Air France-KLM et Lufthansa s’allient contre les compagnies du Golfe (Etihad, Emirates, Qatar Airways)

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  764  mots
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Dans un courrier commun adressé le 17 juin à Siim Kallas, le vice-président en charge des transports la Commission européenne, les PDG des deux groupes et ceux de leurs filiales, pressent Bruxelles d'agir pour mettre en place des règles du jeu équitables avec les compagnies du Golfe. Ils demandent à la Commission de s'assurer que les investissements capitalistiques d'Etihad en Europe sont compatibles avec les règles européennes. Selon nos informations, une action en justice commune est aussi à l'étude.

Depuis des années ils se battent comme des chiffonniers. Mais face au danger des compagnies du Golfe, Emirates, Qatar Airways, Etihad, Air France-KLM et Lufthansa ont décidé de faire front commun. Dans un courrier commun adressé le 17 juin à Siim Kallas, le vice-président en charge des transports la Commission européenne que la Tribune s'est procuré, Alexandre de Juniac, PDG d'Air France-KLM, Carsten Spohr, son homologue chez Lufthansa, Frédéric Gagey, PDG d'Air France, Camiel Eurlings, PDG de KLM, ainsi que tous les PDG des filiales de Lufthansa, Harry Hohmesiter, PDG de Swiss, Jaan Albrecht, PDG d'Austrian Airlines et Bernard Gustin, PDG de Brussels Airlines, ont pressé Bruxelles à "prendre toutes les mesures appropriées pour assurer des règles du jeu équitables", en rappelant que les deux groupes européens transportaient à eux deux "180 millions passagers et employaient plus de 200 000 personnes".

Etihad dans le collimateur

En cause, les investissements capitalistiques de ces compagnies dans les transporteurs européens "ou dans des pays ayant signer des accords aériens avec l'Union européenne comme la Suisse ou la Serbie". Sans être citée, Etihad Airways, la compagnie d'Abu Dhabi est dans le collimateur. Elle est la seule des trois compagnies du Golfe à mener cette stratégie d'investissements avec les prises de participations dans Aer Lingus, Air Berlin, Air Serbia, Darwin Airlines (Suisse) et peut être demain Alitalia.

"Nous pressons la Commission européenne de s'assurer que tous ces investissements sont compatibles avec le règlement européen 1008/2008 établissant les conditions d'octroi des licences de transporteurs communautaires".

Et notamment son article 4 qui impose que le capital d'une compagnie européenne soit majoritairement contrôlé par des capitaux communautaires ou nationaux.

"Les compagnies des pays tiers investissant dans des transporteurs européens doivent communiquer aux Etats membres et à la Commission européenne l'origine des fonds et les conditions de leurs activités de restructuration. Si cela n'est pas conforme à la législation, la Commission devrait prendre toutes les mesures appropriées pour assurer des mesures équitables", indique le courrier.

Tarifs extrêmement bas

Se déclarant "profondément inquiets de voir qu'un grand nombre de ces investissements proviennent d'Etats qui semblent ignorer les principes d'une concurrence loyale en vigueur en Europe", Air France-KLM et Lufthansa affirment qu'"en contradiction avec les règles européennes, ces investisseurs obtiennent un très haut degré de contrôle des compagnies européennes (dans lesquelles ils investissent, ndlr) et ont, en particulier, la possibilité d'exercer, directement ou indirectement, une influence décisive pour orienter le trafic au départ des aéroports européens vers leur hubs, en mettant en place des capacités de sièges excessives et, le plus souvent, des tarifs extrêmement bas".

Ceci, dénonce le texte, alors qu'il n'existe pas de réciprocité pour les investisseurs européens, dans la mesure où les compagnies et les aéroports des pays du Golfe sont détenus par leur gouvernement ou des organismes gouvernementaux.

"Un désastre"

Depuis quelques mois, Air France-KLM et Lufthansa (surtout) ne cessent de pointer les dangers des compagnies du Golfe. Lors de l'assemblée générale des actionnaires en mai, Alexandre de Juniac avait demandé que Bruxelles mette en place des instruments de défense des intérêts des compagnies européennes.

Dans une interview accordée à La Tribune dans le cadre du Paris Air Forum qui se déroulera à Paris le 11 juillet, son prédécesseur, Jean-Cyril Spinetta, aujourd'hui président d'honneur d'Air France-KLM a déclaré que "sans concurrence équitable le transport aérien européen va au désastre".

Alors qu'elle était plutôt réservée sur le sujet, préférant laisser les Etats membres agir, la Commission s'est saisi du dossier en se penchant sur les prises de participations dans le capital des compagnies européennes d'investisseurs non communautaires.

Le courrier commun entre Air France-KLM et Lufthansa pourrait n'être qu'une première étape. Selon nos informations, Air France-KLM et Lufthansa envisagent de porter ce dossier devant les tribunaux.

 Air France-KLM partenaire d'Etihad...

Si Air France-KLM n'a jamais caché son hostilité et ses craintes face au développement des compagnies du Golfe, son activisme peut surprendre dans la mesure où Etihad, visée par le courrier, est devenu un partenaire commercial du groupe français (lequel veut même approfondir sa relation) et qu'elle sera un interlocuteur évidemment incontournable dans les relations entre Air France-KLM et Alitalia si la compagnie d'Abu Dhabi en devient le principal actionnaire.