Justice : les betteraviers européens ne peuvent déroger à l'interdiction d'utiliser certains insecticides

Par latribune.fr  |   |  803  mots
En France, le Parlement avait autorisé fin 2020 le retour temporaire des néonicotinoïdes pour voler au secours de la filière betteravière après une récolte ravagée par la jaunisse. (Crédits : Reuters)
Saisie par des ONG et un apiculteur du cas de six dérogations adoptées à l'automne 2018 par la Belgique, concernant notamment les semences, la Cour de justice de l'UE (CJUE) a jugées illégales les dérogations qui permettent aux betteraviers de traiter des semences aux néonicotinoïdes. Quelque 24.000 betteraviers français se retrouvent dans l'angoisse.

Une funeste journée pour les betteraviers, une bonne nouvelle pour les abeilles. La Cour de justice de l'Union européenne a estimé jeudi qu'ils ne pouvaient pas utiliser trois néonicotinoïdes (clothianidine, thiaméthoxame et imidaclopride), interdits depuis 2018 pour toutes les cultures car accusés d'accélérer le déclin massif des colonies d'abeilles.

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Apparus dans les années 1990, ces insecticides protègent les betteraves de la jaunisse, transmise par les pucerons verts, en s'attaquant au système nerveux des insectes, donc des pollinisateurs. Même à faible dose, abeilles et bourdons sont désorientés, ne retrouvent plus leur ruche, le sperme des mâles est altéré...

Pour autant, onze Etats membres de l'UE ont adopté des « autorisations d'urgence » pour faire face à la baisse de leurs rendements face aux maladies qui touchent les betteraves, dont la Belgique et la France, qui s'apprêtait à renouveler sa dérogation pour les semences qui commenceront en mars, pour la troisième année.

Certes, a jugé la Cour, une disposition permet aux Etats membres d'autoriser de façon dérogatoire et temporaire l'usage de pesticides contenant des substances bannies dans l'UE, mais cette disposition « ne permet pas de déroger aux réglementations visant expressément à interdire la mise sur le marché et l'utilisation de semences traitées à l'aide de tels produits. »

Les Etats membres doivent privilégier les méthodes insecticides « à faible apport en pesticides », voire « non chimiques » quand c'est possible, et « recourir aux pratiques et produits présentant le risque le plus faible pour la santé humaine et l'environnement parmi ceux disponibles », souligne la Cour.

 Une décision « brutale »

« La brutalité d'une telle décision, appliquée en l'état, risque d'entraîner des conséquences désastreuses et irréversibles dans nos territoires ruraux alors même que les politiques encouragent la souveraineté alimentaire/énergétique et la réindustrialisation de la France », a dénoncé la Confédération générale des planteurs de betteraves dans la soirée.

En France, le Parlement avait autorisé fin 2020 le retour temporaire des néonicotinoïdes pour voler au secours de la filière betteravière après une récolte ravagée par la jaunisse. En précisant que les dérogations ne pourraient être accordées, jusqu'en juillet 2023, que pour les semences de betterave sucrière. Une troisième dérogation pour 2023, après 2021 et 2022, était sur le point d'être adoptée.

Mais plusieurs organisations, dont la Ligue pour la protection des oiseaux, demandent au gouvernement d'y renoncer. Une réunion du Conseil français de surveillance des néonicotinoïdes, initialement prévue vendredi sur le sujet, a été reportée au 26 janvier. Le gouvernement utilisera ce délai « pour expertiser les conséquences juridiques de cette décision en droit français et les conséquences pour la campagne de production qui s'ouvre » a dit le ministère de l'Agriculture.

« Le droit doit primer sur les intérêts de l'industrie des pesticides »

« La CJUE établit clairement que les substances interdites dans l'UE pour raisons sanitaires ou environnementales ne peuvent pas être réintroduites de manière détournée au niveau des Etats, une pratique devenue courante », observe l'avocat de l'ONG Antoine Bailleux. Le directeur de PAN Europe Martin Dermine a salué « un grand jour pour les pollinisateurs en Europe », qui « rappelle que le droit doit primer sur les intérêts de l'industrie des pesticides ».

Un agriculteur français du Nord : « Nous n'avons encore aucune alternative »

« Nous n'avons encore aucune alternative » aux néonicotinoïdes pour protéger efficacement les betteraves sucrières, assure à l'AFP Christian Durlin, agriculteur à Richebourg, dans le Pas-de-Calais, dans le nord de la France, qui craint une chute de la production sans dérogation permettant d'utiliser ces insecticides néfastes pour les abeilles. Il explique, « aujourd'hui, on utilise des semences enrobées (de néonicotinoïdes) parce que c'est la seule manière de protéger nos cultures contre les attaques de pucerons verts qui amènent la jaunisse ».

Pour le betteravier, membre du syndicat majoritaire FNSEA et vice-président de la chambre d'agriculture des Hauts-de-France, « on n'a toujours pas de solution satisfaisante, nos espoirs reposent sur la génétique, mais on n'attend pas de variété prometteuse avant deux ans ». Depuis trois ans, il a commencé à cultiver de la betterave en bio, sans insecticides chimiques, sur son exploitation: « mais l'an dernier, j'ai eu une belle attaque de jaunisse sur la partie bio. » Attaques d'insectes, sécheresses à répétition: l'agriculteur lutte ces dernières années sur plusieurs fronts pour maintenir ses rendements. Impossible de tout gérer d'un coup, pour Christian Durlin : « Il va y avoir des arbitrages à faire. »

(Avec AFP)