Mars : atterrissage encore raté pour l'Europe ?

Par Michel Cabirol, à Darmstadt (Allemagne)  |   |  1506  mots
Le coût des deux missions ExoMars pour l'Agence spatiale européenne (ESA) est actuellement de 1,5 milliard d'euros
Demi-succès pour la mission ExoMars avec la mise en orbite de la sonde TGO autour de mars. En revanche, l'atterrisseur Schiaparelli semble perdu.

C'est un nouvel échec pour l'Europe. Elle a voulu prouver qu'elle savait faire atterrir un engin, en l'occurrence l'atterrisseur Schiaparelli, sur Mars et le faire fonctionner ensuite. C'est raté. C'est le deuxième échec après celui de 2003 quand le mini-atterrisseur Beagle 2 à bord de Mars Express, de conception britannique, a atterri mais n'a jamais donné signe de vie. Pour autant, la mission ExoMars reste un demi-succès médiatique pour l'ESA (Agence spatiale européenne) avec la mise en orbite nominale de la sonde, TGO (Trace Gaz Orbiteur) autour de Mars. Pour les scientifiques, la sonde TGO était beaucoup plus importante que l'atterrisseur.

Et si vous avez aimé la saga Rosetta, vous allez adorer la belle histoire d'ExoMars, fruit d'une coopération entre l'Europe et la Russie, malgré la perte de Schiaparelli. Pilotée par l'ESA (Agence spatiale européenne), la mission ExoMars, qui se compose d'une sonde, TGO et d'un atterrisseur EDM (Entry Descent and Landing) appelé Schiaparelli, qui s'est réveillé vers 15h55, est dédiée entièrement à la recherche de la vie passée ou présente sur Mars. Simultanément à la tentative ratée d'atterrissage d'EDM, la sonde scientifique s'est mise en orbite autour de Mars. Une manœuvre délicate réussie, qui a nécessité une grande précision. Ce qui à la fois a soulagé et rempli les équipes de l'ESA à Darmstadt en Allemagne. Les deux opérations ont été contrôlées depuis le Centre européen d'opérations spatiales (ESOC) de l'ESA.

Seuls les Américains y sont parvenus

A l'approche de la planète rouge, la saga d'ExoMars a généré un terrible suspense. L'atterrisseur Schiaparelli allait-il se poser en douceur ou se crasher ? L'Europe attendra donc avant de se vanter d'avoir fait atterrir un engin sur Mars. Jusqu'à présent, seuls les Américains ont réussi à poser sur Mars des engins qui sont parvenus à fonctionner. Depuis les années 1960, plus de la moitié des missions martiennes se sont soldées par un échec.

L'atterrisseur est à la surface de Mars mais l'ESA ne sait pas dans quel état il se trouve. Il a cessé d'émettre un signal radio peu avant le moment où il devait toucher le sol mercredi. Il est tout à fait possible qu'il n'ait pas survécu et qu'il soit en morceaux. Les données envoyées par Schiaparelli et recueillies par la sonde européano-russe TGO, sont encore en cours de dépouillement. Mais plus les heures passent et plus il y a des raisons d'être pessimiste.

Six minutes de terreur

Au moment de la séparation dimanche entre la sonde et Schiaparelli, la distance parcourue par TGO depuis le 14 mars, date de son lancement par un lanceur russe Proton, a été de 486 millions de kilomètres. Soit un périple de sept mois pendant lequel la sonde a respecté une trajectoire très précise. Au moment de la séparation, il restait alors à Schiaparelli 916.000 km à parcourir pour atteindre le sol de Mars en trois jours. L'atterrisseur est arrivé sur Mars à la vitesse supersonique de 21.000 km/h lors de la séparation avant de se poser en douceur en six minutes seulement. Schiaparelli a subi une décélération de 13 G pour passer de 21.000 km/h à... 10 km/h.

Six petites minutes de terreur, comme les appellent les ingénieurs spatiaux. Six petites minutes où l'ESA a perdu le signal de l'atterrisseur. Un radiotélescope indien qui aurait pu être le premier à capter un signal du module, l'a perdu au bout de quatre minutes lors de l'opération d'atterrissage. La sonde européenne Mars Express, toujours en vie, n'a pas elle non plus réussi à capter le signal vers 18h30. Enfin, la sonde américaine MRO n'a pas recueilli elle non plus des données à 20h30. "C'est une mauvaise nouvelle, nous avons perdu le signal. C'est clair", avait estimé mercredi soir le responsable des opérations de l'ESOC, Paolo Ferri, qui s'est pourtant refusé à spéculer sur l'avenir de Schiaparelli, dont les données toujours en cours de dépouillement ont été récupérées.

Un problème de synchronisation

L'atterrisseur était équipé d'un bouclier pour la protection contre les hautes températures lors de la rentrée dans l'atmosphère et pour ralentir l'atterrisseur à 1.650 km/h à 11 km d'altitude au moment du déploiement du parachute, qui stabilisait le module pendant sa descente et de le ralentir encore. "Nous ne savons pas si le parachute s'est ouvert", avait commenté mercredi Paolo Ferri. Jeudi matin, il était acquis que le parachute s'est bien ouvert mais trop tôt...

Un radar altimètre permettait également de mesurer la distance au sol ainsi que la vitesse par rapport à la surface de Mars. En outre, Schiaparelli était équipé d'un système de propulsion avec neuf rétrofusées pour réduire encore la vitesse jusqu'à 2 mètres au dessus du sol. Ce système a également fonctionné mais a stoppé trop tôt. C'est semble-t-il la synchronisation qui n'était pas bonne... Enfin, il disposait si nécessaire d'une structure "écrasable" pour amortir le choc de l'impact final.

Trouver des traces de vie sur Mars en 2020

Schiaparelli, qui avait embarqué des instruments scientifiques, une station météo et une caméra, visait à tester les technologies européennes d'entrée dans l'atmosphère, de descente et d'atterrissage sur Mars. La durée de sa mission était estimée entre quatre et huit jours, selon la température sur Mars. Ce programme devrait ouvrir la voie à une deuxième mission ExoMars en 2020. Elle est destinée à poser un rover sur Mars équipé d'une foreuse pour creuser à deux mètres de profondeur sous la surface.

Ce rover aura la mission de trouver des traces de vie passée. Mars n'ayant pas été exposé comme la Terre à de violentes activités tectoniques, il est possible de trouver des roches anciennes qui n'auraient pas été exposées à des températures trop élevées. Les scientifiques européens espèrent trouver des bio-marqueurs chimiques ou des micro-fossiles.

Schiaparelli devait atterrir sur le site de Meridiani Planum (Plaine Méridiani), le même que celui d'Opportunity en janvier 2004. Ce site a été choisi pour trois raisons principales. Son altitude est faible et présente une colonne d'air suffisante pour réaliser en toute sécurité l'entrée, la descente et l'atterrissage de Schiaparelli. En outre, sa surface est plate et sans gros rochers ce qui sécurise l'atterrissage. Enfin, il a un intérêt scientifique en contenant des couches d'hématite, qui sur Terre se forme presque toujours dans des milieux contenant de l'eau glacée.

Par ailleurs, la station météo embarquée à bord de Schiaparelli, appelée DREAMS (Dust characterisation, Risk assessment, and Environment Analyser on the Martian Surface) devait permettre de faire un bulletin de météo martienne. Elle aurait mesuré la pression, la température, la vitesse et la direction du vent, l'humidité, la profondeur optique et les champs électriques à la surface de Mars.

Début de mission pour TGO en 2018

En orbite autour de Mars, la sonde TGO sera quant à elle chargée de "renifler" début 2018 l'atmosphère martienne pour détecter des traces de vie présente, en particulier par la recherche des gaz considérés comme des indices en faveur de la vie, tel le méthane. Des missions précédentes, dont Mars Express, ont permis de déceler une faible présence de méthane (CH4) dans l'atmosphère martienne.

Sur Terre, 90% de ce gaz est d'origine biologique et provient principalement de la décomposition de matières organiques. Sa détection peut donc constituer un indice possible de la présence actuelle d'une vie micro-organique sur Mars. Le méthane a en effet une durée de vie limitée. La sonde TGO va essayer de confirmer cette présence de méthane et d'analyser s'il est d'origine biologique ou bien s'il est le résultat d'un processus géologique (activité volcanique). Enfin, TGO, dont la mission s'achèvera en 2022, viendra compléter une flotte de cinq sondes déjà en orbite autour de Mars.

Une mission à 1,5 milliard d'euros

Thales Alenia Space (TAS), notamment TAS Italie, est le maître d'œuvre industriel d'ExoMars. La filiale spatiale de Thales a coordonné un consortium industriel de 75 sociétés essentiellement européennes, dont Airbus Group.

Le coût des deux missions pour l'ESA est actuellement de 1,5 milliard d'euros, indique l'Agence. Mais une rallonge budgétaire s'avère nécessaire d'autant plus qu'il y a quelques mois, le deuxième volet de la mission a dû être reporté de deux ans (2020 au lieu de 2018). Le dossier sera sur la table à la prochaine conférence ministérielle de l'ESA début décembre à Lucerne (Suisse). Il sera demandé aux pays membres un supplément de 300 millions d'euros. Le demi-échec de la première partie de la mission pèsera-t-il dans la décision des Etats membres d'octroyer une rallonge budgétaire pour ce programme?