Biocarburants à l’huile de palme : le compromis entre Hulot et Total ne satisfait personne

Par Dominique Pialot  |   |  1074  mots
La transformation d'huile de palme dans la bioraffinerie Total de La Mède (13) fait débat. De nombreux observateurs s'interrogent sur la cohérence entre l'autorisation accordée à Total, bien qu'encadrée, et l'interdiction de l'huile de palme dans l'alimentation. Les ONG ne sont pas les seules déçues par cette décision. "Pour l'agriculture française, c'est une véritable gifle", a estimé pour sa part Arnaud Rousseau, président de la FOP.
Alors que le pétrolier n’a jamais fait mystère de son intention de recourir majoritairement à cette matière décriée pour son impact environnemental, le ministre de l’écologie a voulu intégrer à l’arrêté d’autorisation délivré à la bioraffinerie de La Mède un encadrement de cette utilisation. Mais la décision ne satisfait ni les ONG ni les céréaliers français pour qui "c'est une véritable gifle".

Nouveau rebondissement dans la courte histoire de la bioraffinerie de la Mède dans les Bouches-du-Rhône, issue de la reconversion d'une ancienne raffinerie pétrolière de Total décidée en 2015 pour un investissement de 275 millions d'euros. Destinée à entrer en service cet été et à devenir la plus importante d'Europe, elle permet de conserver 250 des 430 salariés que le site employait jusqu'en 2016.

L'huile de palme nettement plus rentable que les autres huiles végétales

Elle est conçue pour produire 500.000 tonnes de biodiesel en transformant 650.000 tonnes d'huiles grâce à la technologie HVO (Hydrogenated Vegetal Oil). Celle-ci présente l'avantage de ne pas être soumise à un plafond d'intégration aux carburants conventionnels et de pouvoir traiter aussi bien des huiles végétales de toutes sortes, que des huiles résiduelles usagées.

Mais les gisements ne sont pas très importants. Total avait annoncé il y a un an la signature d'un partenariat avec Suez portant sur 20.000 tonnes par an, et le marché français dans son ensemble ne pèse pas plus de 45.000 tonnes.

A terme, le pétrolier avait annoncé un objectif de 100.000 tonnes par an (dont une partie importée, donc), soit un solde de 550.000 tonnes pour les huiles végétales. Et parmi ces dernières, l'huile de palme avait jusqu'à il y a peu ses faveurs. En effet, grâce à des rendements très nettement supérieurs à ceux du colza ou du soja, elle est infiniment plus rentable. Total avait d'ailleurs annoncé lors d'une conférence de presse en juin dernier qu'elle pourrait représenter l'intégralité des volumes d'huiles végétales transformés à La Mède, à moins de mesures venant rétablir la compétitivité du colza produit en France.

Importations françaises en hausse de 64%

Si les biocarburants de première génération dans leur ensemble sont contestés pour leurs émissions de CO2 mesurées sur l'ensemble du cycle de vie (y compris les changements d'affectation des sols qu'ils induisent dans les pays concernés, des plantations venant remplacer des forêts primaires ou des prairies) l'huile de palme est la bête noire des ONG en raison des ravages qu'elle provoque en termes de déforestation. C'est pour cette raison que le projet de la bioraffinerie avait été critiqué par les Amis de la Terre lors de l'enquête publique menée en 2017. Aux côtés de Greenpeace, ils avaient révélé en avril dernier (sur la base d'un document de la préfecture des Bouches-du-Rhône) que le site consommait 550.000 tonnes d'huile de palme par an, faisant ainsi bondir de 64% les importations françaises d'une huile dont la production se fait en Malaisie et en Indonésie.

Au-delà des ONG, ce sont les députés européens qui en janvier dernier se sont majoritairement déclarés pour « l'élimination progressive » de cet usage sur le territoire de l'Union d'ici à 2021. Ce vote se heurte jusqu'à présent au refus des Etats membres, notamment de la France.

Projet de loi sur la déforestation importée

Mais le recours à l'huile de palme est également en contradiction avec le projet de loi en cours d'élaboration sur la déforestation importée. C'est pourquoi Nicolas Hulot a souhaité l'encadrer dans l'arrêté d'autorisation délivré ce 16 mai au pétrolier par le préfet de la région PACA.

"Je me devais de faire en sorte que l'usine de la Mède, projet soutenu par le gouvernement précédent, soit en cohérence avec notre future stratégie ; c'est ce que j'ai obtenu en dialoguant avec Total, qui a accepté de réduire significativement les quantités d'huile de palme utilisées et de prendre des engagements très précis sur la certification de leur origine et de leur mode sur la certification de leur origine et de leur mode de production."

Total devra donc utiliser au moins 25% d'huiles résiduelles usagées, une proportion qu'il devra s'efforcer de faire progresser au fil du temps au détriment des huiles végétales. L'industriel évoque désormais un plafond de 300.000 tonnes, soit la moitié des matières premières transformées sur son site.

"Cet engagement a été rendu possible grâce aux efforts réalisés pour développer et favoriser l'utilisation de produits issus de l'économie circulaire et notamment le recyclage de graisses animales qui pourront représenter au moins 100.000 tonnes par an du plan d'approvisionnement du site, un volume plus élevé que ce qui était envisagé à l'origine du projet."

Transformations demandées par le précédent gouvernement

Pour les ONG, cela reste insuffisant. Sylvain Angerand, des Amis de la Terre, juge ce volume de 300.000 tonnes d'huile de palme colossal. « A cela, il faut ajouter les distillats d'huile de palme que Total essaye de présenter comme des résidus. Total deviendrait le premier importateur français d'huile de palme. » Le pétrolier a beau assurer qu'il s'approvisionnera exclusivement en huile certifiée,

« Aucune certification ne peut garantir que ce projet n'entraînera pas de déforestation comme l'a reconnu la Cour des comptes européennes » Et de conclure. « Il y a d'autant plus de risques que Total refuse de rendre public son plan d'approvisionnement, notamment sa liste de fournisseurs. »

Par ailleurs, de nombreux observateurs s'interrogent sur la cohérence entre cette autorisation accordée à Total, bien qu'encadrée, et l'interdiction de l'huile de palme dans l'alimentation.

"Je ne peux pas leur demander, alors qu'ils ont fait ces efforts et ces investissements, de renoncer", a noté Nicolas Hulot, indiquant que Total avait fait ces transformations à la demande du gouvernement précédent.

Une gifle pour l'agriculture française

Mais les ONG ne sont pas les seules déçues de cette décision. "Pour l'agriculture française, c'est une véritable gifle", a estimé pour sa part Arnaud Rousseau, président de la FOP (Fédération des producteurs d'oléagineux et de protéagineux).

"Pour les producteurs de colza français (dont le biodiesel est le premier débouché pour les huiles, ndlr), c'est une perte de marché très importante, et que ce soit validé par le ministre d'Etat et fait par la première entreprise française, ça m'étonnerait que les agriculteurs restent comme ça sans réagir", a-t-il prévenu.

L'arrêté délivré aujourd'hui ne constitue donc probablement pas le dernier épisode du feuilleton La Mède...