Bruxelles s’attaque aux aides de Ryanair : 270 aéroports sur la sellette

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  1106  mots
Les aides accordées par les régions à Ryanair sont dans le collimateur
Les nouvelles lignes directrices européennes en matière d'aides d'Etat dans le transport aérien et aéroportuaire vont se durcir. Leur application stricte menace tous les aéroports qui accueillent moins d'un million de passagers par an.

Sueurs froides dans de nombreux aéroports régionaux et territoires. Le projet de lignes directrices de la Commission européenne en matière d'aides d'Etat dans le secteur aéroportuaire et aérien va se durcir. Sans la citer, il vise essentiellement Ryanair qui monnaye la desserte des aéroports à une aide financière.

Notification des aides à partir de 200 000 passagers par an

Tel qu'il a été mis à consultation (il va être peaufiné pour être publié début 2014) le projet de résolution met en danger un très grand nombre de petites plateformes aéroportuaire. "L'application stricte des lignes directrices entraînera la disparition de 270 aéroports européens, dont un gros paquet en France", a expliqué vendredi lors du Congrès des aéroports francophones Alfa-ACI Alain Falque, ancien dirigeant d'Aéroports de Paris et aujourd'hui consultant.

Ce chiffre correspond au nombre d'aéroports qui accueillent moins d'un million de passagers par an (279 en fait), un seuil en dessous duquel les aides aux compagnies aériennes n'ont pas besoin aujourd'hui d'être notifiées à Bruxelles, mais qui le seront demain. Dans son projet, la Commission veut abaisser ce seuil à 200.000 passagers.

"Un petit aéroport ne sera jamais rentable"

Or, pour tous les petits aéroports qui traitent un trafic inférieur à 1 million de passager, impossible, contrairement à ceux qui dépassent ce seuil, de justifier l'attribution d'aides financières aux compagnies aériennes par un comportement d'investisseur avisé, une des conditions fixée par Bruxelles pour accorder des aides d'Etat. Car ils ne sont pas rentables.

"Un petit aéroport ne le sera jamais", a expliqué le patron de la direction générale de l'aviation civile (DGAC) Patrick Gandil. En effet, le trafic ne permet pas de générer des recettes suffisantes, notamment des revenus tirés commerces et éventuelles des recettes domaniales.

42,5% des aéroports européens dans le rouge

"Les neuf grands aéroports français gagnent 1,70 centime par passager, les moyens perdent le même montant, et les petits perdent 9 euros par passager", détaille Alain Falque. Résultat, de nombreux aéroports sont dans le rouge. "Au niveau européen, 42,5% des aéroports perdent de l'argent", précise Olivier Jankovec, directeur général de l'ACI Europe (association des aéroports internationaux). Doit-on les rayer de la carte ? "Ce n'est pas parce que je ne suis pas rentable que je ne sers à rien", indique le dirigeant d'un petit aéroport, en faisant allusion à son rôle dans le développement économique de sa région.

Problème, comme le déplore Alain Falque, "la Commission estime que les aéroports ne peuvent avoir d'autre rôle que celui de fonctionner en concurrence avec les autres aéroports, un système qui ne permet pas de subventions d'exploitation ou de financement. La Commission nie leur rôle d'aménagement du territoire".

Un point de vue partagé par le gouvernement français par la voix de Patrick Gandil, le directeur de la direction générale de l'aviation générale de l'aviation civile (DGAC)

"La France est favorable à ce qu'il n'y ait pas d'aides d'Etat pour les compagnies aériennes, sauf pour les lignes d'aménagement du territoire ou pour les démarrages d'activité de manière limitée dans le temps. Pour les aéroports, je ne comprends pas que l'on traite un aéroport comme un agent économique. Cela en est certes un, mais c'est aussi un service public local (…). On a besoin de tous les terrains y compris les plus petits. Cela représente un maillage dense qui permet de répondre à tous les besoins incluant l'aviation médicale pour l'évacuation sanitaire. Sinon un jour on aura un mort". Pour Olivier Jankovec, "il est important que la France fasse entendre sa voix".

Bruxelles ne s'attaque pas au fond du problème : le manque d'harmonisation fiscale

Pour Alain Falque, la Commission ne s'attaque pas au fond du problème : la différence fiscale entre les pays. Notamment la taxe d'aéroport, qui certes ne joue pas sur les résultats des aéroports dans la mesure où elle est reversée à l'Etat pour financer la sûreté, mais dont la cherté constitue en revanche en France un repoussoir pour les compagnies aériennes.

"La taxe sûreté n'existe pas à Charleroi, est de 95 centimes à Munich, 1,5 euro à Francfort, 2 euros en Espagne et entre 6 et 12 euros en France. Cela crée une concurrence importance sur les aéroports frontaliers. La Commission ne considère pas ce point comme une aide d'Etat", explique Alain Falque, qui élargit le débat à l'ensemble des taxes d'Etat. "Elles n'existent pas en Belgique, s'élèvent 3,53 euros par passager en Espagne, à 8,68 euros en Allemagne et 15,30 euros au Royaume-Uni et entre 14,75 et 20,75 euros en France. Quand on parle de subventions, il faut tenir compte de cela", explique Alain Falque.

Distorsion de concurrence

Président de l'aéroport de La Rochelle et de l'Alfa ACI, Thomas Juin confirme : "Bruxelles veut imposer des règles identiques pour tout le monde mais celles-ci s'appliquent à un système différent en termes de taxation. Quand cette dernière varie entre 3 et 20 euros par passager selon les pays, il y a des distorsions de concurrence qui expliquent tout le problème qu'ont les petits aéroports dans leur relation avec les compagnies aériennes". Pour être aussi attractifs que leurs voisins, les aéroports français cassent leur tirelire pour attirer Ryanair. "Tant qu'il n'y aura pas d'homogéneité, il sera dur d'appliquer les lignes directrices", explique Thomas Juin.

Bruxelles pourrait assouplir son projet

Selon plusieurs sources, Bruxelles pourrait relever le seuil à partir duquel il faut notifier une aide d'Etat à 500 000 passagers par an. Ce qui permettrait à la plupart des aéroports français de passer entre les mailles du filet. En effet, sur les 17 aéroports comptant moins d'un million de passagers annuels, seuls deux se situent entre 500.000 et un million de voyageurs, explique Jean-Michel Vernhes, le président de l'Union des aéroports français (UAF).

Si Thomas Juin estime que ces lignes de directrices sont une bonne chose car elles vont permettre d'apporter la transparence au système, il prône la mise en place de règles permettant aux petits aéroports d'atteindre la taille de un million de passager afin d'entrer dans le cadre général. "Nous avons suggéré que les aéroports mettent à disposition des plans d'affaires en montrant que les accords passés avec les compagnies aériennes améliore leur rentabilité et couvre les coûts marginaux", explique-t-il. Et d'ajouter : "il faut plus de souplesse, sinon le pas vu pas pris continuera".