Exportation d'armes (3/4) : l'Egypte, la divine surprise en 2014

Par Michel Cabirol  |   |  1360  mots
Les industriels de l'armement français sont de retour au Caire
La Tribune vous propose une série sur les nouvelles terres de conquête des industriels de l'armement français. L'Egypte qui s'est offert cette année quatre corvettes pour 1 milliard d'euros, se montre à nouveau intéressé par le Rafale.

Et l'Egypte sera la divine surprise pour les industriels de l'armement français en 2014 en l'absence pour le moment de grands contrats signés par des clients plus traditionnels de la France (Arabie Saoudite, Emirats Arabes Unis, Singapour, Malaisie...) Car DCNS a réussi un véritable coup de maître en Egypte grâce à un "raid" commercial très efficace. En moins de six mois, le groupe naval a vendu au Caire quatre corvettes Gowind de 2.400 tonnes, équipées de son système de combat Setis, pour un montant de 1 milliard d'euros. Une surprise pour une grande partie de la communauté de la défense.

Et ce succès en appelle d'autres peut-être... D'abord pour MBDA qui a déjà signé un petit contrat portant sur l'installation de tirs de ses missiles Exocet MM40 et VL-Mica (50 millions d'euros). Surtout le missilier, qui négocie actuellement avec Le Caire un lot de missiles (entre 300 et 400 millions d'euros), attend cette commande plutôt en 2015. DCNS négocie quant à lui un lot de torpilles (150 à 200 millions d'euros) pour armer les quatre premières corvettes.

Enfin, le groupe naval qui est revenu à la table des négociations à l'issue des fêtes de l'Aïd, espère conclure d'ici à la fin du mois une seconde commande pour deux nouvelles corvettes, face au néerlandais Damen. Soit une commande de l'ordre de 500 millions d'euros budgétés par Le Caire.

Une relation de grande confiance entre Paris et Le Caire

Une commande facilitée par les bonnes relations entre Paris et Le Caire. Le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, le reconnaissait volontiers mi-septembre à l'Assemblée nationale : "L'Égypte est désireuse de travailler avec la France et notre relation est de grande qualité". Une nouvelle commande se jouera avant tout sur des critères "politiques et donc rationnels", explique-t-on à Paris. Les deux pays entretiennent déjà une "très bonne relation dans le domaine de l'armement". Notamment ils ont créé une commission militaire armement stratégie franco-égyptienne (CAMAS), qui permet chaque année aux deux états-majors de balayer l'ensemble des dossiers de coopération.

L'Egypte, qui a une longue tradition d'acquisition d'armements français, souhaite à nouveau ne pas dépendre que des Etats-Unis. Sur la période 2009-2013, l'Egypte a commandé 245,3 millions d'euros aux industriels français. Des flux certes modestes mais réguliers : 71,9 millions en 2009, 16,3 millions en 2010, 43,1 millions en 2011, 49,7 millions en 2012 et 64,4 millions en 2013. Par exemple, Renault Trucks Défense (RTD) a beaucoup vendu en Egypte. Le constructeur de blindés légers et de camions a signé pour plusieurs centaines de millions d'euros de contrats militaires et parapublics avec Le Caire.

Au-delà de l'armement, la France figure parmi les premiers investisseurs étrangers en Egypte. Environ 110 entreprises, représentant  près de 4,3 milliards d'euros de fonds propres en 2012 et employant 30.000 personnes, étaient présentes dans le pays.

Soutien de Paris aux militaires égyptiens

Ces bonnes relations remontent à la position diplomatique de la France avec le retour des militaires au pouvoir en juillet 2013. En avril dernier, le ministère des Affaires étrangères rappelait que la France avait "décidé de poursuivre son dialogue politique avec l'Egypte et de maintenir, au service du développement du pays, la coopération franco-égyptienne". Contrairement aux Etats-Unis, qui ont déçu les militaires égyptiens. Et Paris se félicitait de "l'importance" d'élections en mai dernier "crédibles et transparentes, permettant la participation de tous et répondant aux normes internationales".

Enfin, la France a soutenu en juillet "la proposition, faite par l'Égypte et endossée par la Ligue arabe, d'un cessez-le-feu immédiat, suivi de discussions visant à établir une trêve durable" entre Israël et les Palestiniens de Gaza en plein coeur d'un conflit beaucoup trop sanglant pour les civils, avait expliqué en juillet dernier à l'Assemblée nationale le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius.

Et le Rafale ?

C'est nouveau, tout chaud. Le Caire a exprimé lors de la visite mi-septembre de Jean-Yves Le Drian un intérêt pour le Rafale, confirme-t-on à La Tribune. Une demande qui n'est pas nouvelle. Car déjà au début de l'été 2011, les militaires égyptiens avaient déjà envoyé à Paris une "expression d'intérêt" pour 12 à 20 Rafale. Paris était alors très embarrassé et Dassault Aviation pas intéressé. Pour autant, Paris avait commencé à discuter avec Le Caire pour comprendre le besoin des militaires égyptiens. Des pilotes égyptiens essaieront même le Rafale. Mais cela n'ira pas plus loin. Aujourd'hui, la demande des Égyptiens devra être étudiée de façon plus approfondie.

En attendant, le dossier sur la modernisation de leurs 20 Mirage 2000 EM/BM commandés en décembre 1981 et livrés entre 1986 et 1988, n'avance pas faute d'accord sur le prix. Si Le Caire reste "très intéressé" par cette opération, les Égyptiens la trouvent "trop chère et trop longue". Dassault Aviation et Thales proposent une modernisation de type Inde, sans la dimension air-sol, pour en limiter les coûts. Une proposition que les deux industriels ont également fait au Pérou (12 Mirage). En Egypte, la facture s'élèverait à 900 millions d'euros, voire au-dessus du milliard, selon les différentes sources. De son côté, MBDA propose un lot de missiles air-air Mica pour armer les Mirage 2000 égyptiens. Ce que le missilier européen avait déjà fait en Inde (493 missiles Mica IR/EM pour 959 millions d'euros).

Un dossier explosif sur la défense aérienne

Par ailleurs, MBDA propose au Caire des solutions en vue de rééquiper l'armée égyptienne dans le domaine de la défense aérienne (Air defence) de courte et moyenne portée. Tout comme l'Arabie Saoudite, l'Egypte dispose actuellement de missiles Crotale (Thales). Un dossier qui pourrait être très, très explosifs entre les deux groupes.

Un dossier d'actualité car la Libye qui concentre actuellement toutes les difficultés de la région (guerre civile, trafic d'armes, immigration clandestine, radicalisme islamiste et défaillance de l'État), dispose de frontières poreuses avec l'Égypte.

Qui finance les achats d'armement ?

Pour moderniser son armée, l'Egypte a reçu le soutien financier de l'Arabie Saoudite et des Emirats Arabes Unis (EAU). Car Le Caire, qui vient de conclure une commande d'armes pour un montant de 3,5 milliard de dollars avec la Russie, n'a pas les moyens de financer seul des projets de cette ampleur en dépit d'une croissance de 2,7 % cette année, contre 2,1 % en 2013, selon le rapport de prévisions économiques mondiales du FMI.

Pourquoi ces deux pays financent-ils l'Egypte ? "L'Arabie Saoudite se défend elle-même en défendant le régime militaire égyptien, décrypte le directeur de recherche au CNRS et spécialiste de l'Egypte et du monde arable, Marc Lavergne sur le site internet JOL Press. Elle a une peur bleue des islamistes". C'est pour cela explique-t-il que Ryad "soutient financièrement l'Egypte à hauteur de 12 milliards de dollars". Les Emirats Arabes Unis, farouchement hostiles aux Frères musulmans, ont quant à eux injecté des milliards de dollars en Egypte depuis le renversement de l'ex-président islamiste Mohamed Morsi en juillet 2013.

En outre, la France et les Emirats arabes unis souhaitent "concrétiser" des projets de développement conjoints, prioritairement en Egypte, a assuré début octobre la nouvelle représentante spéciale française pour l'Etat du Golfe. Les deux pays sont "au stade d'identification et de concrétisation d'un certain nombre de projets à dimension sociale, humanitaire et politique pour accompagner le développement du pays, et aussi à dimension plus technologique ou économique, par exemple d'alimentation et l'énergie". Une nécessité dans ce dernier domaine car le pays est sujet à des coupures d'électricité quotidiennes. Jusqu'à huit heures par jour. Début septembre, une gigantesque coupure a privé une grande partie du Caire (plus de 20 millions d'habitants) d'électricité en raison d'une "panne", qui a paralysé le métro en pleine heure de pointe.

Lire ou relire l'ensemble de la série :

Exportation d'armes (1/4) : l'Indonésie sera-t-elle le nouveau filon de la France ?

Exportation d'armes (2/4) : la France profitera-t-elle de sa bonne image au Pérou ?

Exportation d'armes (4/4) : Bolivie, un coup commercial et puis plus rien ?