L'automobile britannique s'enfonce dans une crise larvée en attendant le Brexit

Par Nabil Bourassi  |   |  771  mots
Mini a d'ores et déjà annoncé qu'il produirait sa voiture électrique en Allemagne dans les usines de sa maison-mère, BMW.
Les groupes automobiles n'ont aucune visibilité sur l'avenir du pays qui était pourtant devenu l'une des plus florissantes d'Europe. Alors que le Brexit n'est pas encore effectif, les constructeurs subissent déjà les assauts d'une livre volatile, tandis que le marché domestique, lui, est en train de se tasser plus ou moins brutalement...

Que reste-t-il de l'automobile britannique ? Tout ce que le pays comptait de marques prestigieuses ont été rachetées par des groupes étrangers, quand elles n'ont pas tout simplement disparu (Rover). En réalité, tel un Phoenix, l'automobile britannique était parvenue à rebondir ces dernières années, au point de dépasser la France en termes de production. Cette belle histoire semble toutefois tourner au cauchemar avec la perspective du Brexit.

Pour Khalid Ait-Yahia, économiste sectoriel à la Coface, l'industrie automobile britannique a d'ores et déjà vu ses investissements baisser de 34% en 2016. « Un niveau jamais atteint », explique l'économiste.

«Hard» ou «soft» Brexit ?

La faute aux incertitudes sur le Brexit. Les industriels ignorent encore quel scénario les attend à l'issue d'une négociation qui s'annonce plus politique que rationnelle, et qui pourrait durer deux ans. Entre les hypothèses d'un hard ou d'un soft Brexit, les enveloppes d'investissement ne seront évidemment pas les mêmes.

Mais les constructeurs automobiles semblent jouer à la même partie de poker-menteur que les hommes politiques. Entre l'accord secret de Carlos Ghosn et Theresa May pour sécuriser le site Nissan de Sunderland, la menace de délocalisation de Toyota aussitôt transformée en projet d'investissement de 240 millions de livres... Les analystes ne savent plus à quels saints se vouer dans ce jeu de dupes !

Les industriels font-ils mine d'attendre d'en savoir plus ou sont-ils tout simplement en train de réduire gentiment et discrètement la voilure au Royaume-Uni ? Khalid Ait-Yahia s'interroge sur le sens de l'annonce par BMW de la production de la future Mini électrique en Allemagne.

Une livre volatile

En attendant, les constructeurs automobiles subissent... La volatilité de la livre sterling notamment. Elle a perdu 15% de sa valeur au lendemain du référendum sur le Brexit, et reste exposée à des mouvements d'amplitude à la moindre actualité monétaire ou macroéconomique...

Cette baisse de la livre a renchéri le coût des importations. Comme le rappel l'économiste de la Coface, 59% du « sourcing » (les approvisionnements) de l'industrie automobile britannique se fait en dehors de l'archipel... Pis ! Certaines pièces font plusieurs allers-retours. Khalid Ait-Yahia cite l'exemple du vilebrequin qui est fondu en France, part au Royaume-Uni pour achever sa forme, avant d'intégrer le bloc moteur en Allemagne avant de revenir en Angleterre pour être montée dans une Mini... Si tout ce complexe industriel sera nécessairement revu après le Brexit pour éviter les droits de douane redondants, il est d'ores et déjà secoué par la volatilité de la livre sterling...

Un château de cartes

C'est toute l'industrie automobile britannique qui se voit donc menacer de s'effondrer comme un château de cartes alors que celle-ci revient de loin... Elle était, il y a encore à peine deux ans, l'une des plus dynamiques d'Europe. Nissan investissait des centaines de millions dans son usine proche de Newcastle pour intégrer sa filiale haut-de-gamme Infiniti, mais également une unité dédiée à la voiture électrique. L'indien Tata n'a cessé d'augmenter les capacités de ses filiales Jaguar et Land Rover en plein boom, soit près de 5,5 milliards d'euros d'investissements entre 2011 et 2016. En 2014, le pays produisait 2,4 millions de voitures, soit 700.000 de plus que la France... « Le Royaume-Uni est le pays qui a l'industrie automobile la plus productive avec un taux d'utilisation de ses capacités de 70% », affirme Khalid Ait-Yahia de la Coface.

Les marques qui ne produisent pas sur place sont également dans la tourmente d'une livre sterling très volatile. Peugeot a été le premier à augmenter ses prix face à la baisse de la devise britannique. Les autres ont suivi...

La résilience

Dernier volet de cette crise larvée... Le marché domestique s'essoufflerait après des années de dynamisme. En 2016, les ventes avaient augmenté de 2,3% après une progression de 6,3% l'année précédente. Les économistes mettaient alors ce rythme de progression sur le compte de l'effet de rattrapage. Or, il semblerait que celui-ci serait bel et bien arrivé à son terme... Le marché a atteint 2,7 millions d'unités, soit un record historique. En début d'année, les marques automobiles espéraient un atterrissage en douceur en tablant sur un recul de 5% en 2017.

Or, en avril, la chute a été abrupte : -20% ! Les professionnels évoquent l'apparition d'une nouvelle taxe apparue le 1er avril (dont les véhicules électriques sont exempts) pour expliquer cette contre-performance. L'automobile britannique est donc entrée dans une nouvelle ère... Sauf qu'elle en ignore encore les tenants et les aboutissants, et surtout, elle se demande si la résilience dont elle a fait preuve dans le passé sera suffisante pour sauver sa peau...