Booking.com et consorts ne sont plus les bienvenus chez les hôteliers

Par Adeline Raynal  |   |  1178  mots
Au moins 77,7% des internautes préfèrent utiliser Internet pour réserver leur chambre d'hôtel. (Crédits : AFP)
Expedia, Booking.com, Hotels.com... ces centrales de réservation hôtelière en ligne ont réussi à s'imposer comme intermédiaires indispensables entre les clients et les hôteliers. Ces derniers ont saisi l'Autorité de la Concurrence et la Commission d'examen des pratiques commerciales pour faire interdire des clauses contractuelles qui faussent, selon eux, la relation commerciale.

Déjà en 2010, 77,7% des internautes déclaraient préférer utiliser Internet pour réserver leur chambre d'hôtel, d'après une étude réalisée par Médiamétrie pour le site de réservation Easyvoyage. Depuis, ce chiffre a toutes les chances d'avoir gonflé, en tous cas les hôteliers ne peuvent plus passer à côté du phénomène sachant que déjà à l'époque 44,9% des clients finalisaient leur réservation sur un site spécialisé dans la réservation d'hôtels plutôt que sur le site de l'hôtel en question.

Une "majorité d'hôteliers" référencés sur ces sites

"Une majorité d'hôteliers utilisent aujourd'hui les trois sites en pointe que sont Booking.com, Expedia et Hotels.com", confirme Didier Chenet, le président du Syndicat National des Hôteliers Restaurateurs, Cafetiers et Traiteurs (Synhorcat). Mais depuis plusieurs mois, la grogne monte chez ces hôteliers. Bien que tributaires de ces centrales de réservation pour améliorer considérablement le taux de remplissage de leurs hôtels, ils s'érigent contre une relation jugée déséquilibrée.

"On ne peut pas accepter d'être pieds et poings liés, il faut laisser s'appliquer la libre concurrence", martèle Didier Chenet. Plusieurs points font l'objet de critiques de la part des patrons d'hôtels, en particulier des indépendants. D'abord, ce qu'ils appellent la "clause de parité tarifaire", qui leur interdit - lorsqu'ils se lient par contrat avec un des ces sites et acceptent d'y être référencés - de pratiquer des tarifs inférieurs à ceux convenus avec le site en dehors de la vente par son intermédiaire. Fini donc les promotions de dernière minute affiché dans la vitrine de l'hôtel ou accordées à des clients fidèles. Ensuite, ils s'opposent à la "clause de disponibilité" qui les obligent à proposer sur la plateforme de réservation au moins autant de chambres et prestations que celles proposées sur les autres canaux de distribution. Les hôteliers estiment la relation déséquilibrée. Ils dénoncent un "abus de position dominante" et espèrent voir devenir ces deux types de clauses illégales.

1 milliard d'euros de commissions en 2012

Ils s'élèvent également contre le montant des commissions négociées par les centrales de réservation en ligne : "Ces commissions représentent entre 12 et 25% de la facture payée par le client, la fourchette est même de 20 à 25% pour les hôteliers indépendants", s'insurge Didier Chenet. Il estime que "sur les 16 milliards d'euros de chiffre d'affaires réalisés par les hôteliers Français en 2012, un milliard a été reversé aux agences de voyages en ligne", et souligne que c'est autant d'argent en moins pour rénover les chambres ou créer des emplois.

La première étape de ce combat contre les agences de voyages en ligne a consisté en la saisine commune par le Synhorcat et l'Union des Métiers et des Industries Hôtelières (UMIH) de la CEPC, la Commission d'examen des pratiques commerciales, en vue de dénoncer ces clauses qualifiées "d'inacceptables". Celle-ci rendra son avis lundi 16 septembre.

Mais parce-que cet avis ne changera pas la loi, les hôteliers vont plus loin. En fait, seul un avis de l'Autorité de la concurrence - autorité administrative indépendante chargé de réguler la concurrence et de sauvegarder l'ordre public économique - pourrait faire bouger les choses. Le 1er juillet est donc intervenu la deuxième étape : l'UMIH et la Confédération des professionnels indépendants de l'hôtellerie (CPIH) ont saisi cet organe pour dénoncer les "pratiques anti-concurrentielles" dont ils accusent Booking.com, Expedia et HRS. "L'hôtelier n'a plus aucune maîtrise de sa stratégie commerciale", arguait l'UMIH le 2 juillet.

"Il y a un durcissement radical des clauses contractuelles imposées aux hôteliers qui, compte tenu de la structure du marché, ne sont pas en position de les refuser", soulignait alors Roland Héguy, président de l'UMIH, ajoutant que les "commissions, augmentant régulièrement, entraînent un étranglement des hôteliers".

La CEPC rendra son avis lundi

Le Synhorcat, lui, préfère attendre l'avis de la CEPC : "Nous privilégions le temps législatif mais l'Autorité de la Concurrence sera en effet saisie dans le courant du mois d'octobre", confie Didier Chenet, son président.

Lundi, la Commission d'examen des pratiques commerciales ira dans le sens des syndicats. En effet, son Président n'est autre que le député PS Razzy Hammadi, rapporteur du projet de loi sur la Consommation défendue par Benoît Hamon… et membre de la commission des Affaires économiques à l'Assemblée nationale.  Le projet de loi Hamon contient justement parmi ses grands axes celui-ci : "Garantir l'équilibre des relations commerciales interentreprises".

Rallié à la cause des hôteliers, Razzy Hammadi explique : "Nous voulons faire reconnaître que ces clauses sont nulles et non avenues" et assure qu' "un amendement au projet de loi sur la Consommation sera déposé si nécessaire en novembre, au moment de la deuxième lecture". Mais les hôteliers ont bien souvent besoin des agences de réservation en ligne pour remplir leurs chambres. "Ça m'a apporté beaucoup de clientèle, surtout des jeunes", témoignait par exemple Arlette Thébault, une hôtelière des Côtes d'Armor mi-août au micro de France Info.

Rééquilibrer mais ne pas s'opposer

L'idée n'est donc pas de s'opposer frontalement mais simplement d'œuvrer pour un rééquilibrage de la relation commerciale. "Nul ne conteste l'utilité, l'efficacité de ces sites de réservation en ligne. Mais en France, le montant des commissions versées est 2 à 3 fois supérieure par rapport aux États-Unis et les clauses de disponibilité et de parité tarifaire sont anormales" fait remarquer le parlementaire. Selon lui, "à défaut de régulation commerciale, l'industrie hôtelière sera inféodée, réduite à l'état de sous-traitante de ces sites  dans moins de cinq ans".

Et les agence de réservation en ligne qu'en pensent-elles ? Sollicitées par La Tribune, Expedia et Booking.com n'ont pour l'instant pas donné suite à nos demandes.

De leur côté, bien qu'espérant que la législation évolue, des hôteliers indépendants n'ont pas attendu pour s'organiser. Plus de 400 d'entre eux (sur les 16.755 hôtels homologués au 1er janvier 2011) se sont unis et adhèrent à un programme initié par le Club Hôtelier de Nantes: FairBooking. L'objectif est d'encourager les clients à réserver directement auprès des hôteliers "en lui offrant au choix une réduction de 5 % à 10 % sur le prix de la vente, un petit-déjeuner, un surclassement" mentionne le site dédié au projet. Ce dernier fait d'ailleurs partie du Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE) qui incite les touristes à s'orienter vers un choix de vacances responsables.

POUR ALLER PLUS LOIN :

Ecoutez l'interview d'Arlette Thébault (hôtelière dans les Côtes d'Armor) et de Razzy Hammadi sur France Info le 16 août 2013 :