Russie : pourquoi une annulation du contrat Mistral serait préjudiciable à la France

Par Michel Cabirol avec agences  |   |  1111  mots
Le Vladivostok un contrat de 1,1 milliard d'euros : 660 millions pour STX, 430 millions pour DCNS et 30 millions pour Navco (DCI)
Le ton monte entre la Russie et la France sur le contrat des deux Bâtiments de projection et de commandement. Paris a plus à perdre qu'à y gagner à annuler cette commande.

La Russie a averti jeudi la France qu'elle "fera valoir ses droits jusqu'au bout" en cas de rupture du contrat de livraison de deux navires militaires de type Mistral pour 1,1 milliard d'euros, en raison de la crise ukrainienne. Le vice-ministre russe de la Défense, Iouri Borissov, a lancé cette mise en garde au moment même où Paris reportait de plusieurs mois cette décision difficile, envisagée en raison du rattachement de la péninsule ukrainienne de Crimée à la Russie, que les Occidentaux qualifient d'"annexion".

"En cas de rupture du contrat sur les Mistral, la partie russe fera valoir ses droits jusqu'au bout en vertu des accords passés, et exigera notamment la compensation de tous les préjudices qu'elle pourrait subir", a indiqué le vice-ministre. Il a rappelé que des pénalités étaient prévues dans le contrat passé en 2011 en cas de rupture du contrat. Il n'en a cependant pas cité le montant. "Nous n'en sommes pas là. J'espère que la partie française va tout de même peser le pour et le contre, et prendre la bonne décision", a-t-il poursuivi.

Pourquoi la France a plus à y perdre qu'à y gagner

Iouri Borissov a estimé que la rupture du contrat porterait atteinte à la réputation de la France "face à la communauté internationale". Alors que la France devenue une puissance moyenne peine de plus en plus à exporter ses armements pourtant très performants pour des raisons géostratégique, que vont penser les pays clients de l'industrie d'armement français en voyant la France rompre son engagement avec la Russie ? "La crédibilité internationale est de la France est en jeu", estime un observateur français à l'étranger.

Signé en 2011, le contrat de deux BPC (Bâtiment de projection et de commandement) à la marine russe est un enjeu important pour DCNS (430 millions d'euros), mais c'est surtout pour STX France (660 millions d'euros) à Saint-Nazaire, qui est basé dans la circonscription électorale du Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, que l'annulation risque d'être durement ressentie. L'annonce d'une possible annulation du contrat a suscité la vive inquiétude des salariés des chantiers navals de Saint-Nazaire. Même si l'armateur italo-suisse MSC Croisières vient de choisir les chantiers Saint-Nazaire pour construire ses deux prochains paquebots, un investissement de 1,5 milliard d'euros, avec une option pour deux paquebots supplémentaires.

La Russie, une immense marché naval civil et militaire

Une annulation barrerait définitivement la route de l'immense réarmement naval (civil et militaire) actuel de la Russie (estimé à plus de 50 milliards de dollars) à la France au grand profit des Sud-Coréens très implantés notamment pour l'offshore pétrolier ou des Italiens de Fincantieri dans le militaire.

Par ailleurs, la France est en train de jouer la carte de la Géorgie en proposant des armements à Tbilissi... qui n'a pas de budget et où la concurrence américaine et israélienne est très forte. Enfin, la Pologne, autre enjeu décisif pour l'industrie d'armement française, semble quant à elle curieusement délaissée aux Américains, qui ont envoyé 12 F-16 et 300 hommes. C'est pourtant à Varsovie que les inquiétudes les plus fortes se sont exprimées. C'était l'occasion pour la France de faire valoir sa différence vis-à-vis de Berlin (sur les sous-marins par exemple). Car la tiédeur de l'Allemagne qui dépend à plus d'un tiers de la Russie pour son gaz, a déçu la Pologne.

Une suspension décidée en octobre

Entre annulation et suspension, la France est aujourd'hui dans l'embarras. Le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a déclaré ce jeudi que l'éventuelle suspension de la vente de ces deux porte-hélicoptères serait décidée en octobre, au moment de la livraison du premier exemplaire, le Vladivostok. "La livraison du premier bâtiment a lieu au mois d'octobre, donc la question de la suspension se posera au mois d'octobre", a-t-il souligné. "A condition que ce soit dans un ensemble de mesures" qui pourraient être prises notamment au niveau européen, a ajouté le ministre. Lundi, le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, avait affirmé que la France pourrait "annuler ces ventes" si la Russie ne changeait pas de politique à l'égard de l'Ukraine et de la Crimée.

Le Vladivostok, destiné à la Flotte russe du Pacifique, est déjà construit et a commencé en mars ses essais en mer. Le deuxième exemplaire, le Sébastopol, dont la livraison était prévue fin 2016, est précisément destiné à la Flotte russe de la mer Noire basée dans le port de Crimée dont il porte le nom.

Moscou a versé la moitié du montant

"Soit vous remplissez vos obligations contractuelles et vous livrez les navires dans les délais prévus, soit vous rendez l'argent et la poupe des navires", construite en Russie, a réagi mercredi le vice-Premier ministre russe chargé du complexe militaro-industriel, Dmitri Rogozine. La Russie a déjà versé plus de la moitié du montant de 1,2 milliards d'euros prévu pour les deux navires construits en France, selon des médias russes.

Des sources au sein des chantiers navals russes citées jeudi par le quotidien pro-Kremlin Izvestia ont d'ores et déjà affirmé que la Russie construirait elle-même ces navires si nécessaires. "Nous avons reçu (de la partie française) l'essentiel des plans du Mistral", a affirmé une de ces sources. "Si les Français refusent et d'exécuter le contrat, et de rendre l'argent, alors ils perdent les droits sur ces documents", a-t-elle affirmé. "Si la marine russe le souhaite encore, nous les construirons nous-mêmes", a ajouté cette source.

Un navire simple à faire

"Il n'y a rien de compliqué dans le Mistral, c'est une barge avec un moteur et un pont pour les hélicoptères et les chars", a encore déclaré cette source citée par Izvestia. Une autre source au sein des chantiers navals de la Baltique a affirmé que les transferts de technologie escomptés par la Russie étaient de toutes façons dérisoires. "Le Mistral est un navire construit selon des normes civiles, c'est un banal ferry pour le transport d'automobiles", a déclaré cette source. "Obtenir de nouvelles technologies dans la construction de tels navires pour un pays qui produit des sous-marins nucléaires, ce n'est pas sérieux", a ajouté cette source.

Le contrat, conclu en juin 2011 sous la présidence de Nicolas Sarkozy, constituait une première pour de tels armements entre un pays de l'Otan et Moscou. La construction de deux exemplaires supplémentaires en Russie avait été envisagée.