Sous-marins à Singapour : comment l’allemand TKMS veut torpiller sa filiale suédoise Kockums (2/2)

Par Michel Cabirol  |   |  842  mots
Kockums, qui souhaitait à l'origine proposer son futur sous-marin de nouvelle génération l'A26 à Singapour, est brutalement écarté de la compétition par son actionnaire TKMS.
L'appel d'offres de Singapour pour l'acquisition de deux sous-marins (plus deux en option) a révélé de très fortes dissensions entre TKMS et sa filiale Kockums. En lui interdisant de présenter une offre à Singapour, le groupe allemand veut torpiller son concurrent suédois.

Avant d'affronter en tête à tête DCNS dans les eaux chaudes de Singapour, ThyssenKrupp Marine Systems (TKMS) a d'abord dû se débarrasser… de son encombrante filiale suédoise Kockums AB, un chantier naval acheté en 1999. Pourtant pour Kockums, aujourd'hui baptisé TKMS AB, le marché singapourien était vital. Car la Suède n'a pas gagné beaucoup de contrat à l'export : Singapour et Australie.

Une relation ancienne entre Kockums et Singapour

Depuis de longues années, le chantier naval suédois entretient une relation commerciale, opérationnelle et industrielle étroite avec Singapour et sa marine. Elle lui a notamment vendu dans les années 1990 quatre sous-marins de la marine suédoise de la classe Sjöormen (mis en service en 1968 et 1969 en Suède), sous le nom de Challenger, qui ont été livrés entre 2000 et 2004.

Puis, Singapour commande en 2005 pour 128 millions de dollars deux sous-marins suédois de la classe Västergötland (A17), qui ont succédé chez Kockums aux Sjöormen. Ces deux sous-marins ont été livrés entre 2011 et 2013 à la marine de Singapour sous le nom d'Archer. Parallèlement, Kockums conclut des accords industriels avec le groupe singapourien ST Engineering. Enfin, la marine suédoise fournit l'entrainement des équipages à Singapour. Ce que ne fait pas la marine allemande.

Le diktat allemand

Malgré cette longue coopération opérationnelle et industrielle, Kockums, qui souhaitait à l'origine proposer son futur sous-marin de nouvelle génération l'A26 à Singapour, est brutalement écarté de la compétition par son actionnaire TKMS. Un véritable diktat en trois actes. A la fin de l'été 2011, Defence Science and Technology Agency (DSTA), la direction générale de l'armement (DGA) singapourienne, effectue dans le cadre de son appel d'offre portant sur l'acquisition de deux sous-marins une visite plutôt encourageante à Malmö au siège de Kockums.

Mais en septembre 2011, le PDG de TKMS, Hans Christoph Atzpodien, douche les espoirs suédois en déclarant que le design de l'A26 ne convient pas à Singapour. Décision est prise par les Allemands de ne présenter que l'U218, un programme de papier censé amélioré les défauts de l'U214. Un sous-marin dont les Grecs et les Sud-coréens critiquent la conception et la fiabilité opérationnelle. En octobre 2012, lors d'une visite des Singapouriens à Kiel, fief de TKMS et de sa filiale HDW, Hans Christoph Atzpodien confirme à nouveau à ses interlocuteurs que Kockums ne présentera pas d'offre.

Kockums torpillé

Au début de cette année, TKMS décide également que sa filiale suédoise changerait de nom pour ThyssenKrupp Marine Systems, abandonnant ainsi la marque Kockums, utilisée depuis le début du 19è siècle (1840). Enfin, au cours de la dernière semaine d'août 2013, le PDG de TKMS explique lors de la visite à Kiel, Hambourg et Eckenförde de la DSTA et du comité d'évaluation que le chantier suédois n'est plus en mesure de concevoir des sous-marins de nouvelle génération.

Très clairement, Kockums est torpillé par sa maison mère, qui lui a interdit de présenter une offre technique et commerciale malgré les signes encourageants de la marine et de la DSTA singapouriennes. Toutefois, TKMS autorise Kockums à continuer à entretenir les sous-marins suédois en service dans la marine de Singapour.

Colère de Stockholm

Le nein allemand a été très durement ressenti en Suède, qui pour des raisons budgétaires a été obligé en septembre de décaler de deux ans le lancement de l'A26. La direction suédoise de l'armement (FMV, Försvarets MaterielVerk) et Kockums comptaient aussi sur un succès à Singapour, qui aurait été associé à ce programme A26 via des transferts de technologies, pour son développement.

Mais le pire est peut-être à venir. Les Suédois craignent maintenant que TKMS adopte la même stratégie pour le futur appel d'offre australien (le projet SEA 1000 qui porte sur l'acquisition de douze sous-marins). L'Australie souhaite renouveler sa flotte sous-marine composée de Collins, un sous-marin développé à partir du design de Kockums (la classe Gotland). Un choix qui a été fait en 1987.

Le groupe allemand a déjà déclaré vouloir placer l'U216, un nouveau design d'un sous-marin de 3.000 à 4.000 tonnes de HDW. Dans cette perspective, TKMS, qui a acheté la société Australian Marine Technologies, basée à Melbourne, ne compte pas profiter de la relation de confiance créée entre Kockums et la marine australienne.

Vers une mort de Kockums ?

Privé de concourir à Singapour et en Australie pour ne pas faire de l'ombre à TKMS, Kockums, qui sans contrat export ne peut survivre, va-t-il baisser pavillon ? Le FMV envisage aujourd'hui de faire jouer sa "golden share" dont il dispose dans Kockums pour forcer TKMS à vendre la chantier naval à Saab, très actif dans le domaine des équipements navals (radars, systèmes de combat, missile mer-mer).

Car selon le journal suédois, "The Local", qui cite une source allemande proche du dossier, le rachat de Kockums n'était pas destiné à consolider l'industrie de construction navale et à créer des synergies, mais bien à se débarrasser d'un concurrent.