Alliance Renault-Nissan : vers un rééquilibrage en douceur ?

Par Nabil Bourassi  |   |  1065  mots
Carlos Ghosn quitte la direction de Nissan mais a pris soin de placer des gardes-fous afin de pérenniser l'alliance.
L'annonce du départ de la direction exécutive de Nissan de Carlos Ghosn a sonné comme la fin d'une parenthèse pour le constructeur automobile japonais, dirigé depuis 17 ans par ce cadre venu de chez Renault. Elle donne également un nouvel indice sur la tentation de rééquilibrer une Alliance où le rapport de force s'est nettement inversé, tandis que les termes du pacte managérial et décisionnaire sont restés identiques. Or, depuis la montée en puissance de l'Etat français dans le capital de Renault, les Japonais sont de plus en plus impatients de rééquilibrer le centre de gravité de cette alliance dont le bilan s'avère, somme toute, positif.

L'Alliance Renault-Nissan survivra-t-elle à Carlos Ghosn ? Cette question va désormais pouvoir être testée avec le départ de celui-ci de la présidence exécutive du japonais Nissan, qu'il dirige depuis quinze ans maintenant. Certes, il ne quitte pas définitivement le navire, et il a pris soin de placer de solides et nombreux garde-fous. Il reste président du conseil d'administration du constructeur nippon, il garde la main sur l'Alliance, son successeur à la tête de Nissan est, certes, japonais, mais c'est avant tout un cadre supérieur tout acquis à la cause de l'alliance. Le discours officiel veut aussi que tous les partenariats et collaborations entre les deux groupes soient les meilleurs garants de la pérennité de l'alliance.

Les synergies sont structurantes

Il est vrai qu'aujourd'hui les deux groupes sont capables de développer de très nombreux modèles à partir d'une même plateforme. Ainsi, l'Alliance est capable de déployer ses marques désormais nombreuses (Renault, Nissan, Dacia, Infiniti, Datsun, et bientôt Lada, Mitsubishi). Mieux, il est possible de développer plusieurs modèles d'une même marque sur une même plateforme (Espace, Talisman, Mégane et Kadjar ont été développés sur la même plateforme côté français). Autrement dit, les gains en coûts sont substantiels et désormais structurants pour les deux groupes. Impossible de faire marche arrière.

Jusqu'ici, l'Alliance vivait sur un pacte qui date du début des années 2000 selon lequel Renault possède 44% du capital de Nissan, et celui-ci détient 15% du précédent. Le second, en vertu du droit boursier japonais, ne peut avoir de droits de vote chez le premier puisque celui-ci détient une part plus importante. Ce qui revient à placer le groupe français au cœur du dispositif exécutif et décisionnaire de l'Alliance. Les Japonais se sont peu plaints de cette donne. Au contraire ! Ils n'ont pas oublié qu'en 1999 Renault a purement et simplement sauvé la marque de la disparition de la carte mondiale des constructeurs automobiles. En réalité, ils mettent ce redressement spectaculaire sur le compte de Carlos Ghosn pour qui ils vouent une véritable admiration. Grâce à ce franco-libano-brésilien, Nissan est devenu non seulement très rentable, mais a grossi au point de devenir deux fois plus gros que Renault. Mais aujourd'hui, l'équilibre capitalistique de 1999 ne traduit plus la réalité opérationnelle de 2017.

Après le coup de force de l'Etat français, les langues se sont déliées

Si jusqu'ici, les Japonais ont su ronger leur frein, l'affaire de la montée de l'Etat dans la capital de Renault a délié les langues. Au printemps 2015, le gouvernement français décide de monter dans le capital de Renault afin de contraindre celui-ci d'adopter les droits de vote double (loi Florange). Ce coup de force lui arroge 5% du capital de l'ex-régie pour culminer à 21%. Pour Nissan, cette décision était tout à fait inacceptable et le constructeur a jugé que l'Etat français avait enfreint les règles qui régissaient le pacte d'actionnariat croisé, au moins dans l'esprit. C'est là que le conseil d'administration de Nissan (dirigé par Carlos Ghosn) va commencer à s'interroger sur l'opportunité de renégocier les termes de l'Alliance. "Nissan n'a pas de problèmes avec Renault, mais avec son actionnaire de référence", lâche un haut cadre du groupe japonais. En d'autres termes, si Nissan quitte l'alliance à cause de l'Etat français, c'est Renault qui en sera la victime collatérale.

Car si Nissan a eu besoin de Renault, aujourd'hui, c'est bien l'inverse. D'abord, les 44% détenus chez Nissan renforce le bilan du groupe français. Lors de la crise, cet actif valait autant que la valorisation boursière de Renault. Ensuite, Nissan contribue largement aux bénéfices de la marque au losange avec ses généreux dividendes. Enfin, la marque japonaise a été un véritable facilitateur d'implantation en Chine pour Renault qui a construit et mis en service son usine en un an seulement. Le premier lui ayant apporté son tissu de fournisseurs et d'intégration locale. Idem côté technologies, les ingénieurs de Renault se sentent "nissanisés", selon le néologisme de l'un d'entre eux.

Deux groupes, deux zones géographiques respectives

Les volumes de vente, l'ingénierie... Nissan a l'avantage, c'est certain. Et en 2016, deux événements vont encore faire évoluer cet équilibre. D'abord, le rachat de Mitsubishi par Nissan. Pas par l'Alliance, par Nissan ! Ce dernier ajoute ainsi un million de voitures à sa puissance de feu commerciale, se consolide en Asie du Sud-Est et trouve une marque très forte dans les SUV mais également dans l'électrique, et qui s'est largement restructuré ces dernières années affichant une marge supérieur à 6%. De son côté, Renault, lui, finance l'augmentation de capital d'Avtovaz qu'il consolide désormais dans ses comptes. Il intègre un groupe qu'il a péniblement restructuré, en prise avec un marché très compliqué et volatil, et qui est également sous l'œil du très puissant Vladimir Poutine, le président russe. Nissan voit sa participation diluée dans le fabricant russe de Lada. Ainsi, les deux groupes alliés se renforcent dans leur zone géographique respective d'une manière assez exclusive. On est loin de la fusion avec un siège mondial en France dont rêve l'Etat français.

Carlos Ghosn ne cesse de marteler qu'il est à la tête d'une structure proche des dix millions de voiture. En réalité, l'Alliance est tout sauf un groupe intégré. Elle a certes mis en place des synergies très poussées sur le partage de plateformes industrielles, dans la direction des achats... Le montant des synergies culminera à 5,8 milliards d'euros par an en 2018. Mais Nissan est plus fort que jamais et Renault est encore aux balbutiements en Chine, absent des Etats-Unis et du Japon. Carlos Ghosn reste la pierre angulaire d'un édifice qui, certes, ne menace pas de s'effondrer, mais qui appellera un jour à un rééquilibrage des forces. Et pour l'instant, Renault est loin de pouvoir réellement peser. Impossible de ne pas voir dans le départ de Carlos Ghosn de l'exécutif de Nissan, le premier acte d'une redistribution des cartes. Elle blessera probablement la fierté nationale, mais elle sera surtout salutaire pour l'Alliance.