Voiture électrique : la bataille des chiffres qui réhabilite une technologie

Par Nabil Bourassi  |   |  895  mots
De technologie marginale et mal aimée, la voiture 100% électrique fait désormais l'objet de toutes les convoitises.
Depuis l'éclatement du scandale Volkswagen sur les moteurs truqués, une prise de conscience a autant saisi les constructeurs, que les pouvoirs publics et les consommateurs. Depuis quelques semaines, la voiture électrique fait l'objet d'annonces spectaculaires, assorties de chiffres astronomiques...

Carlos Ghosn a-t-il eu raison trop tôt ? Il y a encore à peine deux ans, le patron de Renault et Nissan était la risée des constructeurs automobiles. Son programme électrique était jugé disproportionné et ses projections à côté de la plaque. Très peu de constructeurs, parmi les grands, misaient alors sur la voiture électrique. De Volkswagen à Mercedes en passant par Toyota... Les plus grands préféraient miser sur l'hybride.

Un virage à 360°

Sauf qu'entre-temps, le scandale Volkswagen a eu un effet de tremblement de terre dans la planète automobile. Dès lors, divers changements se sont télescopés pour conduire les groupes à opérer un virage à 360° sur la voiture électrique. Ils ont d'abord cherché à se racheter une virginité auprès d'une opinion échaudée et devenue suspicieuse à leur endroit. Ensuite, les pouvoirs publics ont pris la mesure des objectifs ambitieux et laborieux de réduction des émissions de CO2, et ont donc lancé de nombreuses mesures de soutien à l'électrique, y compris en Allemagne. Les consommateurs, de leur côté, seraient également plus enclins à payer plus cher une voiture électrique, pourvu que celle-ci soit plus respectueuse de l'environnement. De plus, les dernières innovations permettent à la voiture électrique d'apporter des autonomies plus convaincantes : de 150 à 300 km pour une Renault Zoé ou une BMW i3. Enfin, plusieurs marques comme Tesla ont réussi à rendre sexy les voitures électriques.

En quelques mois, les plus grands constructeurs automobiles ont échafaudé des plans stratégiques ambitieux avec des chiffres astronomiques. Volkswagen compte réaliser 25% des ventes de son groupe sur "l'électro-mobilité" à horizon 2025, dont un million de voitures par an pour la seule marque Volkswagen. De son côté, Mercedes a annoncé une enveloppe de 10 milliards d'euros pour développer une dizaine de modèles, sur ce même horizon. La marque allemande premium avait fait sensation au salon de Paris en présentant EQ le prototype censé donner le ton de cette ambition électrique.

Le groupe britannique Jaguar-Land Rover a également annoncé qu'il allait se lancer dans un programme 100% électrique, sous l'impulsion du gouvernement britannique qui souhaite en faire une filière de développement majeur. D'après le Financial Times, ce projet impliquerait un investissement de 530 millions de livres pour la filiale du groupe indien Tata.

Toyota et BMW, dans la retenue ?

Face à cette surenchère d'annonces, deux grands groupes ont choisi la retenue tout en divulguant des projets importants.

Toyota serait ainsi sur le point de basculer. Le groupe japonais, numéro un mondial de l'automobile, avait jusque-là préféré se concentrer sur l'hydrogène comme technologie de rupture. Il a pourtant récemment annoncé qu'il allait constituer une coentreprise dédiée au développement électrique. Toyota n'en fait pas pour autant une priorité stratégique, mais juge que la technologie 100% électrique doit pouvoir faire partie d'une gamme parmi d'autres afin de répondre à "la diversité des situations".

De son côté, BMW n'est, certes, pas entré dans cette course aux effets d'annonce, mais la marque allemande se considère comme l'une des pionnières de la voiture électrique. Sa i3 revendique ainsi plus de 8% de parts de marché mondial dans ce segment technologique. BMW espère aller encore plus loin avec le doublement de l'autonomie de la i3 à 300 km. Pour autant, BMW ne semble pas vouloir se doter d'un plan de développement beaucoup plus ambitieux. La i3 ne sera ainsi rejointe qu'en 2019 d'une voiture 100% électrique chez Mini, d'un X3 en 2020 et en 2021 du iNext, qui sera le premier modèle électrique, connecté et autonome de la marque allemande.

Bornes de recharge : les constructeurs reprennent la main

Mais les constructeurs ont conscience que cette offensive produit pourrait ne pas suffire tant que les infrastructures ne suivront pas. Jusqu'ici, c'est l'insoluble question de la poule ou l'œuf qui prévalait : les pouvoirs publics accusaient les constructeurs de ne pas en faire assez de voitures électriques, tandis que les seconds répondaient que sans infrastructures, il n'y aurait pas de marché. Finalement, les deux s'y sont mis en même temps. Dans plusieurs pays, les municipalités ont décidé de développer des réseaux de recharge. Mais cela ne va pas suffisamment vite. Les constructeurs ont donc décidé de faire cause commune autour d'une coentreprise afin de créer un réseau européen de stations de recharge rapide. Ces stations capables de recharger 80% d'une voiture en 20 minutes. On retrouve BMW, Daimler, Porsche, Audi et Ford dans cette alliance qui doit aboutir à un réseau conséquent de 400 bornes à horizon 2020.

Le contraste est énorme entre les années 2000 où les constructeurs ne juraient que par l'hybride et le downsizing (« réduire la taille ») sur les motorisations thermiques, et celle qui s'est ouverte en septembre 2015 lorsqu'éclata l'affaire Volkswagen. La voiture électrique est passée de technologie marginale à la technologie la plus à la mode. Les marques Premium ont fini par y voir un avantage de performance que seul Elon Musk avait mis en pratique avec Tesla.

Les associations vigilantes sur la voiture électrique

En réalité, la voiture électrique devra vaincre bien d'autres obstacles autrement plus contraignants pour faire de la voiture électrique un mode de transport totalement propre : l'électricité fournie est-elle fossile ou renouvelable ? Comment s'approvisionner en lithium ? Quid du recyclage des batteries électriques. Au risque, sinon, de se faire tirer les oreilles par les associations environnementales...