Auto : le traité de libre-échange Europe-Corée fatal aux européens

Par Alain-Gabriel Verdevoye  |   |  910  mots
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Depuis les accords de juillet 2011 entre Bruxelles et Séoul, les importations de voitures coréennes sur le Vieux continent ont bondi de 77%. En revanche, la Corée impose de subtiles barrières non tarifaires aux véhicules étrangers. Les constructeurs européens redoutent les accords en préparation avec le Japon et l'Inde.

Haro sur la Corée. Le traité de libre-échange signé entre l'Union européenne et la Corée du sud l'été dernier est une catastrophe pour l'industrie automobile du Vieux continent... et une aubaine pour celle du Pays du matin calme. Les chiffres sont éloquents. Sur les deux premiers mois de 2012, les exportations de véhicules du Vieux continent vers la Corée ont chuté de 13% à 12.105 unités (par rapport à janvier-février 2011). Dans le même temps, l'Union européenne a importé 79.935 véhicules de Corée, en hausse de 78% ! Et ce, selon les statistiques douanières coréennes. Le rapport est donc quasiment de 1 à 8, au détriment...des Européens. En valeur, la disproportion est toutefois un peu moins caricaturale, de 1 à 2,5. En effet, les quelques voitures européennes importées en Corée sont des modèles de très haut de gamme à prix élevé, essentiellement de marque germanique.

Déséquilibre flagrant

Sur une plus longue période, entre juillet 2011, date de la signature des accords, et fin février 2012, l'industrie auto coréenne a accru de 77% ses exportations vers l'Europe (en comparaison de la même période un an auparavant) à 303.557 véhicules... Six fois plus que le nombre de voitures européennes entrées dans la péninsule coréenne. Or, "avant le traité, les coréens n"exportaient que quatre fois plus qu'ils n'importaient d'Europe. Le déséquilibre s'est donc renforcé",  souligne-t-on chez PSA, qui a immatriculé 2.900 voitures seulement en Corée l'an dernier. Les chiffres douaniers n'incluent pas, bien sûr, les véhicules de marque coréenne vendus en Europe et produits en Slovaquie (Kia) ou en République tchèque (Hyundai).

Barrières non tarifaires

"La Corée maintient des barrières non tarifaires comme des normes de sécurité et d'anti-pollution spécifiques. Ca oblige a modifier les véhicules que nous vendons en Corée. Le surcoût est acceptable pour un haut de gamme mais pas pour un modèle de grande série. Ca renchérit la voiture", explique Wolfgang Schneider, vice-président des affaires gouvernementales de Ford Europe. Et ce, alors que les normes européennes sont reconnues (presque) partout dans le monde, y compris en Russie ou en Chine. Mais pas au Japon, en Inde ou aux Etats-Unis. Il y a aussi les barrières... non avouées. « Les flottes gouvernementales ou para-gouvernementales, qui représentent 50% du marché, n'achètent jamais de voitures importées », précise Wolfgang Schneider. "En Corée, quand vous achetez un véhicule de marque étrangère, vous subissez aussitôt un contrôle fiscal... ", renchérissait récemment, pour sa part, Christian Klingler, directeur des ventes et du marketing du groupe Volkswagen.

Traité inégal

Christian Klingler rejoint d'ailleurs Sergio Marchionne, administrateur délégué de Fiat et président actuel de l'ACEA (Association des constructeurs européens d'automobiles) sur la nocivité pour l'industrie automobile de ce traité de libre-échange signé sans contrepartie. "Ce traité signé par Bruxelles est-il intelligent? Probablement pas. (...) Bruxelles ne peut pas ne pas défendre le tissu industriel européen", s'insurge le dirigeant du constructeur allemand.

Renault peut importer des Koleos et Latitude

Cependant, tous les Européens ne sont pas perdants dans ce traité. Mercedes ou BMW écoulent des voitures en Corée, alors que les coréens ne les concurrencent pas directement en Europe. Renault fait, quant à lui, entrer sans droits de douane des Latitude et Koleos... fabriquées à Busan (sud de la Corée) ! L'américain GM en profite aussi pour écouler sur l'Ancien continent des Chevrolet « made in Korea ».

Traités en préparation avec le Japon et l'Inde

Obligés d'avaler le traité avec la Corée, les constructeurs du Vieux continent mettent maintenant en garde contre les actuelles négociations pour des accords similaires avec l'Inde et le Japon.  "L'Inde réduirait les taxes de 105 à... 70%" indique PSA, qui juge la proposition tout-à-fait insuffisante. "Le gouvernement indien accepterait de diminuer les droits de douane proprement dits sur l'automobile de 60 à 30%. Les autres taxes locales ou régionales, s'appliquent, elles, à tous les véhicules, locaux ou importés. L'Europe passerait dans le même temps de 6,5% aujourd'hui à 0%. Et  Bruxelles est d'accord", constate tristement un expert de l'industrie automobile.  "Ce serait très déséquilibré", renchérit PSA. Pas question donc, s'insurgent les constructeurs du Vieux continent ! Autre traité en préparation, celui avec le Japon, lequel se veut de bonne foi puisque l'achipel n'impose pas aujourd'hui de droits de douane sur les véhicules importés.

Il ne faut pas recommencer

Seulement voilà. C'est une sorte de leurre. Car, comme en Corée, il y a des obstacles non tarifaires. Tokyo pratique allègrement le principe des... normes techniques uniques, qui, là aussi, obligent les étrangers à mettre en conformité leurs véhicules, ce qui les renchérit. Ben voyons ! Et ici se pose également le problème des flottes gouvernementales et para-gouvernementales qui interdisent tacitement l'acquisition de modèles importés. Subtil. D'ailleurs, le Japon "importe 150 000 véhicules par an d'Europe, principalement du haut de gamme, tandis qu'il en exporte un million vers le Vieux continent", précise Ford Europe. "Il ne faut plus qu'on refasse ce qu'on a fait avec la Corée",  plaide Christian Klingler. "Nous craignons que ce ne soit pareil ",  s'inquiète PSA. Les constructeurs européens ne perdent pas, néanmoins, tout espoir. "Nous travaillons avec Bruxelles", indique laconiquement un constructeur...