Lait : des réponses françaises, une fracture européenne

Par Marina Torre  |   |  827  mots
En Europe, le lait payé aux producteurs est le moins cher en Allemagne. Les volumes produits ont surtout augmenté en Irlande.
Pour régler la crise de l'élevage, on comptait sur Bruxelles. Mais la Commission européenne a repoussé toute décision sur un nouveau plan d'aide. Dans la production laitière notamment, les divergences traduisent aussi des situations très inégales. Panorama d'une Europe laitière en crise.

A défaut de réponse européenne immédiate, le gouvernement français a annoncé des baisses de cotisations sociales pour tenter de soulager les éleveurs. Mais la crise profonde qui agite en particulier les filières porcines et laitières est loin d'être reglée pour autant, les problématiques européennes restant toujours d'actualité.

Or, le commissaire européen Phil Hogan a insisté sur le fait que toute décision éventuelle, lors du prochain conseil des ministres le 14 mars, devra respecter "les contraintes budgétaires européennes", la PAC et bien sûr réunir un "large soutien" au sein des membres. Le cas du lait révèle une fois de plus bien que le consensus est loin d'être acquis.

Des propositions qui divisent

Le ministre français de l'Agriculture a indiqué que de nouvelles mesures seraient souhaitées par plusieurs pays, dont "l'Allemagne, la Pologne, l'Espagne, l'Italie ou la Belgique". Mais chaque Etat membre est invité à présenter ses propres suggestions, tout comme l'a fait la France dans son memorandum présenté le 15 février à Bruxelles. Et là, rien n'assure que des mesures de maitrise de l'offre comme une gestion coordonnée de l'évolution des cheptels proposée par la France soit du goût de tous les pays.

"Silence assourdissant"

Même au sein des lobbies, des points de détail divisent. A Bruxelles, l'association réunissant les coopératives européennes des producteurs laitiers évoque une "situation critique" et qui "ne fait qu'empirer dans les exploitations". Elle s'est dite favorable à la révision du "prix d'intervention", c'est-à-dire celui à partir duquel les rachats de stocks par les Etats sont autorisés.

Cependant,  la Fédération nationale des coopératives laitières française, qui milite entre autres pour le déblocage d'un fonds d'aide d'urgence, et en faveur d'un plafonnement des volumes produits à l'échelle européenne, se heurterait à un "silence assourdissant" du côté de ses homologues d'Europe du Nord.

"Nous avons moins de mal avec les pays d'Europe du Sud", indique Dominique Chargé, qui préside la FNCL."Avant la crise, la nécessité de se doter d'outils intégrant la gestion de l'offre suscitait un tollé général. Désormais, il y a une écoute un peu plus attentive, même si elle n'est pas bienveillante", ajoute-t-il.

Des volumes qui augmentent en Irlande et au Pays-Bas

En pratique, la crise de surproduction actuelle qui entraîne la chute des cours semble d'autant moins prête à se résorber que les stratégies diffèrent selon les Etats membres. Ce dont témoigne l'évolution des volumes produits.

En Irlande, l'un des premiers pays producteurs européens, les volumes produits ont bondi de 13% entre janvier et novembre 2015 par rapport à la même période un an plus tôt, et même de 50% au cours du dernier mois. Celle des Pays-Bas a augmenté de 6% sur onze mois, quand les productions françaises et allemandes se sont stabilisées.

Rattrapage par rapport à 2014

Certes, ces fortes augmentations en Irlande, au Pays-Bas (et dans une moindre mesure en Pologne) traduisent en partie un rattrapage par rapport à 2014 quand les exploitants avaient réduit leurs production pour minimiser le montant des amendes de dépassement des quotas, avant qu'ils ne disparaissent le 1er avril 2015.

Mais une partie des quantités produites dans les pays du nord qui ne peut plus s'écouler vers les autres pays d'exportation - Chine et Russie notamment, en raison de l'embargo - se retrouve sur d'autres marchés européens. En France, quelque 210.000 tonnes de lait ont été importées en France l'an dernier au cours des onze premiers mois de l'année.

En outre, les surplus qui peinent à trouver des acquéreurs tendent à tirer l'ensemble des prix vers le bas.

En matière de prix, c'est le lait payé aux producteurs en Allemagne qui se révèle encore le moins élevé d'après ces données de FranceAgrimer.

En Irlande aussi les distributeurs dans le collimateur

Si un consensus européen sur une sortie de crise semble loin d'être gagné, la colère des agriculteurs français est loin d'être une exception. Outre-Manche, des producteurs de lait ont par exemple prévu de manifester devant le 10 Downing Street.

Dans un contexte de "guerre des prix", la violence des rapports de force dans les négociations commerciales entre fournisseurs et distributeurs y sont également  mis en cause.

C'est aussi le cas en Irlande où il est même question de durcir les sanctions à l'encontre de certaines pratiques abusives. Les chaînes de grande surfaces forçant la main à leurs partenaires pour qu'il financent une partie des leurs campagnes de promotions sont particulièrement dans le viseur. Une situation qui, là aussi, ressemble à celle de la France où les certains industriels reprochent aux distributeurs de se montrer bien moins conciliants "dans les box de négociations que dans leurs discours publics".