Affaire Ghosn : Nissan veut-il racheter Renault ?

Par Nabil Bourassi  |   |  927  mots
(Crédits : Darley Shen)
De nombreuses rumeurs font état d'une embuscade tendue par Nissan pour neutraliser Carlos Ghosn, défenseur jusqu'ici de l'équilibre de l'Alliance avec Renault. La chute du patron relance les spéculations autour d'une fusion où Nissan dispose d'un rapport de force favorable...

Lanceur d'alerte isolé ou complot ourdi par la direction de Nissan elle-même ? Toutes sortes de rumeurs courent, notamment sur les réseaux sociaux, depuis l'annonce de l'arrestation de Carlos Ghosn au Japon pour fraude fiscale. Il faut dire que les propos du Pdg de Nissan, Hiroto Saikawa, ont été particulièrement durs à l'endroit du patron de l'Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi qui l'a lui-même désigné à la tête de Nissan.

Ingrat ou droit dans ses bottes face aux accusations, Hiroto Saikawa n'a pas hésité à parler "du côté obscur de l'ère Carlos Ghosn". Il faut dire que les accusations sont en grande partie issues d'une enquête menée en interne par Nissan. Hiroto Saikawa ne s'est embarrassé ni de la présomption d'innocence ni, à tout le moins, d'une certaine réserve quant aux accusations visant le président de son conseil de surveillance, et plus encore, de celui qui a sauvé Nissan de la faillite il y a bientôt vingt ans.

"C'est un problème que tant d'autorité ait été accordée à une seule personne (...) A l'avenir, nous devons nous assurer de ne pas nous appuyer sur un individu en particulier", a ainsi déclaré le Pdg de Nissan dans son exposé sonnant comme un réquisitoire.

C'est d'ailleurs un communiqué de Nissan qui a donné les détails des griefs portés contre le patron franco-libano-brésilien.

Carlos Ghosn "a, pendant de nombreuses années, déclaré des revenus inférieurs au montant réel. (...) "En outre, de nombreuses autres malversations ont été découvertes, telles que l'utilisation de biens de l'entreprise à des fins personnelles."

Position désormais intenable de Ghosn au sein de l'alliance

"Extrêmement choqué", Hiroto Saikawa a toutefois fini par reconnaître que Carlos Ghosn "avait réalisé d'importantes réformes, et que ce qu'il avait accompli ne pouvait être nié". Mais désormais, la position de Carlos Ghosn est devenue intenable au sein de l'Alliance. Ses démissions (ou limogeages, ce sera selon...) des présidences des conseils de surveillance de Mitsubishi et Nissan devraient être effectives avant la fin de la semaine. Il pourrait également être évincé de la direction de Renault dans les jours qui viennent, si on en croit Bruno Le Maire qui a déclaré ce mardi matin que "Carlos Ghosn n'était en plus en état de diriger Renault".

Un conseil de surveillance de Renault est prévu dès mardi soir. Thierry Bolloré pourrait naturellement prendre la suite, en vertu de sa position de COO (ou numéro 2) du groupe français.

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La gouvernance de l'Alliance, sujet tabou chez Renault

Mais c'est la succession à la tête de l'Alliance qui pose problème et, à cet égard, rien n'a été prévu. Ce sujet est un véritable tabou chez Renault qui sait que Nissan l'attend au tournant pour renverser les termes de cette alliance nouée en 1999 et qui a permis à Renault de prendre 44% du capital de Nissan (15% en sens inverse mais sans droits de vote).

Cette Alliance tient surtout à la personnalité de Carlos Ghosn qui jouit d'une immense légitimité dans le capitalisme japonais. Le patron français sait qu'aucune des parties n'acceptera une fusion, il a donc bâti une Alliance où les identités des uns et des autres sont respectées. Les 6 milliards de synergies industrielles dégagées par l'Alliance, renforcée par l'arrivée de Mitsubishi en 2017, devaient rendre ce pacte "indétricotable".

Un problème devenu 100% politique

En réalité, la question n'est plus économique, elle est totalement politique. Tous les protagonistes sont convaincus que l'architecture actuelle de l'Alliance a été taillée sur mesure pour Carlos Ghosn et qu'elle ne lui survivra pas, et que la fusion est inéluctable.

D'un côté, le gouvernement français reste arc-bouté sur l'indépendance de Renault, de l'autre, Nissan n'acceptera jamais d'être racheté par un groupe étranger. Le groupe japonais n'a d'ailleurs jamais digéré l'humiliation de l'entrée du Français dans son capital. Aujourd'hui, Nissan pèse deux fois plus lourd que Renault, et même trois fois plus, si l'on regarde sa capitalisation boursière défalquée des participations croisées.

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Embuscade ?

Au final, l'affaire Ghosn doit être une opportunité de rééquilibrer les termes de l'Alliance... Certains craignent une embuscade. Le gouvernement français est obsédé par la volonté de Nissan de s'emparer de Renault. Avec 3,7 millions de voitures par an contre près du double pour le groupe nippon, le Français semble avoir plus à perdre d'un divorce que son partenaire. De son côté, Nissan consoliderait ses positions en Europe, en Amérique Latine et en Russie. En outre, le coût du rachat de Renault par l'entreprise dirigée par Hiroto Saikawa est tout à fait à portée de main.

Le rachat de Renault à portée de portefeuille

Selon Alphavalue, le rachat de Renault coûterait à Nissan environ 5 milliards d'euros après la déduction de sa participation de 44% chez le japonais. Elle pourrait même représenter 2,5 milliards après prise en compte de sa participation de 15% chez Renault. Il n'y aura plus guère que le gouvernement français pour faire barrage à Nissan. Mais pour être crédible, il devra présenter une alternative soutenable à Nissan. Une tâche hautement complexe ! Le bras de fer a déjà commencé en coulisse, et Hiroto Saikawa sera intraitable...

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