Pourquoi la France va acheter des avions de transport tactique américains

Par Michel Cabirol  |   |  1336  mots
"Je tiens aux quatre C-130 et nous les obtiendrons", avait expliqué le chef d'état-major des armées, le général Pierre de Villiers, le 21 mai à l'Assemblée nationale.
Selon nos informations, la direction générale de l'armement a envoyé au Pentagone une demande de cotation pour l'achat de quatre avions de transport tactique américains C-130. Cet été, elle a lancé en parallèle une demande d'information pour l'acquisition de 4 C-130 d'occasion.

Attention dossier sensible. L'achat de quatre avions de transport tactique supplémentaires dans le cadre de la loi de programmation militaire actualisée, qui consacre une enveloppe de 1,5 milliard d'euros à l'achat de nouveaux matériels, est un sujet effectivement très, très sensible entre la délégation générale de l'armement (DGA), l'état-major des armées (EMA) et le cabinet du ministre de la Défense. Sans compter le lobbying d'Airbus Group qui a tout fait pour faire capoter l'opération, le groupe jugeant cette acquisition hostile à l'A400M, dont certaines missions sont pourtant en retard. Mais le dossier sera bien sur le bureau de Jean-Yves Le Drian d'ici à la fin de l'année. Comme prévu... La décision devrait être prise à la fin 2015 et la commande est attendue en 2016.

Cette acquisition "permettra de renforcer nos capacités de transport aérien tactique, qui sont excessivement sollicitées. Nous étudions la mise à disposition de quatre nouveaux appareils C130 et avons provisionné des crédits à cette fin", avait expliqué Jean-Yves Le Drian le 4 juin à l'Assemblée nationale.

Mais cela n'aura pas été sans mal. Car l'enveloppe budgétaire prévue dans le cadre de cet achat est serrée. Soit 330 millions d'euros, selon nos informations. Beaucoup trop serrée, selon la DGA, pour s'offrir quatre C130 neufs produits par Lockheed Martin avec les équipements demandés, la logistique et les formations nécessaires. Le prix unitaire d'un C130 s'élève à 90 millions de dollars environ, a précisé le délégué général pour l'armement (DGA) Laurent Collet-Billon, le 21 mai dernier à l'Assemblée nationale. Mais il a estimé que l'acquisition de quatre C-130J neufs s'élèverait à 800 millions d'euros environ. Un montant qui "correspondait aux prix communiqués à la faveur de contacts sur place, aux États-Unis".

"Si le contrat est si onéreux, c'est non seulement parce que le C-130J est la dernière version produite par Lockheed Martin, mais aussi parce que ses moteurs, son avionique et son pilotage sont différents - le nombre de pilotes est réduit à deux -, d'où la nécessité d'acheter des services d'instruction des personnels, des simulateurs et de la logistique supplémentaire", a-t-il précisé.

Une demande de cotation envoyée au Pentagone

Pour autant, selon plusieurs sources concordantes, la DGA a envoyé en début de semaine dernière au Pentagone une demande de cotation, à travers le programme américain FMS (Foreign Military Sales), pour un éventuel achat de quatre avions de transport tactique C130 neufs. A la grande satisfaction de l'EMA qui pousse, tout comme l'armée de l'air, cet achat, notamment en raison du vieillissement accéléré des déjà très vieux Transall.

"Je tiens aux quatre C-130 et nous les obtiendrons", avait expliqué le chef d'état-major des armées, le général Pierre de Villiers, le 21 mai à l'Assemblée nationale. Au sein de l'EMA, on assure que le C130 reste complémentaire à l'A400M. "Il n'est pas en concurrence avec l'avion d'Airbus Group. Nous en avons besoin pour optimiser nos ressources et nos budgets, ce qui ne serait pas le cas si nous n'avions que des A400M", explique-t-on à La Tribune. "L'A400M dispose de capacités tactiques, mais il ne constitue pas, à proprement parler, un avion tactique au sens où l'étaient le Transall ou même les C-130", a pour sa part précisé Laurent Collet-Billon.

En août, la DGA avait également lancé en parallèle une demande d'information pour l'acquisition de 4 C130 d'occasion. Au ministre de la Défense donc de décider s'il veut dépasser le montant de 330 millions ou s'y conformer. Dans le premier cas, cela nécessiterait au ministère de revoir certaines acquisitions et/ou étaler des livraisons. Ce qui pourrait créer des tensions entre les différentes armées.

Quels C130?

Quels C130? Neufs ou d'occasion? Cela fait l'objet de débats intenses entre la DGA, l'EMA et le cabinet du ministre et a provoqué aussi quelques bisbilles. L'achat des C130 pourrait concerner des C130J américains neufs ou de C130H d'occasion. Le prix est un paramètre à prendre en compte. Mais pas que...  La DGA penche pour des C130 d'occasion mais à l'EMA, on estime, que les avions qui sont sur le marché actuellement, sont beaucoup trop âgés.

"Nous nous sommes donc rabattus sur un montant qui, compatible avec l'enveloppe de 1,5 milliard, n'en est pas pour autant irréaliste : il correspond à l'acquisition de quatre C-130H d'occasion. (...) Nous envisageons l'acquisition de C130H de bonne qualité, dotés, si possible, d'une avionique et de moteurs similaires à ceux de nos propres avions remis à niveau", a expliqué Laurent Collet-Billon.

L'acquisition d'avions d'occasion trop âgés pourrait occasionner pour les armées de nouvelles charges en matière de maintien en condition opérationnelle (MCO), des services déjà proches de l'asphyxie. Par exemple, le taux de disponibilité des 14 C130 Hercules français, dont la flotte de deux escadrilles a un âge moyen de 27 ans, s'est effondré, passant de 40,8% en 2012 à seulement 28,8% en 2014. Ces C130 actuels ont tous été acquis d'occasion, a rappelé Laurent Collet-Billon.

"Je dispose aujourd'hui de quatorze C-130, mais avec une faible disponibilité. Plusieurs sont dans un circuit de maintenance en raison d'une mise aux normes de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), obligatoire", a précisé l'ancien chef d'état-major de l'armée de l'air, le général Denis Mercier, le 26 mai dernier à l'Assemblée nationale.

Enfin, il est prévu un armement pour deux C130 (missile air-sol Griffin de Raytheon), une priorité pour les forces spéciales. Pour le délégué général, "il ne s'agit pas tant de Gunship (avions lourdement armés, ndlr) au demeurant, que d'appareils équipés de missiles Griffin sous pylônes, tels que ceux utilisés par les forces spéciales américaines". Cette opération consiste à donner, à l'horizon 2018, une capacité d'intervention immédiate et autonome au C130 engagé en appui des forces spéciales pendant toute la durée de son action.

Pourquoi un tel achat?

En revanche, ce que personne ne conteste, c'est la nécessité de l'acquisition de quatre C130. Pour plusieurs raisons. Cet achat vise à compenser le vieillissement des C-160 Transall et à garantir les capacités tactiques nécessaires à la conduite des opérations en cours. Deux de ces appareils devraient être équipés de moyens de ravitaillement en vol pour les hélicoptères. Une mission que ne peut assurer pour le moment l'A400M. Elle répond aux besoins accrus de mobilité sur les théâtres en raison de la multiplication des opérations et des fortes élongations de la bande sahélo-saharienne notamment.

"Cette fonction est en effet importante en Afrique, dans la mesure où la méthode actuelle de ravitaillement, au sol, sur des terrains sablonneux, est agressive pour les moteurs", a expliqué le délégué général.

Le transport tactique est également confronté à l'activité importante des flottes d'aéronefs C130 et C160 déployée dans les opérations extérieures (OPEX). Ce qui use plus vite les appareils et désorganise la formation des jeunes pilotes. "L'avion étant très utilisé par les opérations spéciales, les jeunes équipages volent trop peu. D'où les quatre C130", a expliqué le général Mercier.

Enfin l'armée de l'air a besoin des C130 en raison de l'étalement des livraisons de l'A400M et de la rénovation de 14 C-160 Transall, qui coûte plus chère que prévue. Enfin, la livraison des C130 rénovés est repoussée d'un an, en 2019. Un projet qui tenait à cœur le général Mercier, notamment la rénovation avionique des C130, qui ont encore du potentiel selon lui, afin d'améliorer les capacités tactiques des avions du COS. Pour l'ancien chef d'état-major, cette acquisition est donc absolument nécessaire afin que "notre capacité de transport ne soit pas trop obérée".