Renault ouvre enfin l'épineux et très politique dossier de l'après-Ghosn

Par Nabil Bourassi  |   |  951  mots
Carlos Ghosn va devoir négocié très serré avec Emmanuel Macron avec lequel il a déjà eu l'occasion d'afficher ses divergences stratégiques concernant l'avenir de Renault.
Selon des indiscrétions divulguées par Reuters, l'Alliance Renault-Nissan cherche un numéro deux au tout puissant Carlos Ghosn. Ce dossier était devenu une exigence des marchés qui estiment que le modèle managérial actuel menaçait la sécurité financière de Renault à terme. Carlos Ghosn a probablement voulu attendre la fin de l'élection présidentielle pour ouvrir ce dossier qui s'annonce très tendu avec le nouveau locataire de l'Élysée.

Il n'était plus question d'attendre... La question de la succession de Carlos Ghosn était devenue une question impérieuse qu'il n'était plus possible de reporter. D'après Reuters, qui cite des sources internes anonymes, l'Alliance Renault-Nissan aurait donc enclenché une réforme de son modèle managérial qui devrait aboutir à la nomination d'un très officiel numéro deux.

Éviter un affrontement nationaliste en nommant des étrangers ?

Selon ces sources, il s'agit de fusionner les fonctions de directeur délégué à la compétitivité de Renault et Nissan. Ces fonctions sont actuellement occupées par Thierry Bolloré côté français, et par Yasuhiro Yamauchi, côté japonais. Ils pourraient ainsi être les candidats naturels à ce poste... Il faut également compter sur les directeurs à la performance représentés par Stefan Mueller chez Renault et Jose Munoz chez Nissan. Ces deux derniers étant respectivement allemand et espagnol, ils ont l'avantage d'éviter l'écueil d'un affrontement nationaliste entre les deux groupes automobiles.

Car la succession de Carlos Ghosn s'annonce hautement sensible... Tant et si bien que depuis plusieurs mois, les marchés se sont mis en réserve sur l'action du constructeur automobile français. De nombreux gérants de portefeuille s'interrogent effectivement sur la pérennité du modèle managérial de l'Alliance Renault-Nissan au-delà de Carlos Ghosn. Il suffit de voir l'action du constructeur qui ne décolle pas en Bourse depuis le début de l'année (+1,06%), et ce, malgré la publication d'excellents résultats annuels et commerciaux. À titre de comparaison, le titre de PSA, lui, a augmenté de 16% depuis le 1er janvier.

Le raid boursier fomenté par Emmanuel Macron...

Au printemps dernier, Carlos Ghosn avait surpris tout le monde en annonçant la nomination d'un japonais pour prendre la tête de Nissan : Hiroto Saikawa. Restait à savoir ce qu'il adviendrait de sa succession côté Renault. Carlos Ghosn ne pouvait pas aller plus loin tant que l'élection présidentielle française n'était pas terminée. L'arrivée d'Emmanuel Macron à l'Elysée ne pourrait pas pour autant faciliter ses affaires tant les deux hommes sont connus pour leurs relations houleuses et qui datent de l'époque où le nouveau président était ministre de l'Économie et des Finances. C'est lui qui avait été à l'origine du raid boursier de l'État français dans le capital de Renault passant de 15 à 20% des parts pour contraindre celui-ci d'adopter la règle des droits de vote double. Une initiative qui avait rendu Carlos Ghosn furieux !

Or, le mandat de ce dernier à la tête de Renault arrive à échéance en avril 2018, et l'État français aura sûrement le premier et le dernier mot sur sa reconduction ou sa succession, fort des 37% de droits de vote qu'il détient à l'assemblée générale des actionnaires de Renault.

Le suspense de ce feuilleton a fini par agacer les marchés qui réclament davantage de visibilité sur le plan de succession managérial de l'Alliance Renault-Nissan dont dépend largement, selon eux, l'avenir de Renault. Celui-ci détient près de 44% du capital de son partenaire japonais qui pèse pourtant deux fois plus lourd et contribue généreusement aux profits du français (800 millions d'euros cette année), mais également à ses gains de compétitivité. Renault et Nissan partagent les achats grâce auxquels ils réalisent de substantielles économies d'échelle, mais ils conçoivent également des plateformes modulaires à partir duquel ils peuvent construire des modèles différents pour leurs nombreuses marques respectives : Renault, Nissan, Dacia, Datsun, Infiniti, Lada... Et bientôt Mitsubishi ! Les économies se comptent en plusieurs milliards d'euros...

Un successeur pour Renault ou pour l'Alliance ?

Mais Carlos Ghosn peut-il régler la succession de la direction de l'Alliance avant d'avoir réglé celle de Renault ? Jusqu'ici, Thierry Bolloré était favori pour succéder à Carlos Ghosn à la tête de Renault... Cela ne veut pas dire qu'il lui succédera à la tête de l'Alliance... Autrement dit, Renault-Nissan pourrait en finir avec la concentration des pouvoirs. « Il y a un vrai problème de contre-pouvoirs dans l'Alliance Renault-Nissan », nous expliquait un gérant de fonds il y a quelques mois. Elle pourrait aussi acter le déplacement de l'équilibre vers le Japon, ce qui serait logique compte tenu du poids économique des deux parties.

En tout état de cause, le successeur de Carlos Ghosn devra être adoubé par Nissan. Jusqu'ici, le constructeur japonais donnait carte blanche à Carlos Ghosn qu'il considérait comme l'homme qui l'a sauvé de la faillite à la fin des années 1990. Mais, la montée de l'État français dans le capital de Renault a été mal vécue par Nissan.

Le numéro un mondial de l'automobile

Mais Emmanuel Macron pourrait faire fi de ce dernier paramètre. Il n'en avait d'ailleurs pas tenu compte lors de la montée dans le capital de Renault et avait répondu à Carlos Ghosn qu'il était temps que Renault absorbe définitivement Nissan en franchissant le seuil des 50% du capital. Un projet contre lequel Carlos Ghosn s'est toujours opposé, jugeant que c'était la meilleure façon de faire capoter deux décennies de rapprochement industriel chèrement négocié par les deux parties.

Ce qui se joue pour Carlos Ghosn, c'est donc la pérennité du groupe industriel dont il a été l'un des principaux artisans aux côtés de Louis Schweitzer. Avec l'Alliance Renault-Nissan dont fait partie maintenant Mitsubishi, il serait - « à quelques milliers de voitures près » - à la tête du numéro un mondial de l'automobile fin 2017.