COP24 : cinq recettes pour nourrir le monde sans détruire la planète

Par Giulietta Gamberini  |   |  1134  mots
Le potentiel de ces solutions, et notamment leurs avantages sociaux, économiques comme environnementaux, "est souvent sous-estimé", souligne le rapport. (Crédits : Reuters)
22 solutions permettraient de satisfaire la demande croissante de nourriture prévue d'ici 2050 tout en "stabilisant le climat, promouvant le développement économique et réduisant la pauvreté", estime une étude publiée ce mercredi par six organisations françaises et internationales. Le document regroupe ces mesures en cinq "recettes".

L'ampleur du défi a déjà été relevée à plusieurs reprises : pour répondre à la demande des 10 milliards de personnes qui habiteront la Terre en 2050 (contre 7 milliards en 2010), l'offre de nourriture devrait augmenter de plus de 50%, et celle d'aliments d'origine animale même de 70%. Or aujourd'hui, alors que la faim dans le monde est loin d'avoir été éradiquée, l'agriculture est à l'origine d'un quart des émissions à effet de serre mondiales. Aussi, elle est gravement menacée par le changement climatique, puisque la sécheresse, les inondations et la montée des eaux rétrécissent les terres arables.

Afin de parvenir à nourrir la planète tout en améliorant l'impact environnemental du secteur, trois fossés doivent notamment être comblés, explique un rapport écrit par le think tank américain World Resource Institute (WRI), en partenariat avec la Banque mondiale, le Programme des Nations unies pour l'environnement, le Programme des Nations unies pour le développement, le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et l'Institut national de la recherche agronomique français (Inra), dont une version résumée a été publiée le 5 décembre (la version longue est attendue pour le printemps 2019).

Tout d'abord un écart "alimentaire" : celui entre la quantité de nourriture produite en 2010 et celle "probablement" nécessaire en 2050, puisque le WRI estime que la quantité de calories produites devra augmenter de 56%. Ensuite, la disproportion entre la surface des terres cultivées en 2010 et celles qu'il faudra en 2050 "si les rendements des cultures et des pâturages continuent de croître au rythme du passé", de 593 millions d'hectares - deux fois la taille de l'Inde. Enfin, la différence entre les émissions annuelles de gaz à effet de serre (GES) prévisibles pour l'agriculture si rien de change, de 15 gigatonnes de CO2 équivalent, et celles compatibles avec l'objectif de limiter le réchauffement climatique à 2°C, de 4 gigatonnes de CO2 équivalent.

"Pour maintenir le réchauffement en dessous d'une augmentation de 1,5°C, il faudrait atteindre cet objectif de 4 gigatonnes plus libérer des centaines de millions d'hectares pour le reboisement", ajoute le rapport.

Des régimes davantage végétariens parmi les 22 solutions

Si faire face à ces trois défis simultanément est loin d'être simple, un ensemble de 22 solutions permettrait néanmoins de satisfaire la demande croissante de nourriture tout en "stabilisant le climat, promouvant le développement économique et réduisant la pauvreté", affirment le WRI et ses partenaires. Afin d'atteindre les "progrès considérables" nécessaires, elles exigent chacune "l'action de millions d'agriculteurs, entreprises, consommateurs, et de tous les gouvernements". Mais le potentiel de ces solutions, et notamment leurs avantages sociaux, économiques comme environnementaux, "est souvent sous-estimé", souligne le rapport.

L'étude résume ces solutions en cinq "recettes". Elle préconise tout d'abord de favoriser un ralentissement du rythme de croissance de la demande de produits agricoles, notamment en réduisant le gaspillage alimentaire et en promouvant des régimes davantage végétariens, mais aussi en "évitant toute nouvelle expansion de la production de biocarburants" et "en améliorant l'accès des femmes à l'éducation et à la santé afin d'accélérer la réduction volontaire de la fertilité". La diminution de la consommation de viande devrait surtout concerner celle de bétail ruminant (bovins, ovins et caprins), souligne la rapport, puisqu'il monopolise deux tiers des terres agricoles et est responsable d'environ la moitié des émissions de gaz à effet de serre de l'agriculture.

"Pour combler les lacunes en matière d'atténuation des émissions de gaz à effet de serre et de terres disponibles, il faudrait que, d'ici 2050, 20% de la population mondiale qui serait potentiellement une grande consommatrice de viande de ruminants réduise sa consommation moyenne de 40% par rapport à 2010", écrit le WRI.

Or, aujourd'hui on prévoit plutôt une hausse mondiale de la demande de 88% entre 2010 et 2050.

Augmenter les rendements des cultures, un enjeu fondamental

Le rapport insiste ensuite sur la nécessité d'améliorer la productivité du système agro-alimentaire, afin d'augmenter la production de nourriture sans étendre la surface des terres agricoles.

"Cela signifie augmenter les rendements des cultures à des taux supérieurs aux taux (linéaires) historiques, et faire croître d'une manière spectaculaire la production de lait et de viande par hectare de pâturage, par animal - en particulier pour les bovins - et par kilogramme d'engrais".

Cet enjeu est fondamental :

"Si les niveaux actuels d'efficacité de la production devaient rester constants jusqu'en 2050, alors nourrir la planète impliquerait de défricher la plupart des forêts restantes dans le monde, d'éliminer des milliers d'autres espèces et d'émettre assez de gaz à effet de serre pour dépasser les objectifs de réchauffement de 1,5 degré Celcius et de 2 degré Celcius inscrits dans l'Accord de Paris - même si les émissions de toutes les autres activités humaines étaient entièrement éliminés", met en garde le rapport.

Afin de réduire les émissions de GES et la perte de biodiversité, "les gouvernements doivent explicitement associer les efforts visant à accroître les rendements des cultures et des pâturages à la protection juridique des forêts, des savanes et des tourbières", ajoute l'étude, qui englobe sous cet objectif commun un troisième ensemble d'actions. Pour maintenir la hausse de la température en dessous de 1,5 degrés Celsius il faudrait notamment des centaines de millions d'hectares de reforestation, souligne-t-elle.

Pour nourrir la planète sans la détruire, il faudrait encore augmenter les ressources halieutiques en améliorant la gestion de la pêche et de l'aquaculture, rappelle le WRI, mais surtout inciter voire imposer "à grande échelle" la mise en place des mesures permettant de réduire considérablement les émissions de gaz à effet de serre provenant de leurs principales sources agricoles actuelles, à savoir la fermentation entérique des ruminants, le fumier, les engrais azotés et l'utilisation d'énergie.

L'innovation au centre de la transition

Afin d'atteindre l'ensemble des objectifs mis en avant par le rapport, l'innovation joue un rôle important, souligne le WRI. Parmi les "opportunités", l'étude cite notamment des engrais améliorés qui réduisent le ruissellement d'azote, de nouvelles cultures aux émissions de gaz à effet de serre réduites, des sprays organiques qui conservent les aliments plus longtemps, des substituts végétaux des protéines animales...

Mais "les progrès à l'échelle requise nécessitent d'importantes augmentations du financement de la R&D, ainsi qu'une réglementation flexible qui encourage le secteur privé à développer et à commercialiser de nouvelles technologies", note-t-elle.

"Bien que le défi soit énorme, un avenir alimentaire durable est réalisable si les gouvernements, le secteur privé et la société civile agissent avec rapidité, créativité et conviction", conclut le rapport.