"Sans s'intéresser aux modes de production, manger local perd son sens"

Par Giulietta Gamberini  |   |  467  mots
"Peut-on vraiment qualifier de locaux des produits issus de l'élevage d'animaux nourris au soja OGM d'Amérique du Sud, des végétaux enrichis aux engrais chimiques produits à partir de gaz d'Ukraine ?", s'interroge Stéphanie Pageot.
Alors que l'agriculture traditionnelle est en crise, le mode de production biologique séduit de plus en plus: depuis le début de l'année, 21 fermes par jour s'y sont converties, selon l'Agence Bio. En parallèle, un autre phénomène prend pied: les circuits courts, qui attirent de plus en plus de consommateurs et de producteurs. Mais le vrai locavorisme ne peut être que bio, estime la Fédération nationale d'agriculture biologique, qui vient de clore une campagne consacrée à ce sujet. Stéphanie Pageot, présidente de la Fnab, explique pourquoi.

La Tribune : Pourquoi la Fnab a-t-elle engagé la campagne "Manger bio et local c'est l'idéal"?

Stéphanie Pageot : De plus en plus de consommateurs commencent à préférer les aliments locaux, soit pour encourager l'agriculture française en période de crise, soit pour être davantage sûrs de ce qu'ils mangent. Mieux connaître ses producteurs permet de savoir où va son argent. Ce changement culturel est en marche et va croître. Mais sans s'intéresser aux modes de production, la démarche perd son sens. Peut-on vraiment qualifier de locaux des produits issus de l'élevage d'animaux nourris au soja OGM d'Amérique du Sud, des végétaux enrichis aux engrais chimiques produits à partir de gaz d'Ukraine ? Acheter des aliments bio évite ces paradoxes.

Cela permet également de développer davantage l'agriculture biologique française qui, même si elle ne représente encore que 5% de notre surface agricole, est en essor ; ainsi que de structurer des filières au plus près des territoires. La vente directe, en réduisant le nombre d'intermédiaires, permet de créer de nouveaux liens.

Comment être sûr qu'un produit est local ?

Puisque il n'existe pas de label du local, il faut compter sur l'engagement des commerçants. Mais le consommateur bio est regardant à ce sujet, ce qui pousse les producteurs et les distributeurs à de plus en plus de transparence. Aujourd'hui, on arrive au moins à savoir si un produit est français, parfois même à connaître sa région d'origine.

Local et bio, ce n'est pas toujours compatible... Alors comment choisir ?

Tout le bio ne peut évidemment pas être local : c'est le cas notamment du thé et du café. Et la région Ile-de-France ne pourra à l'évidence jamais nourrir 12 millions d'habitants... Mais au-delà des enjeux de santé, les modes de consommation semblent avoir plus d'impact sur les modes de production que les transports. Une étude de l'Ademe l'a récemment confirmé.

Ce qui décourage encore beaucoup de consommateurs d'acheter bio, et local, ce sont les prix...

Les produits français sont plus chers que ceux venant de l'étranger car l'agriculture bio demande plus de main d'œuvre, et les normes sociales françaises sont plus contraignantes. Ce qui nous tient à cœur, c'est la rémunération juste du producteur : mais si on achète en vente directe, les prix sont souvent plus bas car on évite des intermédiaires.

Le bio local ne risque-t-il pas ainsi de rester un produit pour riches ?

Les premiers résultats d'une étude publique en cours (Nutrinet Santé) montrent au contraire que les consommateurs bio n'ont pas de revenus plus élevés que les autres. Ce qui les différencie, ce sont seulement leurs choix et  leurs comportements alimentaires.

Propos recueillis par Giulietta Gamberini