Air France-KLM, l'attrition pour sortir de l'impasse ?

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  1814  mots
Le conseil d'administration d'Air France-KLM a validé l'hypothèse d'une réduction de voilure significative proposée par la direction en cas d'échec des négociations cet été avec les syndicats sur les mesures à prendre pour gagner en productivité. Ce plan B, qui sera détaillé fin juillet, comporte de nombreuses suppressions de lignes long-courriers. Il s'inspire de celui British Airways il y a une quinzaine d'années. Plan A ou plan B, des suppressions massives de postes sont à attendre.

Des accords négociés avec les syndicats pour baisser les coûts unitaires de 1,5% par an au cours des trois prochaines années conformément aux ambitions du Plan Perform 2020 ou l'attrition drastique du réseau de vols comme l'ont fait toutes les compagnies aériennes qui se sont un jour retrouvées dans la situation délicate que connaît Air France-KLM?

C'est la problématique à laquelle est aujourd'hui confronté le groupe français pour tenter de sortir de l'impasse. Les 23 et 24 juin derniers, lors d'un conseil d'administration ordinaire focalisé sur la stratégie du groupe, les administrateurs ont validé l'hypothèse d'une baisse de voilure significative proposée par la direction en cas d'échec des négociations cet été avec les syndicats sur les mesures à prendre pour réduire le différentiel de compétitivité qui sépare Air France-KLM de ses rivaux européens.

Plan Perfom + ou plan B

Un chantage pour les uns. Une nécessaire anticipation pour les autres.

«Si l'entreprise ne parvient pas à signer des accords avec les syndicats à la rentrée, elle disposera d'une alternative validée en conseil. Si elle n'agit pas ainsi, elle prend le risque de perdre encore six mois à préparer un plan B à la rentrée», explique un proche du dossier.

Air France-KLM décidera après l'été des actions à mener. Dans tous les cas, le Plan Perform tel qu'il était initialement prévu s'est déjà avéré insuffisant dans la mesure où il a été amplifié par des mesures additionnelles annoncées le 15 juin pour économiser 80 millions d'euros supplémentaires. Certains en interne n'hésitent pas parler d'un plan « Perfom +, voire ++». Ce plan B, s'il était décidé, «doit apporter le même gain financier que le plan Perfom ++», explique la même source.

Néanmoins, des nouveaux efforts n'empêcheront probablement pas des coupes dans le réseau. « Même si nous faisons Perfom, il pourrait y avoir des fermetures de lignes », fait valoir un connaisseur du dossier.

Les modalités de ce plan B, qui concernera Air France et KLM, seront présentées fin juillet au conseil du groupe pour validation. Centrées sur le long-courrier, elles s'annoncent drastiques. L'annonce mi-juin de la fermeture de quatre lignes dont Kuala Lumpur et de la possibilité de repousser les livraisons de B777 et d'A350 avait donné le ton.

«Le sens du communiqué était très clair, si le groupe n'est pas en mesure de baisser ses coûts unitaires, on retirera une grande partie de ce qui génère des pertes comme l'a fait British Airways pendant des années, non pas pour échapper à la faillite, mais pour rester un leader du secteur et éviter un scenario à la Alitalia », explique-t-on en interne.

Chez Air France, une ligne long-courrier sur deux est dans le rouge.

British Airways, l'exemple à suivre

Pour rappel, à la fin des années 90, British Airways dominait le transport aérien européen. Après avoir connu des difficultés financières (largement moins graves que celles d'Air France-KLM aujourd'hui), la compagnie, sous la présidence de Bob Ayling puis de Rod Eddington, avait réduit ses capacités de 20% entre 1999 et 2003. Entre ces deux dates, la compagnie britannique, qui transportait 25% du trafic européen (contre 17% pour Lufthansa et 15% pour Air France) est ainsi revenue au niveau de ses concurrentes. Toutes détenaient 17% de parts de marché.

Selon nos sources, dans ce fameux plan B, une quinzaine de lignes long-courriers serait supprimée à Air France. Des lignes court et moyen-courriers seraient également touchées même si cette partie du réseau a déjà subi une forte cure d'amaigrissement ces dernières années. Pour l'heure les personnes en charge du programme n'ont pas encore commencé à plancher sur le court et moyen-courrier. Des fermetures de lignes sont également à l'ordre du jour chez KLM.

Effondrement de la recette unitaire

«Toutes les compagnies qui s'en sont tirées ont été obligées de passer par cette étape pour retourner une situation désastreuse », explique un bon connaisseur de l'entreprise. «Dans ce secteur, la dérive des coûts est traditionnellement supérieure à celle des recettes, cet écart est aujourd'hui amplifié par la baisse des recettes, il faut donc mettre un grand coup sur les coûts. En 1994, Christian Blanc avait supprimé 20% des lignes», précise-t-il. « Mais à l'époque, il n'y avait pas de hub, il était plus facile de connaître la rentabilité des lignes. Aujourd'hui dans une compagnie de réseau, l'exercice est plus compliqué puisqu'il faut savoir quelles sont les lignes à couper sans qu'il y ait des effets amplifiés sur les correspondances ».

Avec l'effondrement de la recette unitaire depuis quasiment un an, les résultats économiques ne sont pas au rendez-vous. Selon des sources concordantes, ils sont largement en dessous-du budget prévu cette année. Si la direction n'avait pas communiqué au marché de prévisions financières pour l'année 2015, elle tablait néanmoins en interne sur un résultat d'exploitation compris entre 600 et 750 millions d'euros.

Suppressions de postes massives

De telles coupes dans le réseau d'Air France-KLM entraîneraient une réduction de la flotte (et un décalage des prises de livraisons de nouveaux avions du type A350 et B787 en 2016 et 2017), et des suppressions de postes massives. Le Monde évoquait vendredi le chiffre de 3.300 personnes. Un chiffre démenti par Air France dans un communiqué. Pour autant ce chiffre n'est pas incohérent. «Cela risque même d'être plus», fait valoir un observateur.

Aucun chiffre n'est arrêté assure-t-on. L'ampleur d'un plan social dépendra en effet de la taille du réseau et des négociations avec le personnel.

Après être parvenu à réduire les effectifs à travers des plans de départs volontaires à Air France, le groupe risque d'avoir du mal à éviter les départs contraints.

« Quel que soit le scénario, Air France pourrait procéder à des licenciements secs », indiquent plusieurs sources internes. De telles mesures devront forcément recevoir l'aval de l'état actionnaire à hauteur de 18%. Même chose aux Pays-Bas, même si l'Etat néerlandais n'est pas actionnaire du groupe. D'ores et déjà, la suppression d'un millier de postes chez KLM serait actée, selon nos informations.

«Nous n'avons aucun plan secret de licenciement », assurait le 9 mars aux Echos le PDG d'Air France-KLM Alexandre de Juniac.

Tensions sociales

Si la négociation de nouveaux accords d'entreprise avec les trois catégories de personnel en plein été relève déjà de l'exploit, elle s'apparente comme une mission impossible dans le climat social extrêmement délétère qui règne au sein de la compagnie. Alors que les pilotes font l'objet d'un rejet massif des autres catégories du personnel, la relation sociale est pour le moins tendue entre la direction et le syndicat national des pilotes de ligne (SNPL), mais aussi entre la direction et les syndicats d'hôtesses et de stewards (PNC), arc-boutés sur l'accord collectif signé en 2013 qui court jusqu'en octobre 2016.

Réapparues lors du conflit des pilotes en septembre dernier, ces tensions sont aujourd'hui amplifiées par le refus du SNPL de solder les mesures du plan d'économies précédent Transform 2015 alors que les autres catégories du personnel ont réalisé la totalité ou presque des efforts demandés. Si les pilotes ne finissent pas le boulot et ne s'engagent pas sur de nouvelles mesures, la direction ne pourra pas demander au personnel au sol et aux PNC de nouveaux efforts. Le résultat du référé déposé à l'encontre du SNPL pour les pousser à finir le plan précédent sera connu le 3 juillet.

Ces tensions sont également entretenues par la quantité d'efforts demandés à chaque catégorie de personnels en fonction des comparaisons avec le niveau de productivité des concurrents européens comme Lufthansa ou IAG. A ce jeu, ce sont les pilotes qui ont l'écart de coûts le plus faible et les PNC l'écart le plus important. «En pourcentage, c'est vrai, mais il faut raisonner en millions d'euros d'économies potentielles, tout le monde doit faire des efforts », explique un cadre.

Des Etats Généraux du transport aérien?

Faudra-t-il court-circuiter les syndicats en lançant un référendum auprès des salariés comme l'avait fait Christian Blanc en 1994 pour redresser la compagnie ? « Peut être. «L'idée mijote », dit-on.

Enfin, les syndicats estiment que l'on ne peut pas demander de nouveau efforts aux salariés sans un coup de main de l'État. « Les salariés ne feront pas les efforts nécessaires si l'État alourdit les charges qui pèsent sur le transport aérien », explique un syndicaliste.

« Ce sera difficile de leur demander des efforts si l'État autorise Aéroports de Paris à augmenter les redevances à Roissy et à Orly ou s'il accorde de nouveaux droits de trafic aux compagnies du Golfe », ajoute un autre syndicaliste.

Certains évoquent l'idée d'organiser des Etats généraux du transport aérien où toutes les parties prenantes s'engageraient à faire des efforts. Le conseil d'Air France-KLM est sur la même longueur d'ondes. Il estime lui aussi que l'État a un rôle à jouer. Il a mandaté Alexandre de Juniac de faire du lobbying auprès des différents ministères pour qu'un certain nombre de mesures du rapport Le Roux pour améliorer la compétitivité du transport aérien français soit mis en place. Alexandre de Juniac le fait déjà. Depuis plusieurs semaines, il ne cesse de demander un environnement plus favorable au transport aérien.

 «L'objectif du plan est de permettre d'obtenir un sursis, le temps que de nouvelles mesures et de nouvelles règles en matière de concurrence équitable soient mises en place », fait-on remarquer.

L'Etat va-t-il vraiment bouger ? Ses intérêts sont en effet multiples. «Je comprends que l'on défende Aéroports de Paris, Emirates ou Turkish Airlines pour doper le tourisme en France, ou encore Airbus et Dassault, mais il faudra assumer le jour où Air France deviendra comme Alitalia », explique un salarié.

Moral en berne

Le moral est donc au plus bas au sein des personnels. Le désarroi est tel qu'un grand nombre se demande si tous les efforts demandés permettraient à la compagnie de sortir vraiment la tête de l'eau à moyen terme. «Rien ne laisse présager que la concurrence des low-cost et des compagnies du Golfe s'atténuera et personne ne peut leur assurer le contraire», fait valoir un cadre de l'entreprise. "Aussi, cette action sur les coûts doit obligatoirement s'accompagner par un projet industriel solide, basé sur un système d'alliances fortes sur les zones géographiques stratégiques".

Le défi est donc colossal. Il faudra que toutes les planètes soient alignées pour qu'Air France-KLM sorte de l'impasse.