Fiat-Renault : un coup de massue pour Senard

Par Nabil Bourassi  |   |  837  mots
Le patron parachuté comme l'homme providentiel après le long règne sans partage de Carlos Ghosn, est désormais dans une posture inconfortable. (Crédits : Reuters)
Arrivé en janvier dernier à la tête de Renault, l'ancien patron de Michelin a vu son projet de fusion avec Fiat avorté, après avoir perdu le soutien de l'État français. Les observateurs parlent d'un projet monté dans la précipitation qui n'a pas tenu compte des risques, notamment d'une rupture avec Nissan. Désormais, Jean-Dominique Senard doit évaluer sa crédibilité auprès des marchés et de ses équipes.

C'est un terrible désaveu que s'est vu infliger Jean-Dominique Senard. Le retrait de l'offre de Fiat d'un projet de fusion « entre égaux » assomme complètement la dynamique Senard, parachuté fin janvier président de Renault pour sauver le groupe automobile d'une débâcle managériale majeure à la suite de l'arrestation de Carlos Ghosn. Auréolé de son bilan à la tête de Michelin, Jean-Dominique Senard jouissait d'un a priori favorable de la part des marchés, mais également de l'allié japonais de Renault, Nissan.

Cette main de fer dans un gant de velours avait commencé son mandat sur les chapeaux de roues en refondant l'Alliance avec une nouvelle gouvernance, le conseil opérationnel qui se voulait plus équilibré dans la prise de décision. Il a également réussi à imposer au très redouté Hiroto Saikawa, le patron de Nissan, l'entrée de Thierry Bolloré au conseil d'administration du Japonais, tout en prenant de la distance avec les années Ghosn (Renault a transmis des dossiers à la justice française). En quelques semaines seulement, Jean-Dominique Senard est parvenu à rétablir le rapport de force avec Nissan avec une approche gagnant-gagnant et non de « dominant et dominé ».

Du grain à moudre dans l'Alliance

En réalité, Jean-Dominique Senard agaçait royalement chez Nissan puisqu'il n'a eu de cesse de pousser les feux pour mettre sur pied un projet de fusion que les Japonais ne veulent pas. Probablement mandaté en ce sens par le gouvernement français, l'ancien patron de Michelin passait son temps entre Paris et Tokyo avec, dans sa valise, différents scénarios de fusion. Hiroto Saikawa, lui, estimait que l'heure était plutôt à l'approfondissement de l'Alliance où il y a encore du grain à moudre en termes de synergies.

Puis lundi 27 mai, c'est un troisième larron qui a surpris tout le monde. Fiat Chrysler Automobiles (FCA) a proposé de fusionner les deux entreprises en distribuant les actions de la nouvelle entité à 50-50 aux actionnaires actuels. Avant que le communiqué soit public, Jean-Dominique Senard avait évidemment pris soin de consulter son actionnaire, l'État français et avait obtenu son aval. En outre, l'envolée des titres en Bourse plébiscitait clairement l'opération aux yeux des investisseurs.

Sauf que très vite, des voix critiques vont se faire entendre. D'abord, de nombreux spécialistes du secteur vont afficher leur surprise face à un deal en apparence équilibré, mais qui en réalité ne traduit pas les investissements et les prises de risques technologiques de Renault face à un FCA accumulant les lacunes. Pour certains, la famille Elkann (30% du capital de FCA), réalise une opération financière juteuse après avoir pressé le citron de l'empire automobile pendant 15 ans, tout en piochant dans les acquis et les forces de Renault.

Jean-Dominique Senard en porte-à-faux avec l'État

Mais c'est l'attitude de Nissan qui va conduire à la mécanique de l'échec. Le Japonais va, dans un premier temps, se plaindre d'avoir été prévenu que très tardivement de ce projet. En étant informé au dernier moment, Nissan estime avoir été mis devant le fait accompli. Ni une ni deux, Jean-Dominique Senard s'envole pour le Japon où il parvient à rassurer, du moins en apparence, son partenaire qui prétend alors ne pas avoir d'opposition de principe sur un rapprochement entre Renault et Fiat. En réalité, Nissan n'est pas convaincu par le projet, et le fait savoir... Au point de faire douter l'État français qui a posé comme condition à la fusion que Nissan ne quitterait pas l'Alliance.

C'est Martin Vial, patron de l'Agence des participations d'État et administrateur du constructeur tricolore qui se charge de demander au Conseil d'administration un délai supplémentaire. Jean-Dominique Senard n'ose pas le coup de force alors que le conseil est majoritairement favorable (14 voix pour, quatre abstentions et un contre).

Pour Jean-Dominique Senard, ce revers est vertigineux. Il a tenté un « coup » face à l'intransigeance de Nissan. Mais le piège s'est retourné contre lui. Entre un Fiat intraitable - « c'est à prendre ou à laisser » aurait dit un porte-parole cité par Les Echos -, un État-actionnaire devenu très hésitant et un allié rétif, Jean-Dominique Senard a été clairement désavoué emportant Renault dans son isolement.

Le patron parachuté comme l'homme providentiel après le long règne sans partage de Carlos Ghosn, est désormais dans une posture inconfortable. Sa crédibilité paraît sérieusement entamée auprès des marchés, mais également auprès de ses équipes. Tout porte à croire que le dossier de fusion a été bouclé dans la précipitation et les risques n'ont pas été bordés. Enfin, Jean-Dominique Senard est désormais en porte-à-faux avec son actionnaire qui après l'avoir poussé à monter un projet de fusion, l'a abandonné au milieu du chemin. Dans un contexte de marché très compliqué, Renault est au bord d'une nouvelle crise managériale, qu'elle ne peut pourtant pas se permettre. Le statu quo n'est pas non plus une option...