"La stratégie d'Emirates Airlines n'est pas d'écraser tout le monde" (vice-président exécutif)

Par Propos recueillis par Fabrice Gliszczynski  |   |  1961  mots
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Coopérations avec Qantas, Easyjet, avec American Airlines demain, développement en France, commandes d'avions gigantesques..., Thierry Antinori ce Français de 50 ans, ancien d'Air France et de Lufthansa et aujourd'hui Executive vice-président Sales Worldwide de la compagnie de Dubai, détaille à La Tribune la stratégie d'Emirates et sa vision du transport aérien.

Comment se comporte l'activité d'Emirates pendant la crise ?

Depuis le début de notre exercice fiscal, commencé le 1er avril, Emirates a augmenté son offre en sièges de 19%. Cette année, nous aurons reçu 31 nouveaux appareils (tous des A380 et des B777) et ouvert 15 nouvelles routes. Nous desservons près de 135 destinations. 2012 est la plus forte année de croissance de l'histoire de la compagnie. Malgré cette hausse, nous avons non seulement stabilisé notre coefficient d'occupation à 80% mais aussi maintenu notre recette unitaire en dépit de la volatilité des monnaies, notamment l'euro et la roupie qui ont baissé. Résultat, nos bénéfices ont doublé au premier semestre. Le produit Emirates continue d'être choisi par les clients.

Comment évoluent les réservations au cours des prochains mois ?

Elles sont correctes. Les marchés asiatiques tiennent bon. Sur certains axes matures, c'est un peu plus difficile qu'il y a un an.

En Europe ?

Nous avons augmenté notre offre en sièges de 25% depuis le début de notre exercice. Le marché est plus faible aujourd'hui. Nous observons un petit ralentissement des réservations. Nous l'avons ressenti en septembre et cette tendance s'est accentuée depuis. Mais nous sommes très optimistes. Nous parvenons à bien remplir nos avions grâce aux clients asiatiques et du Moyen-Orient. Il n'y a aucune raison de changer de plan de route. Nous avons augmenté de plus de 20% notre trafic sur les lignes européennes depuis le début de notre exercice. Nous gagnons des parts de marché sur tous les segments de clientèle. Pour la clientèle loisirs, je pense qu'Emirates offre le meilleur rapport qualité/prix (nous ne sommes quasiment jamais le moins cher) et pour la clientèle affaires, l'augmentation des fréquence sur nos lignes comme Paris ou Milan prochainement nous rend de plus en plus attractifs. Enfin le marché « incentive » se développe car la destination Dubaï a le vent en poupe avec de nombreuses ouvertures d'hôtels.

Que pèse l'Europe dans le chiffre d'affaires d'Emirates ?

Notre activité est très équilibrée. 30% de notre chiffre d'affaires provient des marchés asiatiques, 30% d'Europe, le reste se répartit entre le Moyen-Orient et le reste de la planète. Nous ne sommes pas exposés sur une région comme peuvent l'être les compagnies européennes.

Et en France, où en est Emirates ?

Le marché français est assez stable. Il subit la problématique européenne. Il reste un marché important pour nous. Nous sommes optimistes pour l'avenir. La question est de savoir si Emirates est capable avec une belle marque de prendre une part plus importante d'un gâteau qui ne grossit pas. Nous pensons que oui. Il n'y a aucune raison que nous n'augmentions pas notre trafic, même avec l'accord entre Air France-KLM et Etihad Airways car Etihad n'a pas les mêmes capacités en sièges que nous. En décembre nous avons ouvert la ligne Dubaï-Lyon et le 1er janvier nous positionnons un deuxième Airbus A380 entre Paris et Dubaï.

Demandez-vous plus des droits de trafic en France ?

Nous avons l'autorisation d'exploiter 31 vols par semaine entre Dubaï et la France. Avec l'ouverture de Lyon début décembre, et l'ajout d'un troisième vol sur Paris, nous atteindrons cette limite : 19 vols hebdomadaires sur Paris (deux vols quotidiens, et cinq vols par semaine sur le troisième vol), 7 vols par semaine sur Nice et 5 vols sur Lyon. A court terme, ce qui nous intéresserait, c'est de pouvoir assurer un service quotidien sur Lyon et sur notre troisième vol sur Paris.

Emirates va-t-elle maintenir cette forte croissance en 2013 ?

Nous sommes en train de finaliser notre programme. Mais il y aura moins d'ouvertures de lignes qu'en 2012. Je peux déjà citer Varsovie en février et Alger en mars. En termes d'offres en sièges, la croissance d'Emirates sera toujours à deux chiffres mais elle sera inférieure à celle de 2012. Nous recevrons l'an prochain une dizaine d'A380 et plusieurs B777, mais là encore il y en aura moins que les 31 reçus en 2012.

Cette année en plus de sa forte croissance, Emirates est allée plus loin en signant des accords commerciaux stratégiques avec la compagnie australienne Qantas et la low-cost européenne Easyjet. Que vous apportent ces deux partenariats ?

L'accord avec Qantas consolide notre position en Australie. Les Australiens ont désormais un meilleur accès à l'Europe. Nous desservons 34 destinations en Europe, Qantas deux. Qantas a plus d'intérêt à travailler avec nous qu'avec son partenaire historique British Airways. En outre, le transfert du hub de Qantas de Singapour à Dubaï positionne ce dernier comme le principal hub entre l'Australie et l'Europe alors que jusqu'ici Singapour et Dubaï se partageaient le leardership. Quant à l'accord passé avec Easyjet, il répond à une demande de nos clients européens membres de notre programme de fidélisation Skywards (ils représentent 31% de l'ensemble de nos membres) de pouvoir mieux utiliser les miles dont ils disposaient. Avec son grand nombre de bases en Europe, Easyjet est la compagnie qui répond le mieux à nos besoins.

Cela ne pose-t-il pas un problème d'image pour une compagnie réputée pour sa grande qualité de services de s'allier avec une low-cost ?

Je ne pense pas que le fait qu'Easyjet soit une low-cost pose un quelconque problème. Les marques sont séparées. Il ne s'agit pas d'un accord de code-share mais d'un accord destiné à permettre à nos clients fidèles de pouvoir utiliser leurs miles en Europe. Il leur apporte une prime très intéressante sur une compagnie qui dispose d'un réseau paneuropéen et d'une flotte moderne.

Comptez-vous aller plus loin avec Easyjet ?

Nous n'allons pas plus loin à ce stade. Notre accord semble bien fonctionner. 

Pensez-vous qu'Emirates aura besoin à l'avenir de feeders européens pour alimenter ses vols long-courriers au départ des aéroports européens? Auquel cas Easyjet serait une bonne solution.

Emirates dessert 34 escales en Europe, bientôt 35 avec l'ouverture de Varsovie en février. Nous avons déjà capté les plus grosses zones de chalandise européennes. A priori nous n'avons pas besoin de partenaires aériens pour amener du trafic sur les escales que nous desservons. D'autant qu'il y a des possibilités d'accords avec le train à grande vitesse qui font du sens.

Après Qantas et Easyjet, allez-vous continuer cette stratégie de partenariats?

Si nous avons une opportunité de monter un partenariat bilatéral qui apporte de la valeur aux clients, nous la saisissons. Nous ne visons pas d'accords capitalistiques. Nous préférons au contraire investir dans le produit. Aujourd'hui, nous discutons avec American Airlines. Mais l'objet de la discussion n'a pas l'ampleur de ce que nous allons faire avec Qantas. Nous avons ouvert un vol quotidien entre Dubaï et Dallas, le principal hub d'American Airlines. Emirates a déjà un accord interligne avec eux. Nous discutons d'une coopération en termes de programmes de vols, de programme de fidélisation. Nous en sommes à un stade où nous prenons notre temps. Cela ne nous pose pas de problème si American Airlines souhaite rester dans Oneworld. 

Avec tous ces alliés, Emirates est-elle en train de créer indirectement une nouvelle alliance commerciale mondiale ?

Non. Notre stratégie est simplement de compléter notre réseau en passant des accords avec la compagnie qui convient le mieux sur la partie du réseau que nous souhaitons développer. Nous n'avons pas d'objectifs en termes de nombre de partenaires. Nous ne sommes pas dans une logique où nous nous disons qu'il nous faut un partenaire par région. En Inde, ce sont les droits de trafic qui nous intéressent, pas des accords capitalistiques avec des compagnies indiennes.

Qatar Airways vient d'annoncer son adhésion à Oneworld, Etihad Airways pourrait elle aussi rejoindre une alliance, Emirates restera t-elle toujours à l'écart ?

Notre stratégie n'a pas bougé. Nous ne voulons pas entrer dans une alliance globale comme Star Alliance, Skyteam ou Oneworld qui serait un frein à notre développement. Les alliances ne sont pas la solution. Nous pensons au contraire que l'avenir est plutôt aux grosses coopérations bilatérales entre gros acteurs.

Emirates se sent-elle menacée par les décisions de vos deux rivaux du Golfe Etihad et Qatar Airways de s'allier avec Air France-KLM pour le premier et probablement avec British Airways pour le second avec son entrée dans Oneworld ?

Nous constatons que les compagnies européennes qui sont dans des alliances comme Star Alliance, Skyteam ou Oneworld vont aussi chercher des accords bilatéraux avec des compagnies du Golfe pour continuer à croître. C'est ce que fait Air France-KLM avec Etihad en essayant de profiter d'un allié dont le hub dispose d'une bonne situation géographique pour capter les marchés en croissance et dont la flotte est en développement... C'est une stratégie louable et logique mais elle traduit une position de faiblesse. A l'avenir, ce sera difficile pour Air France-KLM de maintenir une position équilibrée avec Etihad. Nous ne sous sentons pas menacés. Emirates dessert déjà 34 destinations européennes. Nos capacités sont supérieures à celles d'Etihad et de Qatar réunies. Nous n'avons pas d'intérêt à diluer notre image dans une coopération européenne. Nous n'en avons pas besoin.

La flotte d'Emirates donne le tournis. Près de 200 avions, tous des gros ou très gros-porteurs (près de deux fois plus qu'Air France), autant en commande. Qu'allez-vous faire de cette armada ?

Notre stratégie est toujours de connecter les six continents avec une seule correspondance, à Dubaï, et de continuer le développement du hub de Dubaï. Ce n'est pas du tout d'écraser tout le monde.
La situation géographique de Dubaï est stratégique. Un tiers de la population mondiale se situe à 4 heures d'avion de Dubaï et 70% de la population mondiale à 8 heures ! Les 7 milliards d'habitants dans le monde vont avoir à l'avenir des besoins de mobilité accrus. Certaines études prévoient par exemple qu'en 2025, 400 millions de Chinois voyageront en avion ! L'Afrique aussi est aussi un marché d'avenir. C'est pour cela que nous commandons autant d'avions. Dubaï, dont 30% du PIB provient de l'aviation et du tourisme, est prêt à répondre à cette demande. Début janvier, l'aéroport international de Dubai va notamment ouvrir un nouveau terminal réservé aux seuls A380 (il s'agit du « Concourse A » du terminal 3 ndlr) qui fera passer la capacité annuelle de l'aéroport de 60 à 75 millions de passagers. Et à terme il y aura le développement de l'aéroport international Al-Maktoum, à proximité de Jebel Ali.

Allez-vous passer de nouvelles commandes ?

Tim Clark, notre PDG, a déjà indiqué que nous aurions besoin de plus d'A380 et qu'il regardait le successeur du B777.

Comment expliquez-vous les difficultés des compagnies européennes ?

Les transporteurs européens sont pénalisés pour plusieurs raisons. Déjà, la démographie ne joue pas en leur faveur. L'Europe est un marché important, mais son développement démographique est limité, contrairement à l'Asie ou à l'Afrique. Les compagnies européennes peuvent donc moins tirer profit de la croissance du trafic aérien dans les dix prochaines années. Ensuite, elles ont l'inconvénient d'être dans une partie du monde où le transport aérien n'est considéré comme stratégique. D'où l'accumulation de taxes qui pèsent sur ce secteur en Europe qui les fragilise.

Avez-vous un conseil à leur donner ?

De convaincre leurs autorités de tutelle que le transport aérien est une activité stratégique. Qu'elles aient plus de soutiens de leur part et qu'elles cessent d'être bombardées de taxes ou de mesures qui leur mettent des bâtons dans les roues comme les couvre-feux