"Les ETI françaises s'en prennent plein la gueule face aux grands groupes" (PDG Trescal)

Par Propos recueillis par Michel Cabirol  |   |  828  mots
Il y a actuellement une vraie déficience dans la formation des acheteurs dans les grandes entreprises industrielles
A la tête d'une ETI de plus de 200 millions d'euros de chiffres d'affaires, Olivier Delrieu estime dommageable les économies de court terme exigées par les grands groupes à leurs fournisseurs. Il préconise en revanche une approche plus globale d'une réduction des coûts.

La Tribune : Pourquoi les relations se tendent à nouveau entre maitres d'œuvre et fournisseurs?
Olivier Delrieu : A partir du moment où les maîtres d'œuvre doivent monter en cadence, le problème pour eux n'est plus de gagner 3 % ou 4 % d'économies par an sur leurs fournisseurs mais de faire en sorte qu'ils aillent très bien pour augmenter les cadences de production. Aujourd'hui, ce n'est plus tout à fait le cas.

Est-ce donc le retour à la période des plans de performance dans toute l'industrie?
Dans la filière aéronautique, il existe deux familles. Celle qui pense filière, c'est-à-dire qui essaie de réfléchir, de solidifier, d'enrichir la « supply chain ». Si un maillon faible pose des problèmes à toute la filière, il existe une volonté commune de résoudre les problèmes. Des groupes comme Airbus, Dassault, Safran, Thales, etc... le font très bien, surtout dans la phase de montée en cadence qu'ils traversent. Mais il y en a d'autres qui sont toujours restés dans un mode opératoire antédiluvien et qui raisonne ainsi : "ce qui compte c'est d'extraire à mon fournisseur 5 à 10% d'économies par an". C'est clairement la caricature de l'acheteur automobile qui existait il y a quelques années. L'aéronautique, qui est restée une industrie de prototypes, se tourne de plus en plus vers les pratiques d'achats de l'automobile, une industrie de série.

En tant que sous-traitant de rang 1, qu'est-ce qu'il serait intelligent de faire pour un maitre d'œuvre?
En France, on encense régulièrement les ETI. Mais elles s'en prennent quand même plein la gueule face à des services achats des grands groupes. Il y a une vraie déficience dans la formation des acheteurs dans les grandes entreprises industrielles. Notamment dans leur capacité à évaluer la situation globale de l'entreprise et à étudier les coûts complets. Les directions achats ne rentrent plus dans la notion de coût total. Elles se contentent de regarder juste le coût d'achat d'un produit. Pourtant, notre industrie a la capacité de faire de l'asset management (gestion d'actifs, ndlr). Ce thème a eu son heure de gloire dans certaines industries mais il a complètement disparu au profit de la recherche d'une économie de court terme. Ce qui est assez délétère.

Par exemple dans la métrologie, que proposez-vous?
Prenons l'un des quatre grands groupes cités, qui ont des parcs de 10.000 instruments de mesures répartis sur une quinzaine de sites en France. Deux cas de figure : soit le groupe s'occupe de son parc de façon locale usine par usine, soit il met en place un programme pour le gérer au global. Si vous gérez vos asset au niveau du groupe, vous réduisez votre parc en le partageant entre les différentes usines. Les gains sont colossaux. Au lieu d'aller chercher des gains d'économies de 2% à 3% par an sur le prix d'un produit, ces groupes peuvent obtenir des gains de 10% à 30%. Parce que l'entreprise fonctionne avec un nombre d'équipements plus faible et réduit ses investissements. L'asset management est un mode de gestion hyper puissant qui permet de réduire les investissements et les coûts de fonctionnement.

Quels sont les maîtres d'œuvre vertueux ?
Le groupe précurseur et le meilleur dans ce domaine reste toujours à l'heure actuelle Thales. Et de loin. Ils ont fait un travail de recensement et de mise en commun des équipements. Ils les ont logé ans une entité qui les loue à toutes les usines du groupe. Il y a une rotation et une harmonisation des équipements. Du coup, le groupe a pu réduire ses investissements. C'est de l'asset management sophistiqué. Bilan des courses, ils ont réduit leurs coûts d'équipements de 30% environ en quelques années. Dassault est également un groupe qui respecte ses fournisseurs. Malheureusement, j'ai des contre-exemples.

C'est-à-dire ?
L'acheteur de base va pressurer son fournisseur pour gagner 3 à 4% par an dans les métiers de services. A un moment donné, ce n'est plus possible mais l'acheteur continue dans sa logique. Nous sommes également de plus en plus confrontés à des acheteurs étrangers, qui ne connaissent pas l'entreprise à laquelle ils demandent des gains d'économies, ni les produits qu'elle fabrique, ni, enfin, comment elle le fabrique. Il est uniquement focalisé sur le prix remis. On ne voit d'ailleurs jamais cet acheteur, qui ne se déplace pas pour voir ses interlocuteurs.

C'est assez extrême...
... Je comprends très bien cette logique mais c'est vraiment aux antipodes de ce qu'on peut faire d'intelligent dans monde industriel. On sent bien une stratégie réfléchie mais le client n'y gagne pas à la fin. C'est un cercle vicieux qui est en train de s'accélérer ces derniers temps. Autre problème, nos interlocuteurs dans les grands groupes changent tous les deux ans. Ils ne restent même pas la durée du contrat qu'ils ont signé.