L’éolien français dans l’impasse depuis plus d’un an

Par Aline Robert et Frédéric Simon, Euractiv  |   |  1241  mots
(Crédits : Reuters)
Le nombre d’éoliennes autorisées s’est effondré. Pour Paris, qui tente de se présenter comme un champion climatique, la situation devient gênante. Un article de notre partenaire Euractiv.

En décembre 2017, le Conseil d'État, la plus haute juridiction administrative française, a abrogé un décret donnant aux préfets régionaux la responsabilité d'accorder les permis environnementaux nécessaires à la construction de champs d'éoliennes. Depuis, plus personne ne peut les délivrer.

« La question de l'autorité compétente pour délivrer les permis d'installation de champs d'éoliennes terrestres en France est en suspens depuis plus d'un an. Il n'y a donc aucun nouveau permis et aucun nouveau projet ne peut se développer », regrette Giles Dickson, PDG de l'association d'entreprises WindEurope.

« Le gouvernement ne se décide pas à promulguer le décret qui réinstaurerait une autorité compétente et relancerait la machine », ajoute-t-il.

Contacté, le ministère de la transition écologique et solidaire a indiqué que le nombre de projet d'éoliennes autorisées avait chuté de 22 % entre 2017 et 2018. « En 2018, 103 parcs éoliens ont été autorisés pour une puissance installée cumulée de 1 510 MW », a indiqué le cabinet du ministère à l'Écologie, François de Rugy.

Extrême lenteur du montage de projet éolien en France

Il faut actuellement six à huit ans pour concrétiser un nouveau projet éolien en France, le double de la moyenne européenne, selon WindEurope. La nouvelle directive européenne sur les renouvelables, adoptée l'année dernière, fixe d'ailleurs des maxima pour les procédures administratives : 3 ans pour les nouveaux projets, deux pour les rééquipements.

Dans sa Programmation pluriannuelle de l'énergie, présentée en novembre, la France s'est fixé comme objectif d'installer 35 GW de capacités éoliennes terrestres d'ici 2028, contre les 14 GW actuels. Des objectifs qui resteront lettre morte si le blocage perdure, prévient Giles Dickson.

« Nous voyons déjà le nombre de projets se tarir et la vente aux enchères de l'année dernière n'a pas amené autant de projets d'investissements que souhaité. Si la France veut sérieusement mettre en œuvre sa stratégie nationale en matière de climat et d'énergie, le gouvernement doit régler ce problème de toute urgence », conclut-il.

La deuxième vente aux enchères d'éoliennes terrestres en France en 2018 a été un flop, puisqu'elle n'a attribué que l'équivalent de 118 MW de projets, alors que 500 étaient proposés, selon WindEurope.

Scénario catastrophe

Et la situation est encore plus problématique pour l'éolien en mer. Depuis que la France s'est engagée en 2012 à construire le premier parc éolien expérimental du pays au large des côtes bretonnes, pas un seul projet n'a vu le jour. Le parc expérimental n'a pas été finalisé, les autorités s'étant rendu compte que les coûts de construction prévus étaient à présent nettement supérieurs aux prix concurrentiels du marché.

Pire encore, Paris a réduit ses objectifs à 5 GW d'ici 2028, malgré une proposition des autorités locales et de l'industrie éolienne de construire 10 GW de capacités à cette date. L'annonce, faite en novembre à l'approche de la COP à Katowice, a été qualifiée de « scénario catastrophe » par le syndicat français des énergies renouvelables.

Dans ses scénarios pour 2030, publiés en 2017, WindEurope prévoyait 7 GW d'éolien en mer pour l'hexagone. Les projections seront mises à jour dans le courant de l'année, mais selon les informations recueillies par Euractiv, les chiffres français pourraient être revus à la baisse si la situation ne s'améliore pas.

Les perspectives de l'énergie éolienne en France ont semblé s'éclaircir en décembre, lorsque le gouvernement a publié un décret visant à accélérer la construction de parcs éoliens terrestres, en limitant les procédures administratives qui peuvent être déposées contre leur autorisation.

Clarification de la répartition des compétences

Selon Arnaud Gossement, avocat spécialisé en droit de l'environnement, la répartition des compétences est donc désormais claire sur le papier : l'Autorité environnementale française donne un avis, puis l'État, à travers le préfet de région, est chargé de délivrer le permis de construire. Ce qu'il ne fait pas le plus souvent.

En décembre, le syndicat des énergies renouvelables s'est félicité de la « bonne nouvelle » que constituait la publication du décret. Il reste cependant à trancher la question très importante de la désignation de l'entité chargée d'approuver les nouveaux projets.

« Sans cela, l'instruction de nombreux projets ne peut se poursuivre, ce qui a entraîné un grave ralentissement de l'industrie depuis plusieurs mois », explique Jean-Louis Bal, président du syndicat des énergies renouvelables.

En outre, le décret ne répond pas à toutes les questions de l'industrie éolienne, notamment en ce qui concerne les procédures administratives lancées contre des autorisations antérieures, indique Arnaud Gossement.

Éolien contre nucléaire

Le retard persistant dans l'approbation de nouveaux projets alimente les spéculations selon lesquelles le gouvernement français aurait une motivation peu avouable pour freiner l'expansion de l'éolien : celle de privilégier l'industrie nucléaire.

En effet, la Programmation pluriannuelle de l'énergie concoctée par le gouvernement prévoit une hausse de la demande d'électricité à moyen terme. Un scénario discutable : le gestionnaire de réseau prévoit au mieux une stagnation de la demande. Cette hausse hypothétique correspond en revanche bien au projet du gouvernement de développer le nucléaire : seule une augmentation de la demande en électricité peut légitimer la construction de nouvelles centrales.

Autre élément étrange, le gouvernement français invoque souvent des arguments étranges pour bloquer l'installation d'éoliennes, comme la proximité de radars ou de sites protégés par l'UNESCO.

Ce fut notamment le cas d'un projet éolien situé à 30 km de la cathédrale de Chartres. Devant le tribunal administratif, le ministère de l'Écologie a réussi à bloquer le projet pour un motif de « co-visibilité », les éoliennes risquant de gâcher la vue de la cathédrale, classée patrimoine mondial de l'UNESCO. Le même argument a été utilisé dans la région de Champagne, où les vignobles classés par l'UNESCO ont empêché la construction d'une éolienne à 15 km de l'autre côté d'une colline.

Procédures de plus en plus longues et coûteuses

Le problème des éoliennes en France est donc visiblement plus politique qu'administratif. Même les grands projets sont parfois suspendus à cause de l'avis négatif de la préfecture.

Si le cas de la France semble particulièrement problématique, il n'est pas isolé. En Europe, l'éolien fait face à des procédures de permis de plus en plus longues et coûteuses, critique Giles Dickson, de WindEurope. Tout en affirmant qu'il est inutile d'être ambitieux sur l'action pour le climat si les nouveaux parcs éoliens sont bloqués dans les procédures de permis pendant des années, il ajoute :

« La tendance est la même dans d'autres pays européens avec des concepteurs qui peinent à obtenir des permis. Si les gouvernements ne s'attaquent pas à ce problème, ils risquent de mettre des freins à l'expansion de l'énergie éolienne en Europe. »

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NOTE

Cet article a été amendé après la communication des chiffres d'éoliennes autorisées par le ministère.

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Par Aline Robert et Frédéric Simon, Euractiv.com (traduit par Manon Flausch et Marion Candau)

(Article publié le 17 janvier 2019)


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