Lactalis : "L'impact économique pourrait être catastrophique"

Par Grégoire Normand  |   |  1165  mots
La justice a ouvert le 22 décembre dernier une enquête préliminaire pour "blessures involontaires", "mise en danger de la vie d'autrui", "tromperie aggravée" et "inexécution d'une procédure de retrait". (Crédits : CHARLES PLATIAU)
A la suite d'une rencontre avec le PDG de Lactalis, Emmanuel Besnier, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a demandé au géant laitier "de faire preuve davantage de transparence". La veille, Le gouvernement avait demandé des sanctions dans l'affaire de la contamination par des salmonelles de lait pour bébé Lactalis. Et il apparaît que ces sanctions pourraient être relativement importantes comme le rappelle l'universitaire Marine Friant-Perrot, maîtresse de conférences à l'université de Nantes, juriste spécialisée dans le droit agroalimentaire, le droit de la consommation et le droit de la santé.

Lactalis et la grande distribution sont actuellement dans la tourmente. Suite à l'affaire du lait infantile contaminé, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a annoncé vendredi que Lactalis reprendrait toutes les boîtes de lait infantile produites dans son usine de Craon, au centre d'une contamination à la salmonelle. "L'urgence, c'est la sécurité sanitaire. La meilleure des garanties pour la sécurité sanitaire, c'est de dire que plus une seule boîte fabriquée sur le site de Craon ne doit être en circulation sur les circuits de consommation", a-t-il ajouté. 

Maîtresse de conférences à l'université de Nantes, Marine Friant-Perrot, juriste spécialiste des questions liées à la consommation alimentaire, revient pour La Tribune sur les sanctions possibles pour les opérateurs.

LA TRIBUNE - Quels sont les acteurs impliqués dans l'affaire Lactalis ?

MARINE FRIANT-PERROT - On peut identifier trois principaux acteurs : le fabricant, les distributeurs et les consommateurs. On peut également ajouter les pouvoirs publics et les hôpitaux. Dans le cas de cette affaire, on a plusieurs spécificités du point de vue de la perception des risques. D'abord les victimes sont des nourrissons, des consommateurs particulièrement vulnérables, ce qui accroît la perception des risques. D'autre part, le lait infantile est le seul aliment consommé par les bébés. S'il est contaminé, les parents ont le sentiment de ne pas pouvoir garantir la sécurité de leurs enfants. Enfin,  on est en présence d'un seul fabricant mais de multiples distributeurs, ce qui augmente le nombre d'établissements impliqués et les facteurs de risques. Il y a également les pharmacies qui participent à la distribution de ce type de produits. Elles sont moins citées mais elles ont une responsabilité importante en qualité de distributeur.

Quelles sont les obligations qui pèsent sur les opérateurs ?

Il y a plusieurs obligations qui pèsent sur tous les acteurs. Pour le fabricant, il doit notamment maîtriser les risques sanitaires liés à la présence de salmonelles. En cas de risque pour la santé humaine, il doit engager des procédures de retrait du marché et communiquer auprès des autorités publiques et des consommateurs sur la manière dont il procède pour suspendre la commercialisation des produits litigieux. Ils ont également  pour obligation de procéder au retrait ou au rappel des produits incriminés. Les retraits et rappels peuvent être ciblés sur les produits concernés du fait de l'obligation de traçabilité qui pèse sur l'ensemble des exploitants du secteur agro-alimentaire. Il faut souligner que l'identification des lots concernés permet de limiter l'impact économique des procédures de retrait et de rappel.

Et pour les distributeurs ?

Du côté des distributeurs, ils doivent contribuer aux mesures de rappel et de retrait, c'est une obligation de collaboration. Les pouvoirs publics ont estimé que les mesures de retrait et de rappel adoptées par le fabricant Lactalis étaient insuffisantes, le ministre de l'Economie Bruno Lemaire a donc décidé de publier un arrêté, le 9 décembre dernier, portant suspension de la mise sur le marché de lots fabriqués par la laiterie de Craon. Les distributeurs doivent respecter l'arrêté: retirer les produits concernés des rayons et collaborer aux mesures de rappel des produits auprès des consommateurs. Ils encourent des sanctions pour avoir continué à commercialiser ces produits laitiers contaminés et dangereux pour la santé en méconnaissant les dispositions de l'arrêté du 9 décembre. Après, il faut rappeler que la période des fêtes de fin d'année n'est pas un contexte favorable pour la grande distribution qui doit procéder à tous ces retraits, ce qui explique certainement les retards constatés.

Ce qui est étonnant chez les distributeurs, c'est qu'ils n'ont pas fait un rappel général des produits achetés par les consommateurs. Par ailleurs, les transactions en liquide ou l'absence de carte de fidélité chez le client peuvent rendre très difficile l'identification de produits achetés en l'absence d'obligation de traçabilité à l'égard des consommateurs. J'estime que les consommateurs auraient dû être mieux informés des risques par les distributeurs et le gouvernement.

Quelles sont les sanctions possibles ?

Sur le plan pénal, la loi prévoit pour les denrées alimentaires une sanction spécifique de quatre ans d'emprisonnement et une amende de 600.000 euros pour les fabricants comme pour les distributeurs qui se sont abstenus de mettre en œuvre les procédures de retrait et de rappel  En l'occurrence, les établissements de la distribution n'ont pas respecté l'arrêté adopté par le gouvernement, ils encourent donc un vrai risque.

Pour les sanctions civiles, c'est le fabricant qui est responsable du dommage auprès des enfants. Il y a quand même 26 nourrissons concernés. Et même si les salmonelloses ne sont pas dues à un comportement fautif de Lactalis, le seul fait que le produit soit défectueux par la présence de salmonelles induit une responsabilité. Et dans ce cas, leur responsabilité risque d'être retenue.

Que pensez-vous de cette opacité autour de cette affaire ?

Tout le monde sait que Lactalis est une société très discrète et il est étonnant qu'elle n'ait pas plus communiqué sur les risques. Ils ont procédé au retrait et au rappel de produits le 2 décembre dernier mais seulement sur 12 références et l'élargissement des mesures à la suite de l'adoption de l'arrêté aurait dû les conduire à clarifier la situation auprès des consommateurs légitimement inquiets. Cependant, il faut tout de même noter que la communication sur les crises sanitaires s'est globalement améliorée depuis la crise dite "de la vache folle". Tout d'abord, les scandales sanitaires liés à l'alimentation sont peu nombreux au regard de l'importance des flux commerciaux et de la complexité biologique des aliments et des process. Mais, même s'il y a une relative maîtrise des risques, il faut garantir le respect les règles liées à la sécurité des aliments. On mise avant tout sur la responsabilité des opérateurs et leurs auto-contrôles. Dans une situation où les moyens financiers et humains octroyés aux administrations de contrôle sont en diminution, il appartient aux opérateurs de procéder au retrait et au rappel des produits.

Quel impact économique pourrait avoir cette affaire ?

L'impact économique pourrait être catastrophique pour les opérateurs. En termes d'image, les conséquences pourraient également être très importantes. On peut penser que cette affaire pourrait être préjudiciable pour les marchés chinois qui sont très demandeurs de lait infantile suite aux scandales qu'ils ont connus il y a quelques années. On a vu récemment (avec la visite d'Emmanuel Macron en Chine ; NDLR) que la Chine avait interdit l'importation de viande bovine française depuis 2001, suite à la crise de la vache folle. (Elle devrait seulement lever l'embargo dans les six mois à venir ; NDLR).