Air France-KLM lance des économies en urgence

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  1481  mots
La baisse de prix des billets, nécessaire pour remplir ses avions face au low-cost, va forcément absorber une grande partie du gain obtenu par la baisse du prix du carburant.
Le groupe a décidé en décembre de prendre des mesures d'économies immédiates d'une centaine de millions d'euros qui doivent prendre effet dès le premier trimestre. Ceci car, fait rarissime, le conseil d'administration avait refusé de valider le budget 2015, jugé insuffisant. Des mesures largement plus lourdes seront annoncées au cours du premier semestre pour redresser le groupe. Ce jeudi, la direction a annoncé la cession d'un bloc de 2,2% d'actions d'Amadeus qui lui a rapporté 327 millions d'euros. Analyse.

Air France-KLM annoncera-t-il au cours des prochains mois la suppression de 5.000 nouveaux postes comme l'affirme notre confrère Le Figaro dans son édition de ce mercredi 14 janvier ? L'information a certes été démentie par le groupe aérien, mais elle ne surprend pourtant pas tant les mesures à prendre pour remettre Air France-KLM sur les rails s'annoncent drastiques.

Le conseil a refusé de valider en première lecture le budget 2015

D'ailleurs, selon nos informations, le groupe a décidé, en décembre dernier, de lancer toute une série de mesures d'économies en urgence, lesquellles n'étaient pas prévues dans le plan de restructuration Transform 2015 qui s'est achevé fin décembre (mais dont certaines mesures auront un impact au premier semestre 2015). Ceci car, fait rarissime, le conseil d'administration du groupe avait refusé de valider le budget 2015 (mais aussi ceux de 2016 et 2017) présenté par la direction, le jugeant insuffisant.

"Le budget 2015 était loufoque, et ceux de 2016 et 2017 très éloigné de la trajectoire" explique à La Tribune un proche du dossier, qui précise que les administrateurs ont été agacés par les trois révisions à la baisse des objectifs 2014 annoncés l'an dernier.

Il a fallu ajouter des mesures complémentaires pour que le budget soit validé.

Mesures lourdes en préparation

Ces mesures représentent des économies d'une centaine de millions d'euros en 2015 et plus encore en 2016 et 2017. Certaines doivent prendre effet dès le premier trimestre 2015. Elles pourraient être présentées lors d'un comité central d'entreprise (CCE), prévu le 5 janvier. Interrogée, la compagnie ne fait pas de commentaires, mais rappelle qu'à l'occasion de l'annonce de son troisième profit warning en décembre, elle avait évoqué de mesures complémentaires immédiates. A ces mesures, suivront des mesures structurelles largement plus lourdes du prochain plan stratégique Perform 2020, qui devraient être annoncées en mars pour KLM et d'ici à fin juin pour Air France.

"L'ordre de grandeur des économies à faire se situe entre 1 et 2 milliards d'euros sur trois ans", explique la même source.

En novembre, KLM avait indiqué prévoir 700 millions d'euros d'économies au cours des cinq années. Le montant sera donc moindre sur trois ans, la première étape du plan Perform 2020.

Refinancement

Par ailleurs, selon certaines sources, le groupe n'exclut pas une ou deux interventions sur le marché obligataire assez rapidement pour bénéficier de financements à taux réduits. Notamment pour fianancer une échéance qui arrive en 2015. Selon un expert, Air France-KLM pourrait ainsi lever près d'un milliard d'euros. A plus long terme, le groupe n'exclut pas une augmentation de capital si le cours de l'action parvenait, sur fond de baisse du pétrole, à grimper vers les 12-13 euros. Mais avant d'en arriver là, il y a encore la cession des parts dans le système global de distribution (GDS), Amadeus. Air France-KLM a annoncé ce jeudi soir, la cession d'un bloc de 2,2% du capital. Le produit net s'élève à 327 millions d'euros.

Coûts plus élevés

Car la situation dans laquelle se trouve le groupe français reste très difficile. Ses résultats financiers ne sont pas bons, sa structure bilantielle non plus, sa compétitivité est plus faible que celle des ses concurrents en raison, pour ce qui concerne Air France, d'un coût du travail plus élevé dans l'Hexagone que dans les pays où sont basés ses rivaux, et d'une productivité intrinsèque inférieure à celle des autres compagnies. Selon des comparaisons établies par la compagnie, les coûts des escales dans l'Hexagone et des personnels navigants commerciaux d'Air France seraient 40 à 50% plus élevés par rapport aux compagnies low-cost.

L'environnement concurrentiel s'accentue

Ceci alors que l'environnement concurrentiel s'accentue chaque jour davantage du fait de la croissance continue des low-cost et des compagnies du Moyen-Orient (Emirates, Qatar Airways, Etihad Airways et Turkish Airlines). Résultat : la recette unitaire du groupe, qui reste l'une des plus élevées dans le monde, s'effondre. « A une vitesse faramineuse », explique t-on en interne. Un mouvement observé depuis le début du deuxième semestre 2014, à l'instar de Lufthansa mais pas de IAG (British Airways), qui affiche d'ailleurs une santé insolente.

Recul du prix du pétrole...

A tel point que cette baisse de prix, nécessaire pour avoir des avions remplis correctement, va forcément absorber une partie du gain obtenu par la baisse du prix du carburant. Selon des observateurs, au prix actuel du pétrole, le gain pour Air France-KLM en 2015 serait d'environ 1 milliard d'euros, mais près de la moitié pourrait être «rendue» aux clients par le biais d'une baisse de prix. Lundi 12 janvier, devant les investisseurs, Lufthansa a annoncé prévoir une baisse de 900 millions d'euros de sa facture carburant. Interrogé dans la foulée, Frédéric Gagey, le PDG d'Air France, a indiqué que la facture du groupe baisserait cette année mais ne s'est pas risqué à faire des estimations.

...au moment où les négociations de baisses de coûts vont commencer

Si le relâchement de la pression pétrolière apporte évidemment un bol d'air à Air France-KLM, elle tombe un peu au mauvais moment, puisque la direction doit négocier cette année de nouveaux accords de compétitivité avec le personnel dans le cadre de son nouveau plan stratégique Perform 2020.

«Il y a un risque que la baisse du prix du pétrole décale certaines priorités en termes de restructuration», fait valoir un expert.

Difficile en effet de demander des efforts supplémentaires quand l'entreprise retrouve des couleurs. Pourtant, même si Air France-KLM sera l'une des compagnies à profiter le plus du recul des cours de l'or noir en 2015, ce gain sera loin d'être suffisant pour combler l'écart de compétitivité avec les concurrents.

Le plan Transform n'a pas comblé l'écart de compétitivité avec les concurrents

Contrairement aux prévisions de la direction il y a un an, le plan Transform 2015 (2012-2014) n'a pas permis à Air France-KLM de réduire l'écart de compétitivité avec ses pairs, Lufthansa et IAG (British Airways-Iberia).

«Les mesures prises ont permis de combler en partie l'écart avec nos pairs », admettait pour la première fois le PDG du groupe Alexandre de Juniac à l'American European Press Club le 18 novembre, après avoir martelé le contraire pendant des mois.

En tenant compte de l'impact négatif du conflit des pilotes en septembre, Air France-KLM devrait faire état, lors de la publication de ses résultats 2014 le 19 février prochain, de bénéfices très limités en 2014, alors que IAG compte annoncer un bénéfice d'exploitation compris entre 1,320 et 1,370 milliard d'euros et que Lufthansa maintient son objectif d'un profit de 1 milliard d'euros.

Des efforts importants mais les concurrents en ont fait aussi

Air France-KLM n'a-t-il pas fait suffisamment d'efforts ? Les concurrents en ont-ils fait plus que prévu ? Les efforts d'Air France-KLM sont réels et importants. Lancé en 2012, le plan Transform est le plan de baisse des coûts le plus important depuis près de 20 ans, puisqu'il faut remonter à 1994, et la restructuration de Christian Blanc, pour trouver un plan plus ambitieux. Les coûts unitaires ont en effet baissé de plus de 10%.

Problème, les concurrents ne sont pas restés les bras croisés. Et les mesures qu'ils ont prises durant ces dernières années leur permettent de conserver l'avance qu'ils avaient en 2012. Une avance qui tient au fait qu'Air France-KLM est entré dans la crise de 2009 plus mal préparé que ses rivales (avec notamment un nouvel accord collectif signé en 2008 avec les hôtesses et stewards d'Air France qui a augmenté les coûts de cette catégorie de personnel d'une centaine de millions d'euros par an) et qu'une fois dans la crise, le groupe français a mis plus de temps que les autres à réagir puisqu'il a fallu attendre 2012 pour que des mesures à la hauteur de l'enjeu soient lancées.

«Entre 2004 et 2011, les coûts ont progressé de 12 à 15% par rapport à Lufthansa», déplore-t-on en interne.

2015, une année décisive

L'année qui vient de commencer s'annonce donc décisive pour Air France-KLM. Sa capacité à rester un leader mondial du transport aérien capable de ne pas se faire dicter sa stratégie, autrement dit son avenir, dépendra fortement des mesures qui seront prises en 2015. En 2020, les compagnies du Golfe et les low-cost seront en effet largement plus puissantes qu'elles ne le sont aujourd'hui. Air France-KLM est donc condamné à taper fort et vite. A la fois chez Air France et chez KLM qui a fini de manger son pain blanc. D'autant que Lufthansa et IAG ne baisseront pas la garde. La tâche s'annonce d'autant plus compliquée que les fortes tensions entre les catégories du personnel, qui se sont exacerbées après la grève des pilotes d'Air France, demeurent.