Les pharmacies préparent leur "big bang" pour survivre face à la concurrence

Par Jean-Yves Paillé  |   |  1024  mots
Depuis 2015, une pharmacie ferme tous les deux jours en France.
Acculées par la baisse des marges et la concurrence des parapharmacies, les pharmacies doivent s'orienter vers une activité de service et ne plus être de simples vendeurs de médicaments, selon les acteurs du secteur.

Faillites, fermetures, concentration...Jusqu'en 2014, une pharmacie fermait tous les trois jours en France. Depuis 2015, c'est une tous les deux jours. Et ce, malgré les 5 millions de Français accueillis chaque jour dans les officines."On constate une pression sur les marges, et une pression sur les prescriptions des médecins", explique à La Tribune Hélène Marvillet, présidente de l'association Pharma système qualité, qui rassemble des groupements d'officines et des pharmacies indépendantes. Et c'est sans compter la concurrence accrue des parapharmacies, créneau sur lequel Leclerc a accéléré récemment, en lançant un site internet dédié mardi 10 mai.

Le tableau est sombre, mais la profession estime que le secteur peut et va rebondir. Jeudi 12 mai, lors d'un colloque intitulé "Qualité et Pharmacie d'Officine : du premier recours à la conciliation médicamenteuse vers un nouveau modèle économique", plusieurs économistes, acteurs et professionnels du secteur sont intervenus pour présenter leur vision de "la pharmacie de demain".

Vers le retour "d'un pharmacien de famille" ?

"Les pharmacies vont perdre ou ont déjà perdu la bataille des OTC (médicaments en vente libre), provoque Olivier Babeau, économiste et professeur à l'Université de Bordeaux qui présente un rapport de la Fondation Concorde dévoilé le 12 mai. "Le pharmacien n'a pas d'avenir en tant que simple fournisseur de boîtes de médicaments standardisés. [...] L'officine doit donc passer passer à un nouvel âge et devenir un intermédiaire santé polyvalent."

L'étude de la Fondation estime notamment qu'avec le vieillissement de la population et la multiplication des maladies chroniques qui en résultent, "de nouveaux besoins d'accompagnement se font ressentir". Et les pharmaciens pourraient, de part leur proximité géographique et traditionnelle, s'engager de plus en plus dans un tel rôle. "Le pharmacien de famille d'hier, de proximité, est le pharmacien de premier recours aujourd'hui, renchérit Hélène Marvillet. Les pharmaciens doivent élargir leurs palette de services pour apporter des services aux clients. Les larges compétences de ces derniers doivent s'exprimer."

De la vaccination au suivi des patients

Le rapport de la Fondation Concorde propose plusieurs services que les pharmaciens pourraient apporter ou développer à destination des patients. Plusieurs d'entre eux seront possibles grâce à une évolution des mentalités mais également du cadre législatif :

  • Les pharmacies pourraient réaliser des actes de vaccination en complément des médecins.
  • L'officine pourrait effectuer un tri des patients et être capable de les prendre en charge quand c'est nécessaire ou de les "aiguiller vers le médecin ou l'hôpital". La Fondation s'appuie sur un exemple suisse: le projet Netcare. Pour répondre à la pénurie des généralistes, un tri des patients a été mis en place, avec des arbres décisionnels. Le pharmacien est susceptible "d'instaurer dans certains cas la première thérapie, par exemple dans le cas d'une infection urinaire".
  • Les pharmaciens sont aptes à faire le point avec un patient sur sa médication (ensemble des médicaments pris dans un but thérapeutique précis), pour apporter une vision synthétique que le médecin n'aura pas forcément.
  • Un suivi constant des patients pourrait être assuré par les pharmaciens. Ces derniers s'impliqueraient dans l'observance et s'aideraient des moyens fournis par la santé connectée.

L'exemple des nouveaux anticancéreux

Concernant l'observance, les nouveaux médicaments innovants représentent une opportunité pour que les pharmacies se démarquent de la concurrence.

"Il y a une rupture entre le moment où le patient est hospitalisé, maternisé, et celui où il quitte l'hôpital. Il se retrouve dans le vide complet pour sa prise de médicaments, notamment ces médicaments dits innovants", estime Alain Astier, professeur de pharmacologie.

Ces patients ont besoin d'un suivi pour garantir l'efficacité des traitements et éviter des effets secondaires désastreux, dit-il. D'autant plus qu'un manque d'observance (non respect des prescriptions et de la prise d'un traitement) coûte particulièrement cher à la France, pas moins de 9 milliards d'euros par an pour six maladies chroniques, selon IMS Health en 2014. Et avec la multiplication de ces traitements innovants, dont une seule pilule ou injection peut coûter plusieurs centaines d'euros, les pertes pourraient gonfler.

"Qui est mieux placé qu'un pharmacien d'officine pour orienter les personnes atteintes d'un cancer dans la prise d'anticancéreux innovants ?", lance Alain Astier.

Pour Hélène Marvillet, cette tendance émerge. "Les pharmacies ont tendance à se spécialiser, dans l'oncologie par exemple".

Une demande de la population

Selon une étude également dévoilée ce jeudi par Pharma Système qualité et menée par les pharmacies auprès de 49.000 personnes, il y aurait une vraie demande des patients pour le développement de certains services au sein des officines. Ainsi, 62% des personnes interrogées se disent intéressés par des actes de vaccination, 54% par des des tests de dépistage (diabète, grippe).

La demande est moins importante pour les rendez-vous personnalisés pour faire un point sur la nutrition ou le poids dans un but préventifs,qui suscitent l'intérêt de 43% des personnes interrogés.

La question de la monétisation

Reste la question de la monétisation de ces nouveaux services. Selon Hélène Marvillet, qui s'appuie sur l'étude de son association, ce sera difficile de pousser une frange de la population à payer:

"Les personnes de l'ancienne génération sont habitués à ne jamais payer dans les pharmacies. Nos aînés pensaient que la société prenait tout en charge."

Mais les générations Y et Z ne raisonneraient pas de la même manière. Selon les différents services, la proportion de moins de 35 ans se disant prêts à payer varie de 14% à 30%. Celle des plus de 70 ans oscille entre 12% et 17% seulement.

"Les moins de 35 ans sont plus nombreux à être dans une logique de prévention", analyse Hélène Marvillet, et pourraient ainsi accepter de payer pour des services leur permettant de rester en bonne santé plus longtemps, qu'il s'agisse "du sevrage du tabac, du maintien ou de la recherche d'un poids correct, ou lutte contre le stress par exemple", ajoute-t-elle.