Airbus : le casse-tête de la remotorisation de l'A380

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  1803  mots
Depuis son lancement en 2000, l'A380 a enregistré 318 prises de commandes
Sept ans seulement après sa mise en service, le super-jumbo d'Airbus ne rencontre pas le succès espéré et les compagnies demandent une amélioration des performances. Parmi les schémas étudiés, une remotorisation de l'appareil constitue la priorité. Mais les défis à relever sont immenses. En décembre, l'éventualité de l'arrêt du programme d'ici à la fin de la décennie a été évoquée par certains dirigeants d'Airbus Group si les ventes ne repartaient pas.

Améliorer l'A380 pour tenter de relancer les ventes ou arrêter le programme dans quelques années, comme certains dirigeants d'Airbus Group l'ont évoqué en décembre dernier devant des investisseurs. Sept ans seulement après la mise en service du super-jumbo, c'est la terrible problématique à laquelle est aujourd'hui confronté Airbus.

Les compagnies veulent un avion plus performant

Car, si le carnet de commandes assure encore quatre ans ou cinq ans de production à son rythme actuel de livraisons (30 par an), l'appareil est loin de rencontrer le succès espéré auprès des compagnies puisque seuls 318 A380 ont été commandés depuis le lancement du programme en 2000, dont 140 par un seul client, la compagnie de Dubai, Emirates. Pis, à l'exception de cette dernière, les commandes ont été rarissimes au cours des dernières années. Plébiscité par les passagers pour son confort et son silence, l'A380 se vend mal. Et les transporteurs demandent déjà une amélioration de ses performances opérationnelles. Il y a quelques années, une partie d'entre eux plaidaient pour le lancement au plus vite d'une version allongée, l'A380-900. Prévue au lancement du programme, une telle version permettrait, avec une bonne soixantaine de places en plus, de diminuer les coûts au siège. Aujourd'hui, si certaines compagnies n'ont pas renoncé à ce projet, la grande majorité d'entre elles demandent plutôt une remotorisation de l'A380 avec des moteurs plus performants, comme le fait Airbus avec l'A320 et l'A330. C'est le cas d'Emirates et de Qatar Airways.

«Dans les principes, il est probable que la remotorisation est acquise», indiquait le 7 janvier à Doha Didier Evrard, Executive Vice-président d'Airbus en charge des programmes, en aparté de la présentation de l'A350 de Qatar Airways.

Si Airbus décidait de bouger, la première étape serait la remotorisation, indiquait la semaine dernière John Leahy, en aparté de la présentation des résultats commerciaux d'Airbus. «La motorisation est prioritaire», confime une autre source au sein d'Airbus.

Décision cette année?

Pour le président d'Airbus, Fabrice Brégier, pour qui «les meilleures années de l'A380 sont devant lui», la priorité reste d'engranger de nouvelles prises de commandes, notamment cette année. Pour autant, Airbus Group ne devra pas trop tarder pour trancher. Cette année ou l'an prochain, selon John Leahy, alors même que certains brokers parient sur une annonce au premier semestre de cette année. Ceci pour assurer une transition entre la production de la version actuelle et celle d'un appareil amélioré. Les quatre à cinq ans de production que garantit le carnet de commandes actuel (voire plus en baissant les cadences de production) correspond peu ou prou à la durée minimale de développement d'un programme de remotorisation de l'380 Neo, beaucoup plus complexe que celui de l'A330 Neo, prévu en trois ans et demi.

Quel marché pour les très gros-porteurs?

Toutefois, la décision de lancer ou pas un A380 Neo s'annonce extrêmement compliquée à prendre. Et ce, pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, se pose évidemment la question du marché et de l'environnement concurrentiel. «C'est un très petit marché, que nous dominons», reconnaît aujourd'hui John Leahy. L'écart entre les études de marché d'Airbus au moment où l'avionneur a commencé à plancher sur le projet A380 au milieu des années 1990 et la réalité a douché les prévisions des plus optimistes. En 2000 en effet, quand l'A380 a été lancé, Airbus estimait le marché des très gros-porteurs, que devait se disputer l'A380 et le B747 au cours des vingt prochaines années, à 1.200 appareils. Quinze ans plus tard, on est loin du compte. Les deux mastodontes ont enregistré seulement un peu moins de 550 commandes : 318 pour l'A380, 214 pour le B747 (essentiellement pour ce dernier dans la période précédant l'entrée en service de l'A380 en 2007 et dans la version cargo).

Les quadriréacteurs concurrencés par les gros avions à deux moteurs plus économiques

Les deux quadriréacteurs ont été confrontés à la concurrence du B777-300ER, un biréacteur, aux coûts d'exploitation largement inférieurs pour une capacité à peine moins importante que celle de l'A380 et du B747 (365 sièges en version tri-classes, contre 525 sièges pour l'A380 - et beaucoup moins dans la configuration luxueuse choisie par un grand nombre d'opérateurs - et 416 sièges pour le B747-400, puis 467 pour son successeur mis en service en 2010, le B747-8). Mis en service en 2004, au moment même où le prix du pétrole commençait à grimper, le B777-300ER qui peut consommer moins de 2,5 litres au 100 km par passager, s'est vendu comme des petits pains. Il a notamment raflé la quasi-totalité du marché du renouvellement des B747 qu'Airbus visait initialement et d'une manière générale a sérieusement compromis l'avenir des avions à quatre moteurs.

Congestion des aéroports

Néanmoins, les arguments avancés à l'époque pour justifier la pertinence de l'A380 sont encore valables. Airbus rappelle qu'en doublant tous les 15 ans, le trafic de passagers va se concentrer sur les grands hubs et accentuer la congestion des aéroports, sur lesquels les compagnies aériennes n'auront d'autres solutions, pour croître, que d'augmenter la taille des avions.

«En 2018, 90% du trafic long-courrier mondial sera concentré sur 42 routes. En 2023, 71 routes accueilleront 95% du trafic, et en 2030, la quasi-totalité du trafic long-courrier sera concentré sur 91 lignes », explique John Leahy.

Ce dernier pointe notamment les problèmes de saturation pour les départs des vols de nuit, les plus demandés par la clientèle sur les vols long-courriers. L'association internationale du transport aérien (Iata) partage cette vision sur le risque de sous-capacité. Seuls six aéroports exploitent leurs capacités pistes à au moins 90%. Ils seront 63 en 2020 et 125 en 2030, si rien n'est fait d'ici là. Des prévisions qui confortent l'idée d'avions de grande capacité. Un marché que vise également Boeing avec son futur B777 9X, une version allongée, améliorée et remotorisée du B777-300 ER, d'une capacité de 404 sièges (en version tric-classe) qui s'annonce imbattable en coûts d'exploitation. La mise en service de cet appareil est prévue à l'horizon 2020. Le risque est grand que le schéma d'une concurrence de l'A380 par le B777 se perpétue avec une remotorisation de l'A380.

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Convaincre les motoristes

Du coup, difficile de convaincre les motoristes, déjà refroidis par la faiblesse des ventes actuelles, d'investir dans un nouveau moteur dont le retour sur investissement est incertain, «C'est la question», explique Didier Evrard.

Quand bien même un motoriste se jetait à l'eau, la remotorisation de l'A380 pose d'autres questions sur le plan technique Et notamment celle de la capacité à fabriquer aujourd'hui un moteur qui soit, demain, un véritable «game changer» afin d'apporter des économies significatives en termes de réduction de coûts comme c'est le cas pour l'A320 Neo et l'A330 Neo.

«Un programme de remotorisation ne se justifie que s'il y a deux générations de moteurs d'écart entre le nouveau et l'ancien réacteur pour apporter 18 à 20% de réduction de la consommation de carburant. Si une remotorisation n'apporte que quelques pourcents de gains supplémentaires, elle n'a aucun intérêt », explique un expert aéronautique.

Les moteurs actuels de l'A380, les Trent 900 de Rolls Royce et le GP7200 d'Engine Alliance (General Electric et Pratt&Whitney), étant, à une génération près, proches des moteurs les plus récents, il sera très compliqué, dans un temps très court, de franchir une autre étape d'amélioration.

Des moteurs efficaces seraient-ils suffisants?

Pis selon la même source, même si elle était disponible, une telle motorisation ne permettrait pas au super-jumbo d'Airbus de rapprocher ses coûts au siège et ses coûts à l'étape de ceux des Airbus A350-1000, la plus grosse version de l'A350 (avec 380 passagers), prévus en 2017, et des futurs B777-9X.

Pour d'autres spécialistes néanmoins, un dérivé du Trent 1000 de Rolls Royce (qui propulsera l'A330 Neo), ou du Genex de General Electric (qui équipe aujourd'hui les B787 et les 747-8), peuvent apporter une solution intéressante à un A380 Neo.

Autre complexité pour autant, «pour qu'elle soit efficace en termes de consommation spécifique de performances acoustiques extérieures, une nouvelle motorisation de l'A380 devrait passer par un élargissement du diamètre de son fan (la soufflante, composée de pales de grande dimensions, ndlr), or, même si l'on peut gagner un ou deux pouces en redessinant les pylones, la géométrie de l'avion ne permet pas un élargissement important. Pour que l'A380 soit compatible avec les règles acoustiques en vigueur à Londres (règles QC2), comme l'exigeait Singapore Airlines en 2000, le diamètre du fan a déjà été élargi en passant de 110 à 116 pouces, quasiment au maximum de ce que permettait la géométrie de l'avion. Si l'on veut augmenter le diamètre du fan, il faudrait augmenter le train d'atterrissage. Vu le nombre de milliards d'euros que cela nécessiterait, c'est irréaliste », fait valoir un autre spécialiste.

Valeur résiduelle

Enfin, comme tout projet de remotorisation, celle de l'A380 pose la question de la valeur résiduelle des avions de la version actuelle qui restent à livrer, au moment de l'annonce d'une remotorisation de l'avion. Cette valeur est déjà entamée par les faibles perspectives de l'A380 sur le marché de l'occasion, en raison notamment de la complexité du réaménagement des cabines qui ont été faites sur-mesure pour des compagnies voulant pour l'essentiel offrir un service haut de gamme.

Quelles alternatives?

Aussi, certains experts penchent davantage pour le lancement d'une version allongée (et optimisée par l'introduction de pièces en matériaux composites pour alléger l'avion) qui permettrait de manière automatique de baisser les coûts au siège de l'avion tout en positionnant l'A380 seul sur une niche, loin de la concurrence du B777. Quitte ensuite à remotoriser l'appareil dans un second temps (d'ici à une dizaine d'années) une fois développés de nouveaux moteurs permettant un gain d'au moins 15% de la consommation de carburant. D'autres plaident pour une amélioration progressive qui passerait par une d'optimisation de l'appareil à l'horizon 2020 avant de lancer ultérieurement une version remotorisée, avec des réacteurs plus performants, accompagnée d'une version allongée. Pour autant, une version allongée nécessiterait des investissements de la part des aéroports.

Quoi qu'il en soit, personne n'imagine la fin du programme dans quatre ans. En termes d'image et de symbole, l'A380 est le vaisseau amiral sur lequel s'est construit EADS (aujourd'hui Airbus Group), lancé la même année que l'A380, en 2000.