Auchan met en vente 21 sites français, les syndicats fustigent l'enseigne qui a profité du CICE

Par AFP  |   |  1536  mots
(Crédits : Eric Gaillard)
Edgard Bonte, le nouveau président d'Auchan Retail, a donc tranché. L'enseigne annonce la mise en vente de 21 sites jugés non rentables en France. Si aucun repreneur ne se présentait, un licenciement collectif (PSE) serait engagé. Après la perte de 2018, Auchan Holding évoquait le 8 mars dernier un grand plan de transformation de l'entreprise. Mais, aujourd'hui, après cette annonce choc, les syndicats demandent que l'enseigne rembourse à l'État les plus de 500 millions d'euros perçus au titre du CICE, censé "maintenir l'emploi".

[Article publié le 30.04.2019 à 11h, MàJ avec réactions 12h28 CFDT, 19h40 CGT]

Auchan France, engagé dans un vaste plan de réformes destiné à réduire ses pertes financières, a annoncé, ce mardi 30 avril, à ses partenaires sociaux la prochaine mise en vente de 21 sites, "sans perspective réaliste de retour à la rentabilité".

L'annonce a été faite aux partenaires sociaux réunis en comité central d'entreprise (CCE) à Marcq-en-Baroeul (Nord).

Dans un communiqué, le groupe nordiste de distribution précise que si ces sites (supermarché, hypermarché, entrepôt et drive) ne trouvaient pas preneur, "un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) sera donc ouvert". Pour mémoire, le PSE, successeur du "plan social" est le dispositif actuel (il succède au fameux "plan social" instauré par la loi Soisson de 1989 à 2002) qui encadre les licenciements collectifs.

La CFDT dénonce "des années d'errances stratégiques"

Selon la CFDT, qui dénonce un "PSE qui intervient après des années d'errances stratégiques", 723 salariés seraient concernés par cette cession.

"La CFDT est scandalisée d'apprendre que l'entreprise décide d'un PSE d'envergure en mode départ contraint sur les sites de production", souligne le syndicat dans un communiqué.

La CGT estime que les salariés ont été "trahis"

"On a été bernés. C'est près de 800 salariés demain qui vont être dans des grandes difficultés d'ordre psychologique, sociale, financière et donc c'est une vraie catastrophe sociale", s'est indigné Gérald Villeroy, délégué syndical central CGT.

Gilles Martin, délégué syndical central CFDT pour les hypermarchés, renchérissait :

"On se sent trahis parce qu'aujourd'hui, on a une enseigne qui (...) dégage des bénéfices et a touché au niveau du groupe plus de 500 millions d'euros de CICE."

Il ajoutait:

"C'est de l'argent public, un vrai scandale financier parce qu'à l'origine le CICE était fait pour maintenir l'emploi".

Sur ce sujet du CICE, le député La France insoumise du Nord Adrien Quatennens twittait :

"Peut-on savoir où sont passés les millions du CICE après que les dividendes de la famille Mulliez aient été multipliés par trois entre 2014 et 2015?"

"L'État doit être ferme et demander le remboursement !" a aussi tweeté le secrétaire national du PCF Fabien Roussel.

L'entreprise assure qu'elle accompagnera les salariés

Dans son communiqué mardi, Auchan Retail France liste ces 21 sites : 13 supermarchés, 4 "drives", 2 "Halles", 1 hypermarché et 1 centre de préparation de commandes.

"Le choix de la cession répond à une triple volonté de l'entreprise: préserver l'emploi des collaborateurs concernés, assurer la continuité commerciale aux habitants et garantir le dynamisme économique des territoires", affirme le distributeur.

Dans le cas où ces certains de ces sites ne seraient pas repris, la direction s'engagera à "accompagner tous les collaborateurs concernés", via l'ouverture et la négociation d'un PSE avec les partenaires sociaux. "Leur nombre précis ne pourra être déterminé qu'à l'issue des cessions", précise encore Auchan.

Cette mauvaise nouvelle fait suite aux mauvais résultats et au plan de redressement annoncés le 8 mars dernier. Et à la dégradation de la note de l'enseigne par l'agence de notation Standard and Poor's de 'BBB' à 'BB-', et de 'A-3" à A-2', avec une perspective négative.

Une perte de plus de 1 milliard d'euros en 2018

On se souvient que, le 8 mars dernier, le groupe français Auchan Holding, qui a accusé une perte nette de 1,145 milliard d'euros en 2018, avait annoncé un plan de "redressement" de son pôle distribution, qui passera par une réforme en profondeur de ses hypermarchés et des coupes financières.

Pôle distribution de la holding, qui possède également la banque Oney et la foncière Ceetrus, Auchan Retail a obtenu des résultats "très insuffisants" l'an dernier, a reconnu Edgard Bonte, le nouveau (*) président du directoire de la société, non cotée en Bourse et propriété de l'Association familiale Mulliez (AFM).

Le produit de ses activités ordinaires - l'équivalent de son chiffre d'affaires - s'est ainsi établi en baisse de 3,3% à changes courants, à 50,269 milliards d'euros hors taxes, avec "une bonne résistance de l'Asie", a souligné Edgar Bonte lors d'une conférence de presse.

Quant à son excédent brut d'exploitation (Ebitda), il a perdu 20,5% à 1,518 milliard d'euros, avec une France en chute de 44,1%, en raison notamment "de l'impact du mouvement des +gilets jaunes+, à hauteur de 35 millions d'euros, et de la prime Macron (11 millions)".

Edgard Bonte, de la famille Mulliez, en redresseur d'entreprise

Ces mauvais résultats, qui étaient pressentis en fin d'année dernière, avaient conduit l'AFM à "un changement de gouvernance" et à la nomination de M. Bonte, 45 ans.

Président de Kiabi, une enseigne de la galaxie Mulliez qu'il a contribué à redresser, il a été nommé à la tête d'Auchan Retail (*) en tant que "redresseur d'entreprises sans a priori", selon ses propres mots.

"Je suis de la famille [il est le gendre de Patrick Mulliez, le frère de Gérard Mulliez, fondateur de l'empire, NDLR), ce qui me permet d'être libre de mes actes et de mes prises de position", a-t-il souligné.

"Renaissance" un plan d'action qui prévoyait des réductions de surface

Son "plan d'action", intitulé "Renaissance", sera centré sur l'hypermarché, le format-phare de l'enseigne, en lequel il "croit" mais qui doit "se métamorphoser" pour ne pas perdre en "attractivité".

Cette révolution passera par des "réductions" de surface, non chiffrées, l'arrivée de "nouveaux métiers" comme la restauration, ainsi que des "concessions" passées avec d'autres entreprises de la galaxie Mulliez (Decathlon, Boulanger, Leroy Merlin, Norauto ou Kiabi).

"On va faire +l'hyper plateforme+ mais en allant plus loin" que les concurrents, qui ont déjà ouvert des "corners d'enseignes" au sein de leurs grandes surfaces (Darty chez Carrefour, Cdiscount chez Géant Casino), a assuré M. Bonte.

Concrètement, ces partenariats, qui donneront accès aux "meilleurs spécialistes" du non-alimentaire aux clients de l'enseigne, seront testés dans cinq magasins au second semestre en France.

En mars, Edgard Bonte n'envisageait pas de réductions d'effectif

Ce plan doit également permettre "une identification de tous les foyers de pertes sans a priori" et, selon un principe de réalité, de "soit redresser les magasins, soit de les réformer", a expliqué Edgard Bonte.

Il est également prévu de baisser "de moitié" les investissements, ce qui génèrera "plusieurs centaines de millions d'économies en année pleine". Aucun plan de réduction d'effectifs, notamment en France, n'est en revanche programmé, a assuré le dirigeant ce 8 mars 2019.

Un "cadre financier strict", qui passera par une "maîtrise de l'endettement et des ratios financiers", sera donc mis en place en 2019, pour encadrer les trois entités de Auchan Holding, "avec des améliorations significatives attendues dès 2019". Il faut dire qu'avec plus de 1 milliard d'euros de perte nette en 2018, il y a de quoi vouloir serrer les boulons.

Les dépréciations d'actifs jugées responsables du mauvais résultat

Même si, pour le secrétaire général de la Holding, Xavier de Mézerac, le résultat est surtout grevé par "des dépréciations d'actifs", d'une valeur de 1,1 milliard d'euros, situés principalement en Italie, en France et en Russie, mais "purement comptables".

Quant au produit des activités ordinaires de la holding, il s'est établi en 2018 à 50,986 milliards d'euros, en baisse de 3,2% à changes courants, en raison notamment d'un "effet négatif de l'évolution des cours de change, principalement du rouble russe et du yuan chinois", selon le communiqué.

En raison de ces résultats, Auchan Holding ne versera pas de dividende au titre de l'exercice 2018, illustrant le "soutien" des actionnaires.

S&P abaisse les notes d'Auchan (et de Carrefour)

Le vendredi 22 mars, l'agence de notation Standard and Poor's avait abaissé les notes des deux groupes français de distribution Carrefour et Auchan, pointant des performances plus faibles que prévu et la concurrence féroce entre acteurs qui pèse sur les marges.

Concernant Auchan, l'agence de notation abaissait la note à long et court terme, respectivement de 'BBB' à 'BB-', et de 'A-3" à A-2', avec une perspective négative.

Elle anticipait le fait que le plan de transformation du groupe "prendra plus de temps et entraînera des coûts de restructuration plus importants que nous anticipions".

Standard and Poor's soulignait également que "la diversification plutôt forte des revenus, avec 65% du chiffre d'affaires généré à l'étranger, est moins bénéfique qu'il y a quelques années", mais dit s'attendre à ce que le groupe prenne "des mesures supplémentaires de réduction de coûts en France en 2019 et en 2020 pour retrouver une rentabilité plus durable".

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(*) Selon le communiqué diffusé le 8 octobre 2018 par Auchan Retail, "l'Association Familiale Mulliez a nommé Edgard Bonte comme Président d'Auchan Retail suite au départ concerté de Régis Degelcke. Cette nomination s'accompagne d'une évolution à venir dans l'organisation et le fonctionnement de l'entreprise. Elle conduira notamment à la suppression de la fonction de directeur général d'Auchan Retail, poste occupé jusqu'à maintenant par Wilhem Hubner. Edgard Bonte a également été nommé président du directoire d'Auchan Holding par le conseil de surveillance d'Auchan Holding."