Redressement d'Air France-KLM, l'impossible équation ?

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  1355  mots
Bénéficiant jusqu'ici d'un environnement concurrentiel plus clément que celui d'Air France, KLM est aujourd'hui attaquée à Amsterdam par les trois compagnies du Golfe.
Le groupe a replongé dans le rouge en 2014. Malgré la bouffée d'oxygène de la baisse du prix baril, la direction table sur près de un milliard d'euros d'économies supplémentaires au cours des trois prochaines années. Pour autant, l'environnement social complexifie leur mise en oeuvre.

Un résultat d'exploitation qui replonge dans le rouge en 2014, (-129 millions d'euros);  une recette unitaire en baisse en raison d'un environnement concurrentiel agressif; un écart de compétitivité avec les concurrents directs à combler; une cicatrice qui n'est pas prête de se refermer entre les syndicats de pilotes d'Air France et une partie des autres catégories du personnel de la compagnie depuis la grève des pilotes en septembre; un sentiment de défiance des pilotes d'Air France vis-à-vis du management; un ressentiment très fort qui est apparu aux Pays-Bas vis-à-vis d'Air France accusée de tirer vers le fond KLM : si la baisse du prix du baril constitue une excellente nouvelle pour le transport aérien en général, les défis à relever pour Air France-KLM restent considérables.

2015, une année décisive

Même si le groupe, qui a publié ce jeudi ses résultats financiers 2014, devrait profiter cette année de la diminution des cours du pétrole pour revenir dans le vert (la direction ne donne pas de prévisions, mais table en interne sur un bénéfice d'exploitation entre 600 et 750 millions d'euros selon nos informations), l'année 2015 est décisive à plus d'un titre. Elle doit en effet mettre sur les rails un nouveau plan stratégique qui doit permettre à Air France-KLM de rattraper enfin son retard sur ses rivaux Lufthansa ou IAG (British Airways ou Iberia) et d'être en mesure de riposter aux compagnies à bas coûts sur le long-courrier et aux transporteurs étrangers, du Golfe en particulier, sur le long-courrier.

Baptisé Perform 2020, ce plan sera une nouvelle fois focalisé sur la baisse des coûts. La direction limite aujourd'hui ses objectifs à trois ans. Au cours de cette période, elle table sur des réductions de coûts de plus de 1 milliard d'euros à l'échelle du groupe (650 millions chez Air France, 390 chez KLM). Soit une réduction des coûts unitaires de 1,5% par an. Ce milliard s'ajoute à celui économisé au cours des trois dernières années.

Des efforts proportionnels à la taille des compagnies

Les efforts ne seront pas terminés pour autant. Au contraire, en rappelant dans une lettre ouverte que KLM prévoyait 700 millions d'euros d'économies en 5 ans et que "les réductions de coûts seront proportionnelles à la taille d'Air France au sein d'Air France-KLM", le Pdg d'Air France, Frédéric Gagey, a donc laissé entendre que la compagnie française visait 1,4 milliard d'euros d'économies en 5 ans. Soit 2,1 milliards pour Air France-KLM d'ici à 2020. Air France est en effet deux fois plus grosse que KLM.

Si le groupe table sur une économie de 1 milliard en trois ans, et du double sur 5 ans, cela signifie de fait qu'il table sur un autre milliard d'économies en 2018 et 2019. Sera-ce suffisant?

"Si Air France-KLM veut se retrouver au même niveau que ses pairs, il faut baisser les coûts unitaires d'au moins 2% par an sur trois ans. Sinon ce sera extrêmement difficile", explique un expert, qui estime que Lufthansa risque aussi de bouger.

Une analyse que conteste la direction d'Air France-KLM. Avec une baisse des coûts unitaires de 1,5% par an, notre compétitivité se situe dans le benchmark des compagnies dites de réseaux. Elle devrait notamment être supérieure à celle de Lufthansa", assure Pierre-François Riolacci, le directeur financier d'Air France-KLM.

Environnement social compliqué

L'équation s'annonce d'autant plus difficile que la problématique sociale est compliquée. La direction va demander des efforts supplémentaires aux salariés des deux compagnies, quand ces derniers en ont déjà consentis beaucoup au cours des trois dernières années, en particulier à Air France qui a supporté la plus grande partie des réductions de coûts au cours du plan précédent, Transform 2015 (2012-2014).

Ceci alors que la baisse du prix du kérosène devrait permettre à Air France-KLM d'engranger plusieurs centaines de millions d'euros de bénéfices en 2015. "Il n'y a pas le feu au lac", assure même un bon connaisseur de l'entreprise. Une position qui ne l'a pas emportée au sein de la direction, qui estime qu'Air France-KLM n'a parcouru que la moitié du chemin dans sa restructuration et que le 1,5 milliard d'euros de gain obtenu par la baisse de la facture carburant risque d'être totalement absorbé par l'effet des couvertures, la baisse de l'euro par rapport au dollar et par la baisse de la recette unitaire.

Les pilotes, au cœur de la problématique

Demander de nouveaux efforts aux salariés sera d'autant plus délicat que la cicatrice entre les syndicats du personnel au sol et les pilotes n'est pas prête de se refermer.

Déjà montrés du doigt pendant la grève par une partie des personnels au sol (certains ont soutenu les pilotes dans leur revendication de retirer le projet Transavia Europe), les pilotes sont soupçonnés de ne pas avoir réalisé les 20% de gains de productivité fixés dans le cadre du plan Transform 2015 à toutes les catégories du personnel. Une étude du cabinet Secafi l'affirme.

"Je vois mal les personnels au sol s'engager sur de nouvelles mesures de productivité si les pilotes ne finissent pas le boulot du plan précédent et s'engagent sur d'autres mesures fortes. L'équation d'Air France passe par là", explique la même source.

Pas facile au regard des relations qu'entretiennent pilotes et direction depuis la grève. La victoire en décembre des tenants d'une ligne dure à la tête du SNPL d'Air France (par rapport à un courant plus modéré qui avait pourtant engagé les pilotes dans une longue grève) ne va pas faciliter la négociation de telles économies.

Sentiment de défiance côté hollandais

Ces tensions sociales se retrouvent aussi chez KLM. Si elle reste bénéficiaire, la compagnie néerlandaise a mangé son pain blanc. Bénéficiant jusqu'ici d'un environnement concurrentiel plus clément que celui d'Air France, KLM est aujourd'hui attaquée à Amsterdam par les trois compagnies du Golfe. Ses profits baissent et de nouvelles réductions de coûts sont nécessaires.

Le nouveau président du directoire, Pieter Elbers, va tenter de négocier une nouvelle convention collective avec les syndicats, lesquels déclarent qu'ils ne veulent pas payer les pots cassés de la grève des pilotes d'Air France et, d'une manière générale, du manque d'efforts engagés au sein de la compagnie française. Ce que conteste le Pdg d'Air France, Frédéric Gagey, qui rappelle que la compagnie française aurait été bénéficiaire sans la grève des pilotes et que les mesures prévues pourraient permettre de dégager un bénéfice d'exploitation de l'ordre de 500 à 600 millions d'euros en 2017.

Le sentiment est tel aux Pays-Bas qu'il a poussé Frédéric Gagey à écrire une tribune dans un journal néerlandais pour les rassurer sur les efforts qui seront entrepris en France.

L'affaire du "cash pooling"

Ce sentiment qu'Air France vit au crochet de KLM a été par ailleurs monté en épingle par l'affaire du projet d'une gestion centralisée de la trésorerie des deux compagnies (cash pooling), comme cela se pratique dans quasiment tous les groupes.

Hostiles à cette réorganisation financière au profit du holding (pourtant prévue depuis longue date), certains dirigeants hollandais ont laissé courir l'idée qu'Air France pillait la trésorerie du groupe. Ce qui a provoqué une vive émotion dans l'opinion, KLM étant avec Philips et Heineken, l'un des emblèmes économiques du pays. A tel point que le sujet a été abordé au Parlement néerlandais. Le projet a été retiré a expliqué Alexandre de Juniac, le PDG d'Air France-KLM.

S'ajoute enfin la question du bilan d'Air France-KLM. Peu avant la grève des pilotes, une augmentation de capital d'au moins 1 milliard d'euros était, selon plusieurs sources, quasiment lancée. La chute du cours de l'action, depuis, n'autorise pas une telle opération. Il y a bel et bien un avant et un après la grève.