Armement : les cinq clés de la réussite de la France à l’export

Par Michel Cabirol  |   |  1293  mots
Après un trou d'air en 2012 (4,8 milliards), les ventes d'armes « Made in France » ont depuis véritablement décollé : 6,8 milliards en 2013, 8,2 milliards en 2014 et enfin 16,9 milliards en 2015.
En 2015, la France a exporté pour 16,9 milliards d’euros de systèmes d’armes. Un record incroyable… "Pourquoi les armements Made in France s'arrachent à l'export", sera l'un des sujets du Paris Air Forum (organisé le 21 juin à la Maison de la Chimie par La Tribune).

Sous-marins Shortfin Barracuda vendus à l'Australie, avions de combat Rafale à l'Égypte et au Qatar, frégate FREMM à l'Égypte et au Maroc, satellites-espions aux Émirats Arabes Unis, au Maroc, au Pérou... Depuis trois ans, la France cartonne à l'exportation partout dans le monde. Après un trou d'air en 2012 (4,8 milliards d'euros), les ventes d'armes « Made in France » ont depuis véritablement décollé : 6,8 milliards en 2013, 8,2 milliards en 2014 et enfin 16,9 milliards en 2015.

Et l'année 2016 pourrait être également un excellent cru grâce au succès de DCNS en Australie, qui a acheté douze sous-marins Shortfin Barracuda si... le contrat est signé avant la fin de l'année. Sur un programme de 34,5 milliards d'euros, les industriels français peuvent espérer gagner 10 milliards d'euros de chiffre d'affaires environ. La France joue aujourd'hui dans la cour des très grands avec les États-Unis et la Russie, alors qu'elle remportait jusqu'alors en moyenne 5 à 6 milliards d'euros de prises des commandes chaque année.

1/ Jean-Yves Le Drian, le chef d'orchestre

Pourquoi un tel succès ? Cinq clés l'expliquent : le duo efficace Le Drian/Hollande à la tête de l'équipe de France export, la légitimité de la France à signer des partenariats stratégiques, un contexte géopolitique favorable aux ventes d'armes, une offre française opérationnelle de qualité (« combat proven ») et, enfin, la capacité des industriels tricolores à gérer les transferts de technologies. Les mérites de Jean-Yves Le Drian sont connus, ceux de François Hollande un peu moins. « Le président a un réel savoir-faire », confirme un grand commercial, pourtant peu suspect de sympathie pour le Chef de l'État. Durant les trois dernières années, ce duo très rodé a largement aidé les industriels français à remporter de nombreux succès à l'export.

La méthode de Le Drian, qui peut désormais s'appuyer sur une équipe de France soudée, est désormais bien connue. Elle a fait largement ses preuves. Le ministre de la Défense entretient de bonnes relations avec la plupart de ses homologues internationaux ainsi qu'avec certains des principaux dirigeants de la péninsule arabique. Une région clé pour la France, car très prolifique en matière de contrats : sur les 43,3 milliards de prises de commandes entre 2011 et 2015, plus de la moitié a été signée par les pays du Proche et Moyen-Orient (23,4 milliards).

Son mode opératoire ? L'accompagnement politique. « Dès les premières rencontres, chacun doit bien jouer sa partition dans son domaine, explique-t-il. Ce n'est pas au ministre de la Défense d'arriver dans un pays avec le catalogue de produits des industriels. En revanche, je m'attache à créer une relation politique de confiance entre la France et les pays intéressés par les équipements français à travers un partenariat stratégique. Enfin, je facilite si nécessaire la mise en place d'une coopération industrielle pour réunir le maximum de chances d'aboutir à une décision favorable pour la France ».

2/ Des partenariats stratégiques

L'une des forces de la France dans le domaine de l'exportation est sa capacité à signer des partenariats avec des pays dans le monde entier en raison de sa légitimité diplomatique (membre permanent au conseil de sécurité de l'ONU) et militaire (nombreuses opérations extérieures). Ainsi la France peut mener des dialogues stratégiques avec des pays aussi divers qu'Israël, la Malaisie, Singapour, le Chili, le Pérou, l'Allemagne, la Pologne...  Au final, les pays partenaires de la France en matière d'exportations d'armement tissent des relations qui vont bien au-delà d'une simple relation commerciale.

Par exemple, un contrat majeur tel que Prosub (sous-marins) signé au Brésil en 2009 verrouille ce grand pays émergent pendant 30 ans dans ce qu'il a de plus stratégique et intime : sa défense. Tout comme l'Égypte (Rafale, FREMM, satellites...). Ce sera le cas aussi si la France parvient enfin à signer les contrats Rafale en Inde et en Australie avec les sous-marins Shortfin Barracuda. Un succès que DCNS doit en partie à la marine française, une marine océanique de très haut niveau. Cette capacité était recherchée par la marine australienne pour ce partenariat stratégique France / Australie.

3/ Un contexte géopolitique favorable

Bien sûr le contexte géopolitique favorise les ventes d'armes ... Tout comme les grands pays exportateurs d'armements, la France en profite. D'autant qu'elle s'est résolument engagée dans une lutte contre les mouvements djihadistes, en particulier ceux qui contrôlent des territoires et utilisent leurs ressources pour menacer sa sécurité. Dans un même temps, la crise ukrainienne a reposé, de façon inédite depuis de nombreuses années, la question de la sécurité internationale et de la stabilité des frontières sur le continent européen lui-même.

La France a également su profiter de la brouille de certains pays avec les États-Unis. C'est le cas par exemple de l'Égypte, dont les relations bilatérales avec les États-Unis se sont très nettement refroidies à la suite de l'éviction de l'ancien président Mohamed Morsi en 2013. En deux ans (2014 et 2015), Paris a profité de l'absence des États-Unis en vendant au Caire pour 6,2 milliards d'euros d'armements : 24 Rafale armés, quatre corvettes Gowind et une frégate FREMM. D'autres pays comme le Qatar sont des clients plus traditionnels des industriels français.

4/ Des armements de haute technologie

Les industriels français disposent d'une panoplie d'armements en tout genre qui intéresse les armées du monde entier : avions, satellites-espions, blindés, navires de guerre, missiles... Des matériels en outre souvent labellisés « combat proven » (éprouvés au combat) grâce aux très nombreuses opérations extérieures auxquelles participe l'armée française : Côte d'Ivoire, Libye, Mali, Syrie, Irak... Ce qui est indéniablement un plus pour les commerciaux des groupes d'armement français quand ils présentent leurs produits aux pays intéressés. C'est bien sûr le cas du Rafale qui a été le premier avion de la coalition à être entré dans l'espace aérien libyen. Pour autant, le label « combat proven » n'est pas toujours synonyme de succès à l'export. Ainsi, le VBCI de Nexter pourtant très impressionnant au Mali, n'a toujours pas trouvé son premier pays export en dépit de nombreuses marques d'intérêt.

En outre, ce que la France vend le mieux c'est très souvent du matériel de haute technologie (satellites, Rafale, hélicoptères, frégates FREMM, sous-marins...). Et ce en dépit d'un débat récurrent en France depuis une dizaine d'années entre les partisans de plus de rusticité et ceux qui recommandent de développer des technologies pour garder un temps d'avance sur les pays émergents.

5/ Un savoir-faire dans les transferts de technologies

Pour les industriels de la défense français, il n'y a qu'une règle qui compte en matière de transfert de technologies (ToT) : "Take it or leave it". Car les ToT ne sont déjà plus une option pour l'industrie française, mais une réelle nécessité pour le gain de contrats à l'export, expliquent-ils. "Il ne faut pas être bloqué par les transferts de technologies et il ne faut pas non plus en avoir peur. Il s'agit simplement de respecter le client et ses demandes", explique un industriel interrogé.

Et cela marche aussi bien en Corée du Sud pour Airbus Helicopters (programme LAH) qu'en Australie, en Inde et au Brésil pour DCNS (sous-marins Shortfin Barracuda Scorpène). Les industriels français ont un réel savoir-faire. Mais la France est-elle armée pour remporter une course poursuite sans fin avec un budget de Recherche & Technologies beaucoup trop modeste de 730 millions d'euros par an depuis plusieurs années?