L'automobile du futur sera connectée, écolo, autonome

Par Alain-Gabriel Verdevoye  |   |  2840  mots
Carlos Ghosn, PDG de Renault et Nissan, a chosi de privilégier d'abord le développement de modèles aux « systèmes de conduite partiellement automatisés ».
La Google Car a déjà parcouru plus de 1 million de kilomètres. Après le Royaume-Uni, la France va autoriser les essais de voitures sans conducteur en 2015. Loin d'être une utopie, les voitures autonomes pourraient être commercialisées dès 2020 en Europe. Mais la voiture du futur ne sera pas seulement connectée et autonome, elle deviendra aussi écologique, plus sobre et plus sûre... en principe. Une vraie révolution au coeur du prochain Mondial de l'automobile à Paris, du 4 au 19 octobre. Tour d'horizon de ces innovations qui ne sont plus du tout de la science-fiction.

Tout un symbole. Le gouvernement britannique a autorisé fin juillet les essais de voitures sans conducteur sur la voie publique, pour une période de dix-huit à trente-six mois. Guidée par un système de capteurs et de caméras, la voiture sans conducteur ne sera donc plus cantonnée à des essais sur des chaussées privées.

À l'issue d'un appel d'offres, trois villes britanniques volontaires seront sélectionnées. Le gouvernement de Londres a également lancé une étude, qui sera publiée à la fin de l'année, pour s'assurer que ces voitures sont conformes à la législation en matière de sécurité et de circulation. Il réfléchit à des changements du code de la route (lire page 8). Des voitures sans conducteur sont déjà testées sur la voie publique au Japon et dans plusieurs États américains comme le Nevada, la Floride et la Californie.

Le gouvernement français voudrait autoriser de tels tests routiers à partir de 2015.

« La France sera reconnue comme une terre d'expérimentations du véhicule autonome, un centre d'excellence de l'intelligence embarquée et un leader en sécurité des systèmes complexes », assure un document du ministère de l'Économie.

Il s'agira d'effectuer des expérimentations sur des routes données et à des horaires précis, afin de permettre aux groupes français de pousser plus loin les essais qu'ils mènent avec des prototypes.

Bloqué dans les embouteillages ? Qui n'a rêvé d'organiser une visioconférence ou de regarder un bon film, plutôt que s'énerver au volant ? La voiture autonome permettra assurément d'améliorer la sécurité sur les routes, de fluidifier la circulation et de donner du temps au conducteur pour faire autre chose. De telles voitures sans chauffeur ne sont plus une lointaine utopie. Elles pourraient être commercialisées dès 2020 en Europe, estime Carlos Ghosn, PDG de Renault et Nissan.

« Plus que la faisabilité technique, c'est la résolution des problèmes de législation et de responsabilité qui va prendre un petit peu de temps », souligne d'ailleurs le double dirigeant.

D'ici à 2016, Nissan compte lancer ainsi des nouvelles technologies qui permettront de mettre son véhicule en pilotage automatique dans les bouchons. En 2018, la voiture pourra elle-même changer de file et gérer les imprévus. Enfin, à l'horizon 2020, elle sera capable d'aborder les intersections et carrefours sans intervention humaine.

La voiture connectée, c'est en tout cas une bonne affaire. Il s'agit en effet d'un énorme marché évalué à 50 milliards de dollars (37 milliards d'euros) au cours de la prochaine décennie ! Des fabricants de semi-conducteurs comme Infineon ou des géants technologiques comme Google sont d'ailleurs très impliqués dans les voitures « intelligentes » : 10% à peine des véhicules sont aujourd'hui dotés de « systèmes connectés » - fort primaires par rapport à ce que l'on verra dans les cinq ans à venir. Or, cette proportion devrait passer à plus de 90% d'ici à 2020, selon le groupe britannique de consultants Machina Research. Et ce, avec une sophistication autrement plus complexe, donc à un coût bien supérieur.

Mais la voiture du futur ne sera pas seulement connectée. Elle sera aussi beaucoup plus sobre et rejettera nettement moins de CO2, les deux étant corrélés. Car Bruxelles impose aux constructeurs automobiles une baisse drastique des émissions de gaz à effet de serre. Ces rejets ne devront pas dépasser 95 grammes au km en moyenne à compter de 2021, contre un peu moins de 130 l'an dernier selon l'Agence européenne pour l'environnement. Les voitures seront du coup plus légères avec des moteurs de cylindrée réduite et avec une dose variable d'électrification (hybridation). La mise en oeuvre des 34 plans de la « Nouvelle France industrielle » - un ensemble de projets lancés en septembre par le gouvernement et censés engager la France dans une nouvelle révolution industrielle durant les dix prochaines années - prévoit, outre le véhicule autonome, le programme d'une voiture consommant à peine deux litres aux 100 kilomètres.

Tous ces projets promettent un monde meilleur. Mais, hélas, ces énormes avancées technologiques auront des contreparties. Gare à l'oeil de « Big Brother » auquel rien n'échappe. Car, les systèmes de connexion des voitures permettront par la même occasion de surveiller étroitement les automobilistes et de les sanctionner à la moindre incartade. On voit déjà l'intérêt pas du tout innocent des compagnies d'assurance... Quant à la complexification des véhicules, elle pourrait aussi les rendre moins fiables et faire exploser le budget d'achat et d'entretien.

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Se pilote-t-elle toute seule ?

Les constructeurs travaillent d'abord sur des véhicules pouvant démarrer seuls, s'arrêter, tourner dans les embouteillages, aller se garer, mais à condition que le conducteur puisse reprendre la main à tout moment.

« Avant 2020, il y aura la conduite assistée. C'est-à-dire des véhicules qui roulent, tournent, s'arrêtent et repartent tout seuls. Mais à condition que le conducteur puisse reprendre immédiatement le contrôle à tout moment », explique Gilles Le Borgne, directeur de la recherche et du développement de PSA.

« En 2020, on commencera à voir des voitures vraiment autonomes, qui dialoguent entre elles et avec les infrastructures », souligne le dirigeant.

« Avant 2020, le système de navigation pourra annoncer qu'on en a pour vingt-cinq minutes d'embouteillage. La voiture prendra alors la main. Elle s'arrêtera, repartira. Mais "redonnera le volant" au conducteur dès que l'embouteillage sera fini et que la vitesse s'élève », renchérit Rémi Bastien, directeur de la recherche et de l'innovation de Renault.

À court terme, la voiture sans chauffeur « ne pourra fonctionner qu'à une vitesse très lente et dans un nouveau cadre réglementaire », expliquait pour sa part à la mi-juillet Carlos Ghosn, PDG de Renault et Nissan, lors d'une conférence au club des correspondants étrangers du Japon. Il faudrait revoir, en effet, la convention de Vienne de 1968 qui stipule qu'un véhicule doit être piloté par un conducteur...

« C'est pourquoi nous nous concentrons plutôt [d'abord] sur les systèmes de conduite partiellement automatisés », précisait le double patron. L'horizon pour une voiture qui peut se déplacer entièrement seule d'un point à un autre, « est beaucoup plus lointain », reconnaît Carlos Ghosn.

Chez Toyota, premier constructeur mondial à égalité avec Volkswagen, l'approche est similaire. Le but n'est pas non plus de fabriquer une voiture dépourvue de conducteur, mais, dans une première phase au moins, une voiture équipée d'un copilote électronique attentif, pour une conduite plus sûre et - en principe -moins stressante.

« À l'horizon 2018, la voiture pourra se garer toute seule avec le conducteur à bord. Avant 2020, la voiture se garera d'elle-même sans que le conducteur soit à l'intérieur », prédit Gilles Le Borgne.

En cas d'accident, le véhicule sera aussi plus intelligent.

« D'ici à cinq ans, une voiture connectée préviendra d'elle-même les secours, auxquels elle fournira des éléments pour intervenir efficacement, comme le profil des personnes, des informations sur le rythme cardiaque... », indique Rémi Bastien.

À condition, évidemment, que les clients acceptent de fournir de telles données, hautement périlleuses. Les compagnies d'assurance sont très demandeuses.

« Les tarifs d'assurance pourraient ainsi être moins chers pour ceux qui communiquent de telles données et... plus chers pour ceux qui refusent. »

À bon entendeur... Les constructeurs ne sont pas seuls intéressés. Le géant de l'Internet Google va construire ses propres petites voitures électriques sans conducteur dont il projette de fabriquer une centaine de prototypes. Cette deux-places n'aura « pas de volant, de pédale d'accélérateur ou de pédale de frein, parce qu'elle n'en a pas besoin. Nos logiciels et nos capteurs font tout le travail », a carrément pronostiqué Google lors d'une présentation en mai dernier. Gonflé.

Écolo, frugale et... incommode ?

La bataille contre le C02 va diminuer drastiquement les consommations et donc les rejets de gaz à effet de serre des véhicules. À la clé, des moteurs beaucoup plus petits et légers à très haut rendement. Avec un risque réel pour l'agrément de conduite et la longévité ! Parallèlement, de nouvelles normes vont s'attaquer davantage aux diesels.

« Priorité à la voiture décarbonée ». Favorisé dans la lutte contre le CO2 par sa spécialisation dans les petites voitures, le groupe PSA en fait son cheval de bataille.

Les modèles de Peugeot et Citroën sont déjà parmi les plus sobres et donc les moins émetteurs de gaz à effets de serre. Sur sa lancée, le groupe tricolore sera peut-être le premier à atteindre les sévères normes édictées par Bruxelles pour 2021. Dès 2020, PSA sera au-dessous. À cet horizon, ses voitures neuves devraient « rejeter 93,7 grammes de CO2 en moyenne, contre 116 en 2013 », affirme Gilles Le Borgne.

« Nos nouveaux moteurs Blue HDi permettront d'abaisser de 10% environ les émissions de CO2 d'ici à 2018. Même chose pour nos mécaniques à essence. C'est un vrai travail sur la résistance à l'avancement, la réduction de la masse », souligne-t-il.

« L'allégement nous permettra de réduire le poids des voitures de 30 % d'ici à cinq ans », indique de son côté Rémi Bastien.

Le poids est le premier facteur de consommation de carburant, donc d'émissions de CO2. Le gros des efforts portera sur les motorisations thermiques à essence et diesel existantes.

« En 2020, au moins 80% des véhicules seront encore thermiques, assure Gilles le Borgne, contre moins de 5% pour les électriques et 10 à 15% pour les hybrides ou hybrides rechargeables. »

Le mouvement est déjà largement entamé, avec des moteurs de plus en plus petits et d'une cylindrée réduite compensée par une extrême sophistication et un fonctionnement à des régimes élevés, comme sur les minuscules trois cylindres largement popularisés ces derniers temps sur les Ford, Renault, Peugeot, Citroën. Problème : ces micromécaniques sont très souvent d'un usage désagréable et, étant très sollicitées, on peut légitimement s'interroger sur leur longévité... En parallèle à la lutte anti-CO2, Bruxelles durcit les normes antipollution, le CO2 n'étant pas lui-même un polluant. Les normes très sévères Euro 6 - à partir de septembre 2014 pour les nouveaux véhicules, de septembre 2015 pour tous les modèles - font ainsi obligation aux moteurs diesel d'émettre beaucoup moins d'oxydes d'azote (NOx), particulièrement nocifs. Ce qui va obliger les constructeurs à équiper leurs modèles de très complexes systèmes de traitement. Avec, à la clé, un surcoût pour le client de 600 à 1.000 euros en moyenne. Le coût de maintenance sera également alourdi.

Ce n'est pas fini. En 2017 ou 2018, la norme Euro 6-2 entraînera une réglementation encore supérieure, suivie d'Euro 7 à l'horizon 2020-2021. Paradoxe pour les constructeurs : les normes antipollution proprement dites ont tendance à accroître les consommations, donc les rejets de CO2. Pas facile pour les motoristes de jouer sur les deux tableaux... simultanément.

Les voitures électriques, notamment celles de l'alliance Renault-Nissan en pointe dans ce domaine, sont handicapées par leur autonomie limitée et leur temps de recharge exagérément long. Mais elles vont participer à cet effort écologique, même si cela devrait rester encore marginal. « L'autonomie des modèles électriques va croître de 30% à plus de 200 km vers 2017-2018 », soutient Rémi Bastien. Et PSA prépare une deuxième génération de véhicules hybrides autour de 2018, avec des hybrides rechargeables - pouvant donc fonctionner en mode électrique pur dans les centres-villes notamment - vers 2020. Renault promet également de tels hybrides rechargeables.

Ainsi, le concept Eolab préfigure une Renault hybride rechargeable de la taille d'une Clio dont l'autonomie 100 % électrique de 66 km lui permettrait de revendiquer une consommation normalisée de seulement un litre aux 100 km. Peugeot présente une 208 Hybrid Air ne consommant que deux litres aux 100 km. Une ombre au tableau : Volvo, Toyota, Volkswagen, ont déjà de tels modèles au catalogue.

Ludique, sûre... contraignante

La voiture de demain sera plus sûre et tendra vers le « zéro mort » en cas d'accident. Confortable et ludique, elle risque aussi d'empêcher le conducteur de faire ce qu'il veut en le rappelant constamment à l'ordre. Valeo est l'un des tout premiers fabricants de caméras embarquées qui permettent de détecter les piétons, déclencher le freinage d'urgence, repérer des panneaux et feux de signalisation et aider l'automobiliste à se garer. Ces caméras de l'équipementier français sont aussi capables de traquer les yeux du conducteur, analysant ainsi son niveau de vigilance.

Parmi les merveilles technologiques de Valeo, le système de vision panoramique à 360 degrés à haute définition, avec quatre caméras numériques miniatures et un logiciel de traitement d'image qui offrent au conducteur une vue panoramique de son véhicule, l'alertent et peuvent anticiper une collision, avec un enfant surgi inopinément par exemple. L'environnement apparaît sur l'écran du tableau de bord.

Chez Valeo, le futur c'est bientôt.

« Nous participons à des études avec les constructeurs, les pétroliers, les manufacturiers pour étudier les évolutions de la société. La population va vieillir. Les ingénieurs travaillent sur la sécurité, avec la protection des occupants et des piétons, le bien-être dans la voiture. Il faut que ce soit simple et intuitif », souligne Guillaume Devauchelle, vice-président de Valeo chargé de l'innovation et du développement scientifique.

Mais ce dernier reconnaît que ces mêmes systèmes pourront surveiller le type de conduite, les dépassements de vitesses et... servir de mouchard pour les assureurs ou les employeurs dans le cas de flottes automobiles. Les optimistes y verront un formidable vecteur de sécurité, les esprits chagrins une irruption insupportable dans la liberté du conducteur. Une multitude de systèmes vont se généraliser, des sièges à capteurs de mesure du rythme cardiaque très sérieusement étudiés par Ford à l'alcootest électronique, que va proposer Volvo, lequel empêche le véhicule de démarrer s'il détecte un taux d'alcoolémie trop élevé. En termes de confort, on verra la généralisation du pilotage par la voix de la recherche d'un restaurant, la sélection de musique, l'envoi d'un courriel.

Bref de tout ce qui fera de la voiture une annexe du bureau ou du domicile. Mais le véhicule collera aussi à la route, pour éviter... d'en sortir. Porsche propose ainsi un système régulant automatiquement la stabilité d'un véhicule dans les conditions de conduite extrêmes. Les capteurs surveillent en permanence le tracé de la route, la vitesse du véhicule, celle de dérive, les accélérations transversales, pour calculer la trajectoire réelle, corrigée au fur et à mesure.

Le système de stabilisation active corrige les mouvements de roulis dès l'entrée d'un virage. En cas de coup de volant, le système freine légèrement la roue intérieure, afin de transférer davantage de motricité sur la roue extérieure et de lui donner l'impulsion supplémentaire qui permet à la voiture de garder le cap. Pas mal, non ? À terme, Volvo vise carrément le zéro mort par accident.

Une utopie ? Pas si sûr.

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ALLIANCE AU SOMMET RENAULT/BOLLORÉ

Après un an de discussions, Vincent Bolloré et Carlos Ghosn ont fini par convenir que l'union ferait la force sur un marché de la voiture électrique encore anecdotique. Les deux dirigeants ont scellé leur rapprochement en grande pompe début septembre sur les Champs-Élysées avec plusieurs projets communs.

À compter du second semestre 2015, Renault construira dans son usine normande de Dieppe (Seine-Maritime) le véhicule électrique Bluecar de Bolloré, jusqu'ici produit en Italie. Le site de Dieppe est l'ancienne usine d'Alpine... qui doit aussi fabriquer les futures sportives de Renault, à partir de 2016.

Les deux groupes ont décidé de créer par ailleurs « une coentreprise [70% seront détenus par le groupe Bolloré] dont l'objet sera d'installer des solutions complètes d'autopartage de véhicules électriques en France et en Europe ».

Les réseaux d'autopartage de Lyon (Bluely) et Bordeaux (Bluecub) proposeront ainsi prochainement la possibilité d'utiliser la Twizy de Renault, véhicule aux usages complémentaires de la Bluecar, déjà disponible. Enfin Bolloré a confié à Renault l'étude de faisabilité d'un modèle plus petit, à trois places. Les immatriculations de voitures électriques en France ont rebondi en juillet-août. Mais pas assez pour inverser la tendance à la baisse observée depuis le début de l'année (- 3,9%).

La part de marché atteint à peine 0,5%

La voiture électrique peine à décoller en raison d'un réseau de recharge insuffisant, de l'autonomie très limitée des véhicules, d'un très long temps de recharge (jusqu'à dix heures). L'Alliance Renault-Nissan, qui avait misé à fond sur l'électrique, a reconnu en fin d'année dernière que son objectif initial de 1,5 million de ventes cumulées en 2016 ne serait pas tenu.

À fin juillet, les deux partenaires avaient vendu dans le monde 176.000 véhicules électriques depuis la fin 2010 (45 800 Renault et 130.200 Nissan).