Brexit : pourquoi les constructeurs automobiles veulent l'éviter à tout prix

Les constructeurs automobiles pointent les conséquences du rétablissement de frontières douanières, de restrictions de circulation de leurs collaborateurs, ainsi qu'une désharmonisation des normes. En réalité, l'industrie automobile britannique, tournée à l'exportation à 70%, risque surtout d'être confrontée à une nouvelle problématique de change...
Nabil Bourassi
L'industrie automobile britannique a connu une renaissance ces dernières années, elle produit désormais plus de voitures que la France.

Pour les constructeurs automobiles, le Brexit c'est non ! Ils l'ont déjà exprimé en mars dernier lors d'un sondage réalisé par la Society of Motor manufacturers and Traders et qui réunit plus de 30 constructeurs et 2.500 équipementiers, tous installés au Royaume-Uni. Ils étaient 77% à se prononcer pour le maintien du pays dans l'Union européenne. Soit une écrasante majorité.

Une industrie puissante

Cette opinion n'est pas seulement anecdotique lorsque l'on sait le poids de l'industrie automobile britannique. S'il est vrai que celle-ci revient de loin, elle a enclenché une véritable renaissance depuis les années 2000 et emploie aujourd'hui près de 800.000 personnes. Avec 1,6 million d'unités produites en 2015, les voitures made in UK sont plus nombreuses, d'une courte tête, que la production française (1,55 million).

Il ne faut pas seulement compter sur les marques traditionnelles nationales qui ont toutes entamé une véritable renaissance comme Mini ou Rolls Royce, ou plus récemment encore avec Jaguar et Land Rover. Les usines Honda, Toyota et Nissan ont également contribué à renforcer cette industrie.

"Les constructeurs disposent d'une importante base installée au Royaume-Uni avec des usines performantes et compétitives, des salariés bien formés et un tissu de sous-traitants historiquement très fort", rappelle Guillaume Crunelle, analyste automobile au cabinet Deloitte.

Mais plus encore, si cette industrie est si inquiète face au Brexit, c'est que près de 70% de la production nationale est destinée à l'export, essentiellement dans l'Union européenne. Certaines marques n'ont pas hésité à adresser à leurs salariés un courrier afin de leur rappeler où se trouvait l'intérêt de leur employeur. BMW, qui possède Mini et Rolls Royce, mais également Toyota se sont ainsi fendus d'un tel courrier.

"La bonne santé de l'industrie automobile britannique de ces quatre dernières années repose sur le décollage du marché intérieur, mais également sur la bonne intégration à l'économie", analyse Guillaume Crunelle.

La peur d'un bouleversement de paradigme

Ils jugent que la sortie du Royaume-Uni risque de porter directement atteinte sur leur capacité d'exportation que ce soit sur le libre-échange, les normes d'homologation ou sur la libre circulation des collaborateurs. Autrement dit, un cauchemar qui, selon eux, remettrait totalement en cause le paradigme qui a fondé leur stratégie exportatrice.

"Lorsqu'un constructeur décide d'investir dans une usine, c'est pour du long terme, il a besoin d'une visibilité sur cet horizon, mais également d'une stabilité. La perspective d'un Brexit ouvrirait une période d'instabilité sur les termes de ce que sera l'économie britannique demain, notamment en termes d'exportations en Europe", explique Guillaume Crunelle.

Il existe plusieurs cas de figure en cas de Brexit. Premier scénario, peu probable, c'est que le Royaume-Uni applique des barrières douanières à l'importation, ce qui en posera mécaniquement à l'export. Même les plus fervents défenseurs du Brexit sont favorables à un accord de libre-échange bilatéral, deuxième scénario, à l'image de la Norvège qui ne fait pas parti de l'Union européenne, mais a intégré le marché unique.

Des analystes jugent que la conclusion de tels accords prend du temps et qu'en attendant ce sont les conditions douanières de l'OMC qui s'appliqueront. Dans les faits, dans l'éventualité d'un vote en faveur du Brexit, Londres disposera d'un délai de deux ans avant que la sortie de l'Union européenne soit effective.

La problématique monétaire

En réalité, ce qui inquiète le plus les constructeurs ne tient pas tellement sur les questions réglementaires, mais sur la tenue de la livre sterling. "On peut craindre que le Brexit soumette la Livre sterling à une plus forte volatilité sur le marché des changes, ce qui peut influer sur les marges des constructeurs", juge Guillaume Crunelle.

Pour Hadi Zablit, spécialiste automobile au Boston Consulting Group (BCG), la menace est sérieuse :

"Les variations des taux de change peuvent facilement rendre profitable ou non un site industriel automobile. Ce secteur peut par exemple difficilement supporter une hausse de 10% d'une devise sans impacter très négativement son taux de marge".

Et de rappeler :

"Les constructeurs n'aiment pas les pays avec des taux de change trop volatils comme la Corée du Sud".

C'est à double tranchant. En cas de baisse structurelle de la livre sterling, l'industrie automobile britannique serait encore plus compétitive à l'export. Elle ne craindrait même pas d'avoir à importer ses pièces plus chères grâce à une forte intégration locale. En revanche, la balance commerciale risquerait de souffrir. Elle est déjà très déficitaire avec un solde négatif de 6 milliards de livres sterling, d'après le BCG. Du côté des marques qui ne produisent pas sur place, une baisse de la livre sterling serait une catastrophe. Renault en avait fait l'amère expérience lors de la crise des subprimes, lorsque la Banque d'Angleterre avait fait plonger sa devise pour soutenir l'économie britannique.

Une industrie renaissante

Les constructeurs ont beaucoup investi au Royaume-Uni : près de 10 milliards depuis 2013. Ils ont répondu favorablement au plan de renaissance de l'industrie automobile engagé par le gouvernement en 2002. "Le Royaume-Uni a réussi à reconstruire son industrie automobile en reconstituant des compétences en R et D. Il y a aujourd'hui 13 centres de R et D dans le pays et beaucoup de marques de niche très innovantes comme McLaren ou Lotus", rappelle Hadi Zablit.

Certaines marques ont tout misé sur le Royaume-Uni. Ainsi, Honda produit 100% de ses ventes européennes au Royaume-Uni et Ford 59%. La perspective d'une sortie du pays de l'Union européenne ne devrait pas remettre en cause la pérennité des sites actuels. En revanche, elle pourrait rebattre les cartes des projets d'investissements en Europe. "Les constructeurs réfléchiront à deux fois avant de décider d'investir au Royaume-Uni", pense Hadi Zablit. De quoi faire réfléchir deux fois les électeurs britanniques ? Réponse vendredi matin !

Nabil Bourassi

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Commentaires 17
à écrit le 23/06/2016 à 16:34
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Il y a une erreur dans l' article. En aucun cas la Ford Motor Company ne produit 49% de ses ventes en GB. L'usine de Dagenham est fermée il y a bien longtemps et Halewood est vendue à Jaguar. En fait Ford produit 0% de voitures en GB depuis que Jagua...

à écrit le 23/06/2016 à 13:48
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En effet, le Brexit sera un bon moyen pour réguler les importations MASSIVES de bagnoles de piètre qualité produites par de la main d'oeuvre exploitée escalvagisée par les constructeurs, en particulier par Renault Nissan qui inonde la France avec ...

le 23/06/2016 à 18:59
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A propos de moteurs Renault Nissan d'un autre âge il faudrait expliciter un peu plus votre commentaire . En ce qui concerne des caisses mal soudées j'en ai jamais entendu parler dans toutes les enquêtes de fiabilité . Pour le reste le peuple Anglai...

à écrit le 23/06/2016 à 12:53
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En cas de brexit , la banque centrale britannique , une des rares encore sous contrôle de l'état, pourrait laisser flotter la livre sterling jusqu'à une dépréciation de 20 % par rapport à l'euro actuel. Cela aurait pour effet de rendre plus attracti...

le 23/06/2016 à 13:13
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Perdre 20%, pour tout ce qui est acheté en $ ou €, ça n'est pas gênant (pour le porte monnaie) ? A moins d'être une ile autosuffisante et ne faire qu'exporter à bas prix. Il va être urgent de re-ouvrir les mines !

le 23/06/2016 à 13:22
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Bah peut être que vous n'avez pas tous les éléments et que eux oui...

le 23/06/2016 à 16:38
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Je suis d'accord. Et puis ça permettrait aux Brits de ralentir sur le conso de VW golf et Ford focus de Saarlouis pour acheter plus de Honda Civic et Jazz locales ainsi que de Toyota Auris, ces usines là pouvant encore monter en puissance et ayant un...

le 23/06/2016 à 17:49
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effectivement 20 % de perte sur les produits importés ça rend plus chèrs ces produits. Donc pour le pétrole et le gaz ça sera plus cher. Sauf que le pétrole et le gaz s'achètent en dollars et dans ce cas précis ça ne serait plus que 15 ou 17 %. J...

à écrit le 23/06/2016 à 12:31
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Parce qu'il reste des constructeurs Britanniques de voiture en Grande-Bretagne ?

à écrit le 23/06/2016 à 12:30
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On comprend parfaitement pourquoi. Le Royaume-Uni est le cheval de Troie des constructeurs automobiles étrangers en raison de la fiscalité avantageuse. Si les Anglais restent dans l'UE, il faudra leur demander d'avoir la même fiscalité que les autres...

à écrit le 23/06/2016 à 12:28
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L'industrie de l'automobile en GB, ce sont principalement des constructeurs étrangers, Ford, Nissan, BMW et Toyota. Le dumping social (la précarité), le dumping fiscal ( Ainsi que la facilité d'évasion fiscale vers les paradis fiscaux anglo-saxons...

le 23/06/2016 à 16:43
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Mais qu'est ce que vous racontez?! certes les conditions de travail à Nissan Sunderland sont dures mais ce n'est pas la chine....et puis les patrons sont français il me semble!! Quand à Honda, BMW et Toyota, c'est certainement ceux qui traitent le mi...

le 23/06/2016 à 17:28
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@ amiri ; Par quel heureux hasard ? sont ils si nombreux en Uk....what else ..

à écrit le 23/06/2016 à 11:16
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pour avouer les états de l EUROPE désunis affichent le désarroi de la minorité de profiteurs et de certains politiques

à écrit le 23/06/2016 à 9:42
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Le Brexit sera positif pour réduire les importations massives de Renault Nissan en France et en Europe, et Ghosn sera obligé de relocaliser en France s'il veut vendre en France et en Europe Il faut voir le coté positif du Brexit

le 23/06/2016 à 16:48
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Sans brexit ce sont déja 80.000 Nissan relocalisées en France à Flins pour 2017. Avec brexit c'est aussi une exportation de moteurs et de composants mécaniques français vers Nissan Sunderland qui risque de passer à la trappe pour les remplacer par le...

à écrit le 23/06/2016 à 9:16
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Vive le Brexit vive l'Europe !

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