"La Belgique a acheté un avion furtif sur une décision de l'OTAN" (Stavros Kelepouris, Knack)

Par Propos recueillis par Michel Cabirol  |   |  1116  mots
"Les missions SEAD (Suppression of enemy defenses) ne sont pas des missions que la Belgique est traditionnellement habituée à mener", a expliqué à La Tribune le journaliste flamand, Stavros Kelepouris. (Crédits : © Peter Nicholls / Reuters)
Dans une passionnante enquête publiée le 8 octobre dans Knack, un hebdomadaire flamand, le journaliste Stavros Kelepouris montre comment la Belgique avec l'OTAN comme donneur d'ordres, a subtilement orienté l'appel d'offres vers un choix inexorable en faveur de l'avion de combat américain F-35. "C'est possible d'avoir une compétition et de construire, en même temps, cette compétition afin qu'un candidat ait un avantage sur certains points", explique-t-il dans une interview accordée à La Tribune. Tout est dit...

Après avoir lu votre enquête sur la façon dont la Belgique a écrit et mené l'appel d'offres pour l'achat de nouveaux avions de combat, on a la très nette impression que les militaires belges ont tout fait - mais de façon très subtile - pour orienter le choix vers le F-35. Est-ce votre avis ?
Ce que je voulais montrer dans mon enquête, c'est que dès le tout début du processus, il y a eu plusieurs marqueurs dans l'appel d'offres, qui indiquaient que cela devait être le F-35. Toutefois, cela ne veut pas dire que la compétition était totalement faussée. C'est plus subtil. C'est possible d'avoir une compétition et de construire, en même temps, cette compétition afin qu'un candidat ait un avantage sur certains points. D'ailleurs, l'avion de combat Eurofighter est allé jusqu'au bout de cette compétition. Quels sont ces marqueurs qui laissaient suggérer un choix orienté ? C'est clairement l'exigence de furtivité. Le F-35 est l'avion le plus moderne et le plus avancé qui inclut cette technologie.

La furtivité est l'un des points forts du F-35 pour remplir des missions sur des zones où il y a de fortes capacités sol-air (mission Suppression of enemy defenses - SEAD). Est-ce une demande de l'OTAN pour que la Belgique ait un avion furtif ?
Oui, selon mes sources. Parmi les nouvelles missions que le nouvel avion de combat belge devra assurer, il y a des missions exigeant des capacités de furtivité. Un des arguments de l'armée et du ministère de la Défense pour expliquer que la compétition restait ouverte, était de dire que les missions SEAD n'impliquent pas forcément la furtivité. C'est vrai, vous pouvez faire des missions SEAD sans être furtif mais la furtivité aide bien sûr si vous disposez d'un avion qui détient ce genre de capacité moderne et éprouvée... Même si beaucoup d'avions ont ce type de capacités, tout le monde sait bien que le F-35 dispose des capacités de furtivité les plus avancées. Un des critères de l'appel d'offres était que l'avion devait être capable de réduire sa détectabilité à différents niveaux... Donc bien évidemment, plus l'avion est furtif, plus votre score sera meilleur dans la compétition.

Donc le F-35 avait une capacité cruciale pour remporter la compétition...
... Si vous évaluez les candidats pour une offre dont la furtivité est une mission cruciale, bien sûr que le F-35 aura un grand avantage. Mais pour être clair, il n'y a aucun problème de demander à un avion d'être doté d'une telle capacité. Si votre pays exige de tels besoins, vous devez l'avoir. Mais les missions SEAD ne sont pas des missions que la Belgique est traditionnellement habituée à mener. C'est ce point qui est étrange et remarquable, que cette mission ait été incluse dans l'appel d'offres. Ce point n'a jamais été discuté en profondeur avec le Parlement. Les missions SEAD sont des missions plus dangereuses que ce que fait la Belgique habituellement. C'est un point qui aurait dû être  évoqué démocratiquement avec le Parlement.

La Belgique n'a jamais évoqué la mission nucléaire dans l'appel d'offres. Pourquoi ?
De ce que j'en sais, l'offre belge n'incluait aucune mention au sujet d'une capacité nucléaire. Je pense vraiment que c'était une bonne chose. Premièrement, cela aurait voulu dire qu'il existe officiellement des armes nucléaires sur le sol belge. Officiellement ce n'est pas le cas, même si beaucoup de monde pense le contraire. Ce point n'a jamais été admis officiellement. Par conséquent, dans le processus de sélection, rien n'a jamais été officiellement évoqué sur les capacités nucléaires du futur avion de combat belge. Donc je ne suis pas sûr que ce soit un point qu'on peut prendre en considération. Mais bien sûr, si - et je dis bien si - on prend l'hypothèse que l'on veut le F-35 pour ses capacités nucléaires, vous pouvez bien sûr orienter l'appel d'offres pour que le F-35 gagne à la fin sans mentionner le besoin de capacité nucléaire.

Avec le F-35, la force aérienne belge va changer de dimension avec des missions SEAD. Mais en même temps, le F-35 n'est semble-t-il pas fait pour de la police du ciel, qui est l'une des missions traditionnelles de la force aérienne belge ?
Oui je suis d'accord. Mes enquêtes et les documents, que j'ai pu voir, montrent que la Belgique a accepté en 2013 de suivre les décisions de l'OTAN en décidant d'acheter des avions furtifs pour des missions de guerre comme des missions SEAD dans lesquelles la Belgique n'a quasiment pas d'expérience. Je suis d'accord que le F35 va certainement changer la capacité aérienne belge en termes de dimension.

Avez-vous l'impression que le gouvernement belge et notamment le N-VA a été honnête par rapport à tous les autres candidats autres que Lockheed Martin?
C'est une question difficile... Quand le Premier ministre a décidé de reporter sa décision, c'était très clair que la seule raison pour laquelle il avait fait cela était pour donner plus de temps à l'offre française à base du Rafale. Je suis désolé de le dire, elle n'a jamais été une véritable offre. La Belgique n'aurait jamais pu décider d'acheter ou non le Rafale car elle n'a jamais su combien cela lui aurait coûté. Or le Premier ministre a vraiment voulu donner plus de temps aux Français pour finaliser leur offre. Donc si votre question porte sur le fait que les politiques belges étaient fortement liés à Lockheed Martin ? Peut-être car il est vrai que Lockheed Martin a mené des opérations de lobbying très influentes depuis 2008-2009. Donc avaient-ils eu beaucoup de contacts avec Lockheed Martin ? Probablement. Mais, cela est-il grave ? Non, je ne le pense pas. Notre Premier Ministre a même montré qu'il avait plus de liens avec l'offre française. Je ne pense pas que cela pose un problème du moment que cela n'a pas eu d'influence sur la décision à la fin. Ce que je pense vraiment en revanche, c'est qu'en Belgique il nous faut plus de moyens de contrôle des lobbies et être plus transparent concernant les lobbies. Car tout est couvert d'un voile de secret. Ce qui serait une bonne chose c'est que les ministères et les cabinets consignent les tentatives d'approches de compagnies étrangères pour qu'il n'y ait pas de discussion à ce propos, au moins sur les processus de décision.