu de sa charge nucléaire, n'est pas le bon.

Difficile à chiffrer

Il est vraisemblable que le coût unitaire d'un M51 soit plus élevé que celui annoncé par la presse. Le coût du M51 dans sa version opérationnelle pourrait se situer autour du coût d'un lanceur Ariane 5 (environ 150 millions d'euros), assure-t-on à La Tribune. En réalité, le coût d'un essai d'un missile M51, qui peut surprendre au moment où la France est contrainte à faire des économies, est difficile à établir en raison des trop nombreuses incertitudes qui pèsent sur ce programme top secret touchant intimement à la souveraineté nationale de la France. Un programme qui s'élève dans sa globalité à plus de 11 milliards d'euros, développement compris, selon le ministère de la Défense. Soit trois lots de 16 missiles M51, qui équipent les quatre SNLE tricolores auxquels il faut rajouter quelques missiles supplémentaires. Impossible d'en connaître avec certitude le nombre d'exemplaires qui seront produits au total.

En outre, il faut ajouter le développement de la composante embarquée du système d'armes de dissuasion M51 (CESAD M51) avec notamment le moyen d'essai Cétacé (caisson d'essai de tir), la construction puis l'exploitation des moyens d'essais, l'approvisionnement et la mise en place de cette CESAD M51 à bord des trois premiers SNLE NG (Le Triomphant, Le Téméraire, Le Vigilant), la fourniture de la logistique initiale à terre et, enfin, l'adaptation au M51 du centre d'entraînement des forces sous-marines. Le SNLE "Le Vigilant", qui a lancé le M51 dimanche, a ainsi été immobilisé plusieurs mois pour pouvoir accueillir ce nouveau missile. Les sous-marins, à l'exception du SNLE « Le Terrible », qui a été construit directement en version M51, doivent être adaptés à ce missile, qui est d'une plus grande taille et plus lourd que le missile M45.

Un programme stratégique

L'enjeu stratégique du M51, lancé en 1992 et piloté par la filiale spatiale d'EADS, Astrium, a été confirmé par le nouveau Livre blanc de la Défense et de la sécurité nationale, un document publié lundi dernier qui renouvelle la doctrine de la France en matière de défense. Le président François Hollande avait demandé aux auteurs du Livre blanc de sanctuariser la dissuasion nucléaire (aéroportée et maritime). D'où la nécessité pour la France de disposer d'équipements modernes. Résultat de cette ambition, le M51, dont le permier vol est intervenu en nobembre 2006, est un bijou de technologies militaires et présente des "différences significatives par rapport à son prédécesseur", écrit Astrium sur son site internet.

Il mesure 12 mètres de haut et pèse 50 tonnes sur la balance, soit 15 tonnes de plus que son prédécesseur, le M45. Il est également capable de se projeter sur un rayon de 8.000 km contre 6.000 km auparavant, et ce, à la vitesse de Mach 15, soit plus de 18.000 km/h. Enfin, le M51 peut transporter jusqu'à 10 têtes nucléaires contre 6 pour la génération précédente. Le M51 dispose d'une capacité d'emport supérieure et adaptable, d'une meilleure portée, et bénéficiera d'une plus grande aptitude à pénétrer les défenses adverses grâce à la furtivité des têtes et aux nouvelles aides à la pénétration associées. Le M51.2, une version modernisée du M51 opérationnelle à partir de 2015, emportera la tête nucléaire TNO (tête nucléaire océanique au lieu des têtes nucléaires TN75 actuelles). Son niveau de sûreté nucléaire est accru.

Une enquête top secrète

Pour toutes ces raisons, la Marine nationale a engagé des prospections dans la baie d'Audierne afin de récupérer les débris du missile, qui gisent par une centaine de mètres de fond. Des robots sous-marins ont même été envoyés pour sonder le fond de la baie et récupérer la moindre trace de ce missile. Le capitaine de Corvette, Lionel Delort, a admis que l'essai balistique était un "échec" et qu'une enquête allait être conduite afin d'en déterminer les raisons. La Marine nationale ou l'industriel ne communiqueront pas les conclusions de cette enquête qui sera classée secret défense.

L'enquête va suivre un processus bien huilé. La direction générale de l'armement (DGA), les industriels, notamment Astrium, et la Marine vont dans un premier temps récupérer toutes les données de l'essai raté, puis les analyser. "Cela peut prendre quelques jours, voire quelques mois, on part sans a priori mais c'est sans doute un phénomène complexe à analyser", explique-t-on à La Tribune. Et cette équipe d'ingénieurs va soit éliminer, soit confirmer une à une les causes de cet échec.

Vidéo de la destruction du missile