Ariane 6 : c'est "nein" pour l'Allemagne

Par Michel Cabirol  |   |  672  mots
Le futur lanceur européen fait l'objet d'une négociation très dure entre la France et l'Allemagne
A la veille de la réunion informelle des ministres européens de l'espace à Cologne, l'Allemagne reste arc-boutée sur le programme Ariane 5 ME. C'est ce que rappelle dans un courrier la secrétaire d'État allemande chargée du dossier spatial au patron de l'Agence spatiale européenne, Jean-Jacques Dordain.

C'est "nein" pour Ariane 6. Dans un courrier adressé le 10 octobre dernier au directeur général de l'Agence spatiale européenne (ESA) Jean-Jacques Dordain, que "La Tribune" s'est procuré, la secrétaire d'État allemande chargée du dossier spatial, Brigitte Zypries, reste très, très sceptique sur la proposition des industriels concernant le futur lanceur européen, Ariane 6. Elle l'était déjà après la réunion des ministres de l'Espace des pays membres de l'ESA réunis pour un point d'étape le 23 septembre dernier.

Brigitte Zypries l'est d'autant plus qu'elle a relevé que le design de l'étage supérieur cryogénique propulsé par le moteur Vinci a changé entre le projet présenté le 23 septembre et celui proposé le 9 octobre par les industriels. Ce qu'elle a d'ailleurs très peu goûté. "J'ai été confronté (lors d'une réunion avec les industriels, ndlr) à des documents montrant clairement que le concept de l'étage supérieur est différent de celui décrit dans le document du 23 septembre. Particulièrement, la position des réservoirs doit être changée, ce qui exigerait significativement un plus grand carénage".

Et si Berlin avait raison ?

Aussi, elle demande à Jean-Jacques Dordain une "clarification sans délai". La secrétaire d'État allemande souhaite savoir si l'étage supérieur d'Ariane 5 ME, un programme de modernisation d'Ariane 5 que la France veut écarter, peut être utilisée tel quel pour Ariane 6 ou s'il doit faire l'objet de nouveaux développement. Cette "question est très importante pour une nouvelle évaluation", estime-t-elle. Dans sa réponse le 14 octobre, que La Tribune s'est également procuré, Jean-Jacques Dordain exprime sa surprise. Il rappelle que l'étage supérieur d'Ariane 5 ME reste un "élément commun" aux deux lanceurs, tout en précisant toutefois que "quelques adaptations sont en tout cas nécessaire" en vue d'intégrer l'étage supérieur d'Ariane 5 ME sur Ariane 6, qui a un "diamètre plus petit qu'Ariane 5".

Pour Brigitte Zypries, il est clair qu'en "raison du manque de temps, une préparation solide et une analyse d'Ariane 64 et d'Ariane 62 ne peuvent pas avoir lieu". Ce qui ne serait pas le cas si l'ESA maintient le programme Ariane 5 ME. "La finalisation d'Ariane 5 ME nous donnerait ce temps", estime la secrétaire d'État. Et de souligner que "les décisions ne doivent pas être prises sous la pression de l'urgence" mais "sur la base de faits confirmés et dans des conditions de cadre de façon fiable définies". Elle estime que le dossier Ariane 6 n'est pas encore consolidé techniquement et financièrement et reste à la merci de trop d'incertitudes, notamment les risques pris par l'industrie.

Berlin veut Ariane 5 ME

Dans ce contexte, Brigitte Zypries confirme à Jean-Jacques Dordain qu'une "finalisation d'Ariane 5 ME fait sens" pour l'Allemagne. Elle rappelle d'ailleurs que la modernisation du lanceur Ariane 5 a été "confirmée" à l'issue d'une revenue du programme comme cela avait été adopté à la conférence ministérielle de l'ESA de Naples. Ce qui n'a pas été le cas pour le projet Ariane 6 PPH. Pour autant, Brigitte Zypries ne ferme pas la porte à un nouveau projet. "Nous sommes ouverts pour faire face à des situations changeantes, de nouvelles idées et de nouveaux développements", explique-t-elle.

Un mois plus tard, la position de l'Allemagne n'a pas changé d'un pouce. Et ce n'est pas le courrier de Jean-Jacques Dordain qui a convaincu Berlin de rouler pour Ariane 6 même si le patron de l'ESA a promis beaucoup (trop?) à l'Allemagne. Notamment que le programme Ariane 6 reprendrait "tous les investissements" allemands réalisés pour Ariane 5 ME et respecterait "entièrement" le retour géographique en faveur de l'industrie allemande. Selon nos informations, la situation s'est même durcie entre Berlin et Paris. Devant un tel blocage, certains pays demanderaient même un report de la conférence ministérielle des Etats membres de l'ESA, qui doit se tenir début décembre à Cologne. Comme toujours dans l'espace à la veille d'un grand rendez-vous, la dramaturgie est à son comble...