L'étrange rétropédalage du CNRS sur un vaccin anti-VIH

Par Jean-Yves Paillé et Laurence Bottero  |   |  895  mots
Biosantech assure que son candidat vaccin est "le seul espoir tangible de vaccin curatif du sida, à un stade aussi avancé".
Le CNRS s'est retiré d'un projet de vaccin pour lutter contre le VIH développé par Biosantech, une société basée en Provence-Alpes-Côte d'Azur. Pourtant, cette dernière certifie avoir obtenu de bons résultats cliniques en avril 2016. Le Centre national de recherche rétorque qu'il n'a pas "eu connaissance de projet de poursuite d'essai clinique" depuis. La biotech estime que la vraie raison de la décision prise par le CNRS est ailleurs...

Une incompréhension totale. C'est le sentiment éprouvé par Corinne Treger, cofondatrice et Pdg de Biosantech. La société a annoncé mardi 28 février que le Docteur Loret, chercheur au CNRS, s'est vu "interdire par la direction générale du CNRS à Paris la communication par voie de presse des résultats de la poursuite de l'essai clinique" d'un vaccin anti-VIH. Et il est également "sommé de cesser tout contact avec Biosantech", la biotech avec laquelle il développait le traitement candidat jusque-là. "Il est co-déposant des deux brevets couvrant le vaccin ; il connaît le produit, effectue les dosages. On peut difficilement travailler sans lui", déplore Corinne Treger. La décision du CNRS, transmise par courrier le 27 février, soit la veille, à la société, met un coup d'arrêt au développement du vaccin-candidat.

La biotech ne comprend pas le bien-fondé de la décision du CNRS. Elle estime que les résultats de son vaccin candidat "sont très bons" et qu'il représente "le seul espoir tangible de vaccin curatif du sida, à un stade aussi avancé".

Cette biotech, basée à Sophia-Antipolis en région Provence-Alpes-Côte d'Azur, avait lancé en 2013 un essai clinique de phase I/IIa nommé Evatat pour tester l'efficacité et la sûreté de son vaccin Tat Oyi sur 48 patients atteints du sida. Les résultats ont été publiés le 1er avril 2016. Selon eux et la cofondatrice de la biotech, ce traitement serait capable d'éliminer le VIH de l'organisme.

Par ailleurs, Biosantech assure que l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) évoquait en octobre 2016, la possibilité de "mettre à disposition des patients infectés par le VIH-1" dans le cadre d'"une phase IIb en préparation", 10.000 doses de vaccin en ATU (autorisation temporaire d'utilisation) à horizon fin 2017-2018 si la guérison fonctionnelle pendant 12 mois était avérée.

"Il n'y a plus aucune relation de co-développement formalisé"

Interrogé par La Tribune sur ces décisions, le CNRS confirme qu'il a demandé au Docteur Loret "de ne pas participer à cette conférence de presse".

Et ce, parce que "l'essai clinique s'est terminé en fin de phase I/IIa depuis plus d'un an" et parce que "le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) n'a connaissance d'aucun projet de poursuite d'essai clinique". Et de préciser: "Si cela était le cas, il serait conduit sous la responsabilité exclusive de l'entreprise Biosantech, promoteur de l'essai, comme cela a toujours été le cas."

Le CNRS confirme avec ses mots la fin de la collaboration d'Erwann Loret avec la société azuréenne :

"A ce jour, l'entreprise Biosantech est titulaire d'une licence de brevet lui donnant l'autorisation d'utiliser la technologie. Il n'y a plus aucune relation de co-développement formalisé entre le CNRS et cette entreprise."

Pour Corinne Treger, ces arguments sont fallacieux. "Ils ne peuvent pas dire qu'ils n'étaient pas au courant. Nous les avons prévenus (via la SATT, Ndlr) à de multiples reprises par mail de la préparation de l'essai de phase IIb", explique-t-elle à La Tribune.

Dans des échanges entre Biosantech et la Société d'accélération du transfert de technologie (SATT) (le CNRS en est actionnaire, il participe au conseil d'administration et travaille avec la structure), échanges auxquels nous avons eu accès, la mise en place du protocole de la phase IIb avec l'ANSM est clairement mentionnée par Biosantech, avec précisions à l'appui. Un membre de la SATT demande d'ailleurs un entretien téléphonique à la biotech pour évoquer notamment "la poursuite des essais cliniques sur la licence HIVvac".

"J'ai des dates à respecter pour la tenue des essais en raison de l'accord passé avec le CNRS. Ces derniers sont censés démarrer bientôt. En attendant, je paie l'entretien des brevets et j'ai déjà investi au total 2 millions d'euros", ajoute-t-elle, interrogée par La Tribune.

Et si rien n'avance, la licence du vaccin retournera gratuitement dans le giron du CNRS, explique Corinne Treger dans le journal "20 minutes".

"Il y a des intérêts autres que le développement de notre vaccin"

Les agissements du CNRS seraient-il dû à simple imbroglio administratif ? Corinne Treger craint que cela aille plus loin.

"Il y a des intérêts autres que le développement de notre vaccin, et notamment un cas de vaccin bénéficiant d'aides de l'Etat. L'Inserm détient un brevet de vaccin contre le sida, développé par l'ANRS. C'est la seule voie de recherche indiquée sur leur site. Ils le développent depuis quinze ans, cela n'avance pas et coûte plusieurs millions d'euros par an à la France. En outre, l'ANRS a donné 20 millions d'euros à Roche pour développer un vaccin contre le sida. Cela n'avance pas non plus", ajoute la dirigeante.

Cette tension entre Biosantech et l'ANRS ne date pas d'hier. Le professeur Jean-François Delfraissy, directeur de l'Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS) avait fortement critiqué les résultats obtenus pour ledit vaccin-candidat de Biosantech le 1er avril 2016. Il estimait que "quelle que soit la dose administrée, aucune différence significative entre les doses de vaccin n'apparaît, notamment en matière de résultats sur la charge plasmatique virale". Les deux résultats de l'essai clinique publiés semblent dire le contraire... Une incompréhension totale, donc...