Brexit : une opportunité pour l'agriculture et l'environnement ?

Par Giulietta Gamberini  |   |  1043  mots
L'ONG The National Trust propose de remplacer ce système de soutien des revenus par une rémunération des services rendus en termes de protection de la nature.
Rassurés par le gouvernement sur leur sort jusqu'à 2020, les agriculteurs britanniques réfléchissent néanmoins à la manière d'organiser le secteur sans les aides de la PAC. Pour quelques organisations, ce serait l'occasion d'oser des réformes radicales.

Inquiets des conséquences du Brexit sur leur secteur, les agriculteurs britanniques ont été rassurés. Du moins à court terme. En s'engageant pour la première fois publiquement depuis sa prise de fonction en juillet, le ministre du Trésor Philip Hammond a promis que le gouvernement du Royaume-Uni prendra le relais de l'UE: une fois le divorce consommé, Londres déboursera de sa poche les 3 milliards de livres sterling annuels dont bénéficie aujourd'hui l'agriculture de l'île. Si les comptes de l'après Brexit ne sont encore pas tout à fait claires, l'administration britannique semble compter sur l'argent qui ne sera plus dû à l'UE pour financer ces nouveaux frais.

L'annonce a été appréciée par l'organisation nationale des agriculteurs, la National Farmers' Union, puisqu'elle permet à l'ensemble de l'industrie agro-alimentaire de disposer du minimum de visibilité nécessaire pour s'adapter au changement. Mais tout le monde est bien conscient que rien ne sera plus comme avant. La promesse du gouvernement est en effet limitée dans le temps, jusqu'à 2020 - échéance du plan budgétaire actuel de l'UE. Après, l'avenir de l'agriculture britannique reste encore à définir. Et des voix s'élèvent déjà outre-manche pour profiter radicalement du changement.

Deux types de campagnes séparées

Le Brexit, et la perte des subsides de la Politique agricole commune (PAC) de l'UE, seraient en effet selon diverses ONG une opportunité extraordinaire pour l'agriculture britannique, lui permettant de sortir des pièges dans lesquels elle s'est enfoncée depuis des décennies. The National Trust, qui consacre son action à la protection des lieux et espaces historiques du pays, a lancé un appel en ce sens début août. L'organisation, qui reproche à l'agriculture intensive - soutenue par le secteur public depuis la Deuxième Guerre mondiale -, d'être la cause de la crise du secteur comme de la biodiversité, a carrément dessiné les lignes d'une réforme radicale du système d'aides, qui conduirait à privilégier le respect de l'environnement par rapport à la quantité de biens agricoles produits.

Aujourd'hui, en effet, les financements assurés par la PAC sont proportionnels à la taille de l'exploitation : sur 3 milliards de livres, un milliard va aux plus grandes fermes. Seulement 20% du total (600 millions) est alloué en fonction du respect de standards environnementaux. Des aides séparées peuvent certes être accordées aux projets de protection de la biodiversité, mais cela aboutit souvent à la séparation manichéenne des terres en deux types de campagnes: celle cultivée et celle à visiter. The National Trust propose de remplacer ce système de soutien des revenus par une rémunération des services rendus en termes de protection de la nature. La directrice générale de National Trust, Helen Ghosh, a ainsi expliqué ce point de vue au Guardian:

"Les contribuables devraient financer des aides publiques aux agriculteurs seulement en échange de choses que le marché ne financerait pas, mais qui ont de la valeur et dont le public a besoin. Or, le système actuel récompense pour les hectares possédés, avec des standards très inadéquats en matière de diversité et d'environnement."

Une redistribution des richesses

Indirectement, la réforme favoriserait par ailleurs les fermes plus petites, à condition qu'elles respectent la nature, souligne l'organisation qui, possédant elle-même quelques 250.000 hectares de terres, se définit comme "le plus grand agriculteur d'Angleterre" et bénéficie largement de la PAC. Ce transfert des richesses entre exploitations est d'ailleurs à l'origine d'une autre proposition semblable à celle de National Trust, présentée récemment par l'ancienne association environnementale anglaise Campaign to Protect Rural England (CPRE) dans un document titré New Model Farming. Profiter du Brexit pour soutenir davantage les plus petites fermes bénéficierait à l'ensemble du pays, plaide CPRE, en favorisant une agriculture plus diversifiée et un lien renforcé entre exploitations et communautés rurales.

En ce sens, selon certains experts on pourrait même aller plus loin. Le professeur David Hill, ancien vice-président de l'agence publique Natural England, préconise notamment la création de "habitat blocks", à savoir de larges zones de terres permettant la survie de la faune et de la flore sauvages -aujourd'hui fragmentées. Leur mise en place, financée par des fonds publics alloués après appels d'offres en fonction de la rentabilité de chaque projet, serait possible aussi dans les régions les plus cultivées, et demanderait une approche collaborative entre agriculteurs voisins. Permettant de compenser les externalités de l'agriculture (émissions de gaz à effet de serre, pollution, dégradation des sols etc.), la solution apporterait aussi des bénéfices directs, en permettant de réduire le risque d'inondations, réduire l'utilisation d'intrants etc.

La sécurité alimentaire en cause

"A long terme il n'y a pas de conflit entre le fait de maintenir notre capacité de produire de la nourriture et celui de prendre soin de la terre et de la nature dont elle dépend. Le premier volet dépend entièrement du deuxième", souligne d'ailleurs Helen Ghosh. Selon elle, privilégier l'environnement ne devrait pas non plus impliquer une augmentation des prix de la nourriture, puisque ces derniers dépendent déjà bien plus du marché global que des matières premières. A condition, néanmoins, que de tels projets soient accompagnés d'une période transitoire, et de gros investissements dans la recherche et innovation.

Les agriculteurs britanniques semblent toutefois moins que convaincus par ces velléités de changement. La NFU n'a notamment pas tardé à intervenir pour réfuter l'image d'une campagne anglaise "endommagée" et insister sur la  nécessité de préserver la compétitivité et production alimentaire du Royaume-Uni. De telles réformes risqueraient d'aggraver la dépendance du RU des importations pour se nourrir, déjà importante, estime notamment le président de l'organisation, Meurig Raymond, qui a souligné :

"De notre point de vue, la sécurité alimentaire devrait être considéré un objectif politique et un bien public légitimes".

La NFU attend néanmoins d'avoir récolté l'avis de ses 47.000 agriculteurs avant de formuler des propositions explicites pour l'après-Brexit. Lancée le 15 août, la consultation sera clôturée le 15 septembre.