Crise agricole : le bio, une goutte d'eau pour sauver la filière laitière française

Par Marina Torre  |   |  1046  mots
Sur 24 milliards de litres de lait produits l'an dernier en France, 530 étaient biologique.
La FNSEA réclame 3 milliards d’euros pour soutenir l’industrialisation de l’agriculture française. Dans le secteur laitier, investir dans le bio pourrait se révéler payant.

"Produire pour seulement 15 % de la population qui a les moyens de payer de la nourriture premium est aberrant."

Cet argument, avancé par le patron de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, Xavier Beulin, dans le JDD vise à justifier que la majeure partie des 3 milliards d'euros qu'il réclame au gouvernement pour soutenir le secteur agricole français soit réservée à son industrialisation.

Le responsable de la principale fédération d'agriculteurs française a rencontré le président de la République ce 24 août afin de faire valoir ces positions. Il prévoit une manifestation rassemblant "1.000 tracteurs" dans la capitale le 3 septembre. Date à laquelle le gouvernement est censé apporter des réponses "de court terme et structurelles" à la crise agricole qui a agité le pays au cours de l'été.

En guise de réformes structurelles, la position du patron de la FNSEA n'est pas partagée par tous les agriculteurs, certains prônant au contraire une "montée en gamme" de la production. Laquelle passerait notamment par le développement d'une agriculture biologique. Les conditions sont-elles réunies en France pour rendre celle-ci plus compétitive?

Des Français de plus en plus friands de lait bio

A cet égard, le lait représente un cas particulier. Comme le porc, il a fait l'objet de mouvements de colère des agriculteurs au cours de l'été. Il se trouve également que les consommateurs français se montrent de plus en plus friands de sa version "premium" regroupée dans la catégorie "biologique".

Tous produits confondus, près de 9 français sur 10 en ont consommé au moins occasionnellement un produit issu de l'agriculture biologique l'an dernier, et plus de la moitié en on acheté au cours du mois précédent l'enquête selon le dernier baromètre de l'agence Bio. Sur la liste de courses de produits "bio" préférés, lait, fromages, yaourts et beurres figurent juste après les fruits et légumes. En valeur, ses parts de marchés restent relativement faibles (11 à 14%).

30% plus cher

Mais elles augmentent. Ainsi début 2015, le lait bio a eu le vent en poupe. Les ventes sa version liquide en brique ou bouteille ont ainsi bondi de 20% et crû de 1,6% pour les yaourts. Seuls les fromages bio se sont un peu moins bien vendus que les mois précédents.

Pourtant, à l'achat en magasin, les produits laitiers bio sont plus cher que les autres. Pour le consommateur, le prix varie beaucoup d'une région et d'un mode de distribution à l'autre, les grandes surface représentant les trois quarts des ventes. L'écart entre les produits laitiers issus de l'agriculture biologique pouvaient ainsi atteindre entre 31% (pour le lait en bouteille) à 68% pour la crème d'après les dernières données disponibles (datant de 2013). En grande surface, le litre de lait demi-écrémé se vendait alors en moyenne 0,97 euros et pouvait grimper jusqu'à 1,39 euros dans les magasins spécialisés.

La production de lait bio se démocratise

Malgré ce surcoût, la demande augmente, l'offre aussi. Cette production et ses avantages trouve en effet de plus en plus d'adeptes. La France compte près de 3000 fermes certifiées bio où paissent des vaches allaitantes et plus de 1000 en cours de conversion.

"Au départ les autres confrères nous prenaient un peu pour des fous, l'agriculture bio était même un peu décriée. Maintenant, certains d'entre eux nous posent des questions sur nos techniques et envisagent de se convertir aussi au bio", témoigne Christelle Gendrin, agricultrice de la Manche (50).

Cette agricultrice a transformé avec son frère l'exploitation familiale en 2013, après une période de conversion de deux ans. Elle affirme mieux "s'en sortir" que ses collègues exploitants qui n'ont pas fait le même choix. "Nos coûts de production sont moins élevés car nous n'avons pas d'engrais, nous faisons nos inséminations nous-mêmes, nous sommes autonomes", indique-t-elle.

531 millions de litres de lait bio

Plus généralement, les données récoltées par le service statistiques du ministère de l'Agriculture (voir ci-dessous) montrent une progression constante de la collecte depuis 1998, avec une accélération depuis 2010. Au total, les transformateurs ont collecté 531 millions de litres de lait biologique liquide. Une goutte d'eau dans les 24,5 milliards de litres collectés l'an dernier dans l'Hexagone tous types confondus.

Ce mouvement s'est poursuivi début 2015. Ce qui n'empêche pas la profession d'avoir craint une pénurie dans la mesure où la croissance de la demande était plus rapide que celle de la production.

Une meilleure situation pour les agriculteurs?

"Les prix sont plus élevés dans le bio, c'est vrai. Mais on ne peut pas dire que l'on en vive beaucoup mieux non plus. Il s'agit avant tout d'une conviction, d'une volonté de faire mieux, de ne pas être dans le système", explique de son côté Olivier Godey, un autre producteur de lait bio dont l'exploitation se trouve dans le Calvados.

Sa solution: opter pour la transformation en yaourts, beurre et fromages sur place et la vente directe qui représente désormais 15% de son activité, réalisés sur place, dans une supérette bio et un restaurant de luxe à Bayeux. "Pour l'instant, c'est ma femme qui prend en charge la transformation, explique-t-il, si nous voulons augmenter notre production, il va falloir embaucher de la main d'œuvre, et cela demande de la réflexion. Et puis si nous devenons nous même une laiterie et que nous perdons un peu de notre statut ' fait à la ferme', le risque est de moins plaire et de faire fuir les clients."

Au cours des douze mois de l'année 2014, le prix moyen à la production pour mille litres de lait bio en France atteint 427 euros contre 467,47 en Allemagne, selon l'estimation de la Fédération nationale des producteurs de lait qui s'appuient sur des chiffres Bioland, ZMP et FranceAgrimer. Par rapport à l'année précédente, l'augmentation en France est de 2,65% par rapport à l'année précédente. Elle est près de trois fois plus rapide outre-Rhin. Signe que même dans le bio, la compétition avec les voisins européens ne sera pas de tout repos.