Les conclusions du rapport de la Cour des comptes sur les coûts du nucléaire

Par Marie-Caroline Lopez et Valérie Segond  |   |  1188  mots
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Quels sont les coûts réels de la filière ? La Cour des comptes, dans un rapport très attendu à paraître mardi, laisse la question entière. Pointant les "incertitudes" des estimations actuelles, elle demande des "devis réalistes" sur la gestion des déchets et une expertise indépendante des charges de démantèlement. La Tribune vous livre les conclusions du rapport en avant première.

La Cour des comptes présentera mardi un rapport devant faire la lumière sur le coût de l'électricité nucléaire, de la construction des réacteurs à la gestion des déchets radioactifs, un sujet de querelles intenses et récurrentes entre partisans et détracteurs de l'atome.

Cet audit avait été demandé en mai dernier par le gouvernement aux magistrats de la rue Cambon, qui a mis en place durant l'été un comité d'experts pour l'aider à accomplir cette mission. Le principe de cet exercice avait été accepté par le président Nicolas Sarkozy, farouche défenseur de l'énergie nucléaire, lors d'une réunion au printemps 2011 avec des associations de défense de l'environnement. Elle s'inscrit donc dans une démarche de transparence face aux polémiques persistantes sur les supposés "coûts masqués" de l'atome.

La Cour des comptes a été chargée de tout passer au crible, à l'exclusion des questions relatives à la sûreté des installations, qui sont du ressort de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Dans le détail, elle a analysé les coûts passés, présents et futurs revenant aux exploitants des centrales, la méthode d'évaluation des frais de démantèlement des réacteurs et de gestion des déchets radioactifs, les actifs qu'EDF doit mettre de côté pour couvrir ces frais de démantèlement et de gestion des déchets, mais aussi les conséquences de la prolongation de la durée des réacteurs au-delà de 40 ans.

Loin de clore le débat actuel sur le nucléaire en France, le rapport que va publier fin janvier la Cour des comptes sur les coûts de cette industrie ne fera que le lancer. Les conclusions - d'une version non définitive - de ce rapport, que La Tribune s'est procurées, sont sans ambiguïté. Prolixe sur les coûts du passé (construction du parc, recherche) et actuels (maintenance, exploitation), la Cour fait part des "incertitudes importantes" sur les coûts à venir, liés en particulier au démantèlement des centrales et à la gestion des déchets de longue durée. Confortant ainsi l'un des principaux arguments des opposants au nucléaire (voir ci-contre).

Quant aux coûts de la sûreté, voués à une flambée certaine depuis la remise, la semaine dernière, par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) de son rapport sur les travaux à effectuer sur le parc français pour tirer les leçons de Fukushima, ils seront à peine évoqués. Comment la Cour des comptes peut-elle, ainsi que le précise le Premier ministre dans sa lettre de mission de mai dernier, "expertiser les données fournies par les opérateurs" avant le 31 janvier alors qu'EDF a jusqu'en juin pour réaliser son devis des travaux exigés par l'ASN ? D'évidence, le gouvernement ne voulait pas retarder après la présidentielle la publication de ce rapport, dont il espère qu'il confortera ses positions en faveur du nucléaire.

André-Claude Lacoste, président de l'ASN, a néanmoins été auditionné mardi 10 janvier rue Cambon. En l'absence de chiffrage détaillé d'EDF, il s'est contenté de donner son avis sur le devis avancé par l'électricien la semaine dernière, autour de 10 milliards d'euros. "Ces chiffres lui semblent un peu optimistes", avance une source proche. Dès le lendemain, mercredi 11 janvier, les douze experts qui "assistent" la Cour dans ce travail recevaient le projet de rapport final, avant une dernière réunion programmée lundi 16 janvier. Ce qui laisse décidément très peu de temps pour intégrer dans ce rapport les conséquences de Fukushima dans la facture nucléaire française.

Après avoir - longuement - établi que la seule construction du parc nucléaire actuel avait coûté 96 milliards d'euros (sur des dépenses nucléaires civiles totales - recherche, usines Areva, réacteurs arrêtés... - de 227,8 milliards d'euros), soit 1,5 milliard le mégawatt (MW) installé (contre 3,7 milliards le MW pour l'EPR, souligne la Cour), le rapport scrute les investissements à consentir en matière de démantèlement et de gestion des déchets. Et ces deux questions clés restent sans réponse, faute d'avancées concrètes de la part des opérateurs.

Les charges liées au démantèlement sont estimées à 22,2 milliards d'euros. Mais la Cour recommande la plus grande prudence sur ces chiffres qui "doivent être regardés avec précaution, l'expérience en la matière, tant d'EDF [centrales de première génération] que du CEA ou d'Areva, ayant montré que les devis ont très généralement tendance à augmenter quand les opérations se précisent, d'autant plus que les comparaisons internationales donnent des résultats très généralement supérieurs aux estimations d'EDF" (voir l'exemple britannique). La Cour demande d'ailleurs qu'EDF change de méthode pour le calcul de ses provisions de démantèlement. L'actuelle "ne permet pas un suivi suffisamment précis des évolutions de ces provisions".

Chiffrer l'hypothèse d'un stockage

Surtout, la Cour des comptes "confirme la nécessité et l'urgence de faire réaliser, comme l'envisage la DGEC [aux ministères de l'Énergie et de l'Écologie], "des audits techniques par des cabinets et des experts extérieurs afin de valider les paramètres techniques" de la nouvelle méthode de calcul préconisée. "Nul doute qu'il n'y a rien de nouveau depuis le précédent rapport de la Cour sur ces coûts en 2005-2006, souligne un expert. On en saura plus seulement lorsqu'EDF aura avancé dans le démantèlement du réacteur de Chooz A, à l'arrêt depuis 1991, qui sera le premier réacteur à eau pressurisée à être déconstruit." Les réacteurs précédemment stoppés appartenaient à une autre technique (graphite-gaz), les méthodes ne sont donc pas comparables. Les coûts non plus.

Quant aux provisions sur les coûts de la gestion des déchets de longue durée, "elles ne sont pas stabilisées", affirme la Cour. Elles reposent sur un devis de l'Andra de 2003 qui a, depuis, plus que doublé, passant de 15 à 35 milliards d'euros, "il y a donc un doute manifeste sur le bon niveau des provisions d'EDF, d'Areva et du CEA", écrit la Cour. Elle recommande que "soit rapidement fixé le nouveau devis sur le coût de stockage géologique profond, de la manière la plus réaliste possible, c'est-à-dire en tenant compte des résultats des recherches menées sur ce sujet mais sans anticiper sur leurs résultat". Enfin, au détour de sa deuxième recommandation sur les déchets, la Cour pointe les limites du credo français en matière de retraitement des combustibles. Elle demande en effet à l'Andra d'étudier, en la chiffrant, l'hypothèse d'un stockage, dans son futur centre souterrain, des combustibles usés mox et uranium (déjà retraité une première fois) sortant des centrales. Le mythe du recyclage continue de s'effondrer.